Un SOS de Marioupol, ville martyre: « Poutine a l’intention d’anéantir Marioupol pour tenter de forcer le gouvernement ukrainien a capituler »

Josef Zissels, coprésident de l’Union des communautés ukrainiennes (Vaad), a résumé sur WhatsApp, le 15 mars, le récit vibrant de son ami qui se trouve à Marioupol. Ce qui s’y passe défie l’imagination. Il s’agit de réduire à néant une grande ville industrielle, entièrement russophone, et de tuer sa population par des bombardements incessants et la famine. Marioupol s’est héroïquement défendue en 2014, pour ne pas tomber entre les mains des séparatistes appuyés par la Russie. Aujourd’hui, l’armée russe se venge des innocents, en organisant le blocus de la ville. Il ne s’agit plus de la défense de la « langue russe » et des russophones. Les masques sont tombés.

Mon ami a réussi à m’appeler depuis Marioupol, je peux donc vous faire part de ce qui s’y passe réellement en ce moment.

Chaque minute, la ville est soumise à des bombardements, des tirs d’artillerie et des attaques aériennes : elle est en train d’être rayée de la surface de la terre.

Qui plus est, l’aviation russe cible les endroits où des gens font cuire de la nourriture sur un feu. Or, les habitants ne peuvent tout simplement pas faire cuire de la nourriture dans les sous-sols où ils séjournent constamment, car ils peuvent y suffoquer.

Imaginez seulement l’état physique et psychologique de ces personnes qui restent dans le sous-sol pendant deux semaines, sans eau, sans électricité et sans nourriture. Ils utilisent des seaux comme toilettes. Ceux qui ont encore de la nourriture la mangent crue.

Les bombardements ne s’arrêtent jamais et on peut être une cible facile lorsqu’on s’échappe du sous-sol pour ramasser du bois ou allumer un feu pour cuisiner quelque chose.

Il existe de nombreuses vidéos montrant comment ces militaires russes tirent depuis des chars sur des civils dans les rues, même lorsqu’ils ont les mains en l’air.

Les rues sont jonchées de cadavres. Auparavant, les survivants essayaient de couvrir les cadavres avec des couvertures. Maintenant, quand les combats de rue battent leur plein, personne ne pense aux cadavres. Ils pourrissent donc tout simplement et sont déchiquetés par les chiens errants et les rats.

Mais les choses pourraient empirer. Le cannibalisme pourrait commencer, comme ce fut le cas pendant l’Holodomor en 1932-1933.

Certains habitants de Marioupol ont eu la chance d’échapper à cet enfer sur terre et ils se dirigent vers la ville de Zaporijia dans leurs voitures personnelles. Mais le nombre de ces chanceux ne dépasse pas 20 000 à ce jour et la plupart d’entre eux ne sont toujours pas en sécurité tant qu’ils traversent les territoires occupés (principalement Berdiansk et les villages voisins), car les troupes russes continuent de tirer directement sur les routes pour empêcher les civils de passer dans les territoires contrôlés par l’armée ukrainienne.

Il n’y a pas de connexion Internet ou cellulaire à Marioupol depuis plus de deux semaines. Pour envoyer un SMS, il faut monter sur un toit, ce qui est un risque mortel. Certains des habitants de Marioupol vivent près des rivières Kalmious et Kaltchik, ils utilisent donc les rivières comme sources d’eau potable, même si celles-ci sont fortement polluées par les déchets métallurgiques. Avant, ils pouvaient manger de la neige, maintenant tout a fondu.

Cet ami a essayé de vérifier si sa mère et ses proches étaient encore en vie, mais il est impossible de se rendre dans ces zones de la ville. En plus d’être constamment bombardées, la plupart des routes ont été détruites. Il est donc impossible de s’y rendre en voiture, même sous les bombardements, car les pneus peuvent être coupés par les débris de mines et d’obus.

Le nombre de victimes augmente par centaines chaque jour et dépasse de loin les statistiques officielles. Beaucoup d’entre eux sont encore dans des bâtiments en ruine, ayant trouvé la mort dans leurs appartements.

Aujourd’hui, les Russes ont lancé une énorme bombe sur le bâtiment du théâtre Drama, où un millier de civils, principalement des femmes et leurs enfants, tentaient de se sauver des bombardements incessants.

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Sviatoslav Vakartchouk, auteur-compositeur et homme politique, a filmé une vidéo à l’hôpital de Zaporizhia, où sont soignés les enfants gravement blessés et évacués de Marioupol // Le compte Instagram de Vakartchouk, capture d’écran

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Les bombardements empêchent les enterrements à Marioupol. Photo : chaîne Telegram du régiment Azov

Ceux qui ont réussi à survivre meurent maintenant dans les décombres, car les secours ne peuvent pas les atteindre sous les bombardements constants.

Poutine veille personnellement à ce que l’aide humanitaire n’atteigne pas Marioupol et que le convoi de réfugiés ne puisse pas quitter la ville. Cinq tentatives ont déjà échoué.

Il exerce ce chantage en prenant 400 000 personnes en otage, en les tuant jour après jour.

Voilà ce que signifie la « diplomatie aux conditions de Poutine ».

Malheureusement, la communauté internationale et les gouvernements occidentaux ne prennent pas de mesures suffisantes pour arrêter le génocide au 21ème siècle.

Les journalistes ne peuvent pas se rendre sur place pour révéler la véritable horreur qui se déroule à Marioupol.

On apprend que les employés de la Croix-Rouge auraient déjà quitté Marioupol.

Je lance un appel fort à tous les journalistes, blogueurs et autres personnes indifférentes et leur demande de partager des informations sur le génocide à Marioupol où des centaines de personnes meurent chaque jour.

Il est maintenant clair que Poutine a l’intention d’anéantir Marioupol pour tenter de forcer le gouvernement ukrainien à capituler. Il ne se soucie pas des gens, seulement du territoire (et des usines métallurgiques qui, soit dit en passant, ne sont pas endommagées).

Chaque jour qui passe voit s’éloigner les chances d’évacuer les citoyens restant à Marioupol.

Nous demandons aux gouvernements américain et européens de prendre des mesures décisives avant que Marioupol ne devienne un nouveau « Baby Yar », à Kyïv, où plus de 100 000 Juifs ont été assassinés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette fois, le nombre de victimes risque d’être bien plus élevé et il s’agira de civils de différentes nationalités vivant dans la ville multinationale de Marioupol : Ukrainiens, Russes, Grecs, Juifs, Bulgares et bien d’autres.

Josef Zissels est un ancien prisonnier politique soviétique. Militant des droits de l’Homme et essayiste, il est co-président de l’Union des communautés juives d’Ukraine, le Vaad. Vit à Kyïv

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