Poutine, une confondante passion française

Il est parfois utile de se tourner vers des livres passés inaperçus à leur parution. L’ouvrage d’Olivier Schmitt Pourquoi Poutine est notre allié ? Autonomie d’une passion française demeure d’une brûlante actualité, n’ayant pris aucune ride. Mais pourquoi ce titre ? L’auteur démontre en fait que Poutine est bien notre adversaire, voire notre ennemi. C’est précisément ce discours faisant de lui un allié qu’il s’emploie à déconstruire. Quelques amis du Kremlin auront sûrement acheté ce livre en le prenant au premier degré…

Olivier Schmitt, Pourquoi Poutine est notre allié ? Autonomie d’une passion française, Hikari éditions, 2017, 125 p.

En quelque cent-vingt pages, d’un style vif et enlevé, Olivier Schmitt, professeur de sciences politiques à l’université du Sud-Danemark, qui se réclame de Raymond Aron, dresse une synthèse aussi magistrale que précise de la fascination que Poutine exerce sur une large partie de la classe politique française, non seulement le trio Mélenchon – Le Pen – Zemmour mais aussi le tandem Chevènement-Fillon, prolongé par les Ciotti-Bertrand-Villiers.

Cet ensemble disparate considère Poutine comme un vrai dirigeant avec lequel nous partageons des valeurs communes parce que ce serait notre intérêt et que la Russie vaudrait bien les États-Unis. Celle-ci doit être d’autant plus associée à l’Union européenne qu’elle est partie intégrante de l’Europe au contraire de l’Amérique ; à suivre ce subtil raisonnement, il aurait fallu aussi contracter alliance avec Hitler puisque l’Allemagne était encore plus proche de nous…

Un Renaud Camus, vilipendé par la bien-pensance, notamment celle du Monde, ose écrire que le pays de Poutine « n’est pas le nôtre, que la Russie a opprimé affreusement la moitié de l’Europe pendant un demi-siècle [et davantage !], que leurs intérêts à elle et à lui, sur de très nombreux points, ne sont pas ceux de la France et des autres nations du continent » alors que « ce dont rêvent bon nombre de poutinomanes et d’actuels russolâtres, c’est plutôt que l’Europe devienne russe, dirait-on, se mette à la remorque de la Russie » (cité par Schmitt, p. 25).

Peu importe à nos adulateurs que le système oligarchique mis en place se soit développé à travers quelque cent-dix individus réunissant 35 % de la richesse russe, la fortune de Poutine, ex-modeste fonctionnaire du KGB, étant estimée entre 40 et 70 milliards de dollars, celle d’une de ses filles de 2,5 milliards.

La propagande russe ne cesse de comparer l’Union européenne à un continuum d’ennemis que sont Napoléon, Hitler, les gays et le gouvernement ukrainien, singulier amalgame. Et institue, on le sait, une sorte de négationnisme quant à son inavouable passé, réhabilitant Staline, rayant des manuels le pacte germano-soviétique de 1939, rompu à l’initiative d’Hitler en 1941. Mémorial, à la publication du livre d’Olivier Schmitt, n’avait pas encore été interdit.

L’auteur rappelle aussi que, s’agissant de l’OTAN, aucun accord, fût-il verbal, n’a jamais été seulement esquissé quant à son non-élargissement, cette légende faisant partie de la dialectique poutinienne et étant volontiers brandie à outrance par les « collabos » français. L’Alliance atlantique est allée jusqu’à proposer à Moscou de s’associer au bouclier antimissile, ce que Poutine a refusé aux fins d’instrumentaliser cette question comme preuve des intentions hostiles de l’OTAN.

Olivier Schmitt s’interroge sur les Mélenchon-Chevènement et « leur forte complaisance (voire un soutien affirmé) à l’égard d’un régime autoritaire, oligarchique, corrompu et s’appuyant sur l’Église, bref tout le contraire des valeurs laïques et républicaines qu’ils défendent par ailleurs ». De Chevènement, l’universitaire ne peut manquer de rappeler sa singulière déclaration au sujet de l’Ukraine : « Les États-Unis veulent créer un foyer de tension entre l’Europe et la Russie, et ont trouvé en Ukraine un terrain pour cela. » En somme, c’est l’Amérique qui menace Kyïv !

Pour sa part, Poutine semble plagier, selon Schmitt, les préceptes du poète Fiodor Tiouttchev, remontant à… 1864 : « Rien ne peut fonder aucune alliance entre la Russie et l’Occident, ni les intérêts ni les principes. Il n’y a pas un seul intérêt, pas une seule tendance de l’Occident qui ne soit pas en train de conspirer contre la Russie, en particulier son futur, et ne tente pas de l’affaiblir. De ce fait, la seule politique naturelle de la Russie envers l’Occident n’est pas de chercher une alliance avec les puissances occidentales, mais leur désunion et leur division. Alors seulement ne seront-[elles] plus hostiles à notre égard, non par conviction, mais par impotence. » Bref, le descriptif paranoïaque de l’attitude russe en 2022 dans toute sa plénitude, Olivier Schmitt ajoutant que les élucubrations d’un Soral ou d’un Meyssan sont volontiers utilisées par la propagande russe.

Cet ouvrage, modeste dans sa présentation, n’en prend que plus de relief lorsqu’on a relevé récemment que la candidate Le Pen, lors d’une réunion à Madrid des partis européens d’extrême droite, les 28 et 29 janvier 2022, a été la seule à refuser de souscrire à la déclaration critiquant Moscou, apportant, curieusement et pour une fois, son appui à la position officielle française, visant à maintenir envers et contre tout le contact avec la Russie.

De son côté, Mélenchon, interrogé par Le Monde du 19 janvier 2022 sur Navalny, prisonnier politique, l’a qualifié de « libéral, ce n’est pas mon ami », estimant, du bout des lèvres, ne « pouvoir être d’accord » avec son emprisonnement, que toutefois il se garde bien de condamner ou de dénoncer. Alors qu’il qualifie le traître Assange de « héros » sur son blog, Natalie Nougayrède, dans Le Monde du 20 avril 2012, semble plus inspirée de le présenter comme « recrue de la télé Poutine ».

Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

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