Élection présidentielle française : pas de cadeau pour Poutine !

Ce dimanche 24 avril, le sort des Ukrainiens et l’avenir de l’Europe seront en partie entre les mains des électeurs français.

Citoyens, ne faites pas à Poutine le cadeau de faire élire Marine Le Pen !

Il faut aider l’Ukraine et les Ukrainiens dans leur résistance à l’agression russe. C’est bien sûr le devoir des gouvernements des démocraties occidentales, avec l’envoi d’armes et la fourniture de renseignements, mais c’est aussi celui des citoyens de ces démocraties. Dimanche prochain, l’issue de la guerre et l’avenir de l’Europe seront en partie entre les mains des électeurs français. L’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République mettrait en effet la cohésion de l’Union européenne directement à l’épreuve, et la candidate du Rassemblement national ne s’en cache pas. L’Europe des nations qu’elle veut, c’est l’Europe de la désunion, celle du chacun chez soi et pour soi, celle d’une souveraineté de papier face aux puissances agressives que sont la Russie et la Chine, faute d’une solidarité collective des Européens. C’est d’ailleurs cette même Europe de la désunion que souhaite Viktor Orbán, qui vient de démontrer en remportant de nouveau les législatives en Hongrie, contre un front uni de l’opposition, qu’un « démocrate illibéral » qui s’est emparé du pouvoir devient presque indélogeable.

Une victoire de Marine Le Pen serait donc un cadeau offert à Poutine !

Ce serait aussi, à vrai dire, le couronnement d’un long et systématique travail de confusion des esprits auquel la Russie s’est employée de longue date, de multiples manières, à travers les réseaux sociaux, et au moyen, jusqu’à leur trop tardive interdiction, de RT et Sputnik, mais aussi à travers de vieux canaux d’« amitiés », de sympathies politiques nourries à droite et à gauche d’un antiaméricanisme pavlovien, d’invitations à des colloques, à des visites dignes des voyages dans l’URSS Potemkine sur laquelle s’ébahissaient les compagnons de route.

Ce n’est pas d’hier que l’hôte du Kremlin veut affaiblir l’Occident ! Il poursuit cet objectif depuis des années, et la guerre déclarée à l’Ukraine n’est qu’une tentative supplémentaire dans cette direction, en vue d’établir un nouveau rapport de force continental. On mesure aujourd’hui l’état de cette confusion en naviguant sur les réseaux sociaux ou en prenant connaissance des réponses aux « micros-trottoirs » des journalistes qui questionnent les Français sur leurs intentions de vote. Pour une partie de nos concitoyens, le spectacle de la guerre en Ukraine semble n’être pas suffisant pour qu’ils mesurent le danger et comprennent la nécessité de prendre leur part dans la résistance à Vladimir Poutine. Triste spectacle que celui donné par la poignée d’étudiants qui a occupé la Sorbonne ou Science Po Paris, aux cris de « Ni Macron ni Le Pen »…

Pourquoi en est-on arrivé là ? Depuis des années, les petites mains de la désinformation du Kremlin se sont saisies de toutes les occasions pour instiller le virus de la défiance et du complotisme dans l’opinion publique française. Il en a été ainsi pendant la crise des Gilets jaunes ou pendant la pandémie de Covid, notamment sur la question des vaccins et du pass sanitaire. La France n’a pas été une exception, on sait ce qu’il en a été en Grande-Bretagne pendant la campagne du Brexit, aux États-Unis lors de l’élection américaine qui a vu Trump l’emporter sur Hillary Clinton. À chaque fois, une bonne partie des élites politiques, intellectuelles et médiatiques a fait preuve d’un aveuglement et d’une mansuétude désastreuse, face à une stratégie du mensonge délibéré. La répétition des fake news et des calomnies a fini par installer l’idée que l’objectivité se trouvait à mi-chemin de la vérité et du mensonge et que la critique systématique tenait lieu de discernement et de brevet d’attachement à la liberté. Cela a conduit à ce que s’installent à l’égard d’Emmanuel Macron un ressentiment profond et même une passion haineuse. On l’a vu pendant plusieurs manifestations des Gilets jaunes et des anti-vax. On l’a constaté à travers les agressions dont ont été l’objet plusieurs élus de la République en marche. Un climat délétère s’est installé. Certes, le Kremlin ne l’a pas inventé de toutes pièces, il ne l’a pas créé à lui tout seul, et le président français a lui-même tendu des verges pour se faire battre, trop confiant dans ses capacités personnelles. Tout à son projet, il n’a pas construit les outils politiques ni les alliances nécessaires pour faire face à la crise démocratique dont il était lui-même le produit en 2017. Néanmoins, Poutine et ses alliés directs (comme la Chine) ou indirects ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour contribuer à son aggravation.

Si Emmanuel Macron a fait preuve de présomption face à une menace avérée — lui-même avait protesté devant Vladimir Poutine invité à Versailles contre les ingérences russes dans la campagne électorale française de 2017 —, la responsabilité de la classe politique française est grande en la matière. Des acteurs politiques de premier plan, à droite comme à gauche, n’ont rien trouvé de mieux que de se servir de ce climat « pourri », voire de l’alimenter sans comprendre vers où il nous menait. Cela a justifié une radicalisation des débats que nous avons vu monter depuis quelques années et qui s’est accrue ces derniers mois, là encore des deux côtés de l’échiquier politique.

Malgré les avertissements de celles et ceux qui alertaient depuis de longues années sur l’évolution de la Russie sous Poutine, la classe politique française et une bonne partie de l’appareil médiatique n’ont pas compris que ce durcissement du régime russe n’était pas seulement une affaire intérieure, mais qu’il ouvrait la voie à un affrontement futur entre Moscou et l’Occident. N’a pas été vu, non plus, ce qui se jouait sur d’autres scènes, notamment en Afrique, pour mettre du sel sur les plaies des relations Nord Sud et attiser la défiance envers les Européens, et d’abord les Français, et les Américains.

Ce manque de vision, cette absence de discernement nous a conduits au bord d’une nouvelle guerre mondiale. Ce n’était pas inéluctable, si des signaux suffisamment fermes avaient été adressés à la Russie, dès sa première violation des frontières de l’Ukraine en 2014. Au contraire, toute une partie de la classe politique française, à droite et à gauche, a très vite proposé de lever les sanctions qui avaient fait suite à l’annexion de la Crimée.

Depuis le lancement de « l’opération militaire spéciale » russe, le 24 février dernier, les Occidentaux sont pris en étau entre la nécessité de soutenir les Ukrainiens, confrontés à une armée russe qui fait preuve, de façon délibérée, d’une violence effroyable contre les populations civiles, et la crainte de se trouver en situation de cobelligérants qui conduirait à un basculement dans l’inconnu d’une possible conflagration nucléaire. En réalité, l’Occident est déjà, en quelque sorte, « cobelligéré » par Vladimir Poutine, qui a fait de l’Ukraine le terrain militaire d’un conflit dont l’enjeu est bien plus vaste, puisque le but qu’il poursuit, n’est rien d’autre que d’imposer aux démocraties européennes, non seulement un retour à l’équilibre issu de la guerre froide (comme le sous-entendaient les deux propositions de traités sur la sécurité en Europe, adressées à Washington en décembre dernier), mais sa vision du monde. Cette vision qu’il partage à certains égards avec Xi Jinping et Reccep Tayyip Erdoğan, mais aussi avec Jaïr Bolsonaro et quelques autres, met en avant la défense de « valeurs morales » supposées éternelles et transcendantes pour habiller la soumission des « citoyens » aux intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir. À l’autonomie instaurée par la démocratie (le peuple se donnant sa propre loi), Poutine entend substituer l’hétéronomie de la tyrannie, la loi imposée d’en haut par un souverain qui entend conserver le pouvoir indéfiniment (ce genre de souverain dont on finit toujours par célébrer le culte).

Si les gouvernements occidentaux n’ont pas été assez vigilants face à la menace russe et à son travail de leurs opinions publiques, il revient aujourd’hui aux électeurs français de faire échouer une partie des plans de Vladimir Poutine. Ce qui est en jeu en Europe, sur le sol ukrainien aujourd’hui, c’est le sort des libertés fondamentales. L’élection de Marine Le Pen qui pose depuis le début de la campagne en mère bienveillante du peuple, viendrait ruiner la solidarité occidentale dans le soutien aux Ukrainiens et livrerait de fait l’Ukraine à la Russie. On imagine l’inquiétude qui doit être celle du président Zelensky avant le scrutin français et le choc moral qui serait asséné à tous ceux qui résistent à l’invasion russe si Emmanuel Macron était battu. Assurément, l’Europe se trouverait paralysée. Marine Le Pen l’a fait comprendre en marquant son opposition à l’Allemagne et en annonçant avec une fierté sans vergogne que si elle était élue, elle proposerait, dès la paix signée entre Moscou et Kyïv, « un rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie ». Qui aurait osé, après le 22 juin 1941, mais avant la défaite de l’Allemagne nazie, proposer un rapprochement stratégique entre le IIIe Reich et les Alliés à l’issue de la guerre dont nul ne savait alors comment elle se conclurait ? De même, la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN que projette la candidate du RN, au prétexte de défendre la souveraineté nationale, serait une manière symbolique d’affaiblir l’alliance atlantique face à la Russie et la Chine.

L’affaiblissement du lien atlantique et de la solidarité européenne à l’égard de l’Ukraine ne serait pas la seule conséquence de l’élection de Marine Le Pen. Ce qui serait également en cause, c’est la volonté de défendre l’État de droit dans l’Union européenne. Au moment où l’UE cherche à contrecarrer les tentatives polonaise et hongroise de détricoter l’État de droit dans leur pays, Marine Le Pen ne manquerait pas d’apporter son soutien à Orbán à Budapest et à Kaczyński, à Varsovie, contre Bruxelles et les autres capitales européennes. La candidate du Rassemblement national veut elle aussi imposer la supériorité des lois françaises sur les lois européennes (elle entend aussi passer outre les obstacles constitutionnels à sa volonté d’instaurer la « priorité nationale » en procédant par un référendum que des juristes qualifient déjà de « coup d’État constitutionnel »). Tout cela serait une victoire non seulement pour eux les tenants centre européens de la « démocratie illibérale », mais pour Moscou qui verrait s’étendre en Europe des régimes pour qui le droit ne fonctionne que dans un sens : celui du renforcement du pouvoir et de l’affaiblissement des citoyens.

Ainsi donc, l’élection de Marine Le Pen aurait un double effet : d’une part, elle faciliterait sur le terrain ukrainien le sale boulot de l’armée russe en donnant le signal d’une attrition du soutien occidental à Kyïv, et en portant un coup sévère au moral des Ukrainiens ; d’autre part elle réaliserait une première partie du programme de Vladimir Poutine en Europe, celle du recul de l’État de droit.

Jean-François Bouthors est journaliste et essayiste, collaborateur de la revue Esprit et éditorialiste à Ouest-France. Il est auteur de plusieurs livres dont Poutine, la logique de la force (Éditions de l’Aube, 2022) et Démocratie : zone à défendre ! (Éditions de l’Aube, 2023). Il a été, avec Galia Ackerman, l’éditeur des livres d’Anna Politkovskaïa aux Éditions Buchet/Chastel.

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