A quoi s’attendre le 9 mai ?

Le Kremlin souhaiterait pouvoir revendiquer, à l’occasion de ce 9 mai, commémoration du « jour de la Victoire » de 1945, une victoire au moins symbolique, en particulier la « prise » de la ville de Marioupol en Ukraine. Mais toute célébration s’annonce délicate.

La Russie s’apprête à fêter un 9 mai très « spécial ». Depuis des années, les célébrations annuelles du « jour de la Victoire », commémorant la signature à Berlin de l’acte de capitulation de l’Allemagne nazie en 1945, constituent un pilier iconographique du régime de Poutine. Cette année, elles s’avèrent délicates, en raison de l’incapacité militaire russe à atteindre les objectifs militaire et politique initialement fixés, à savoir une prise éclair de Kyïv en février-mars et un renversement du pouvoir en Ukraine. À cela s’ajoutent la résistance tenace et unifiée des Ukrainiens, ainsi que la condamnation et l’isolement sans précédent de la Russie sur la scène internationale.

Selon le service russe de la BBC, un nombre plus réduit de soldats, et surtout de véhicules (en particulier des chars ou des systèmes antiaériens, en service en Ukraine), défileront sur la place Rouge, par comparaison avec 2021. Et aucun invité étranger ne serait attendu.

Le Kremlin souhaiterait pouvoir marquer ce 9 mai en revendiquant une victoire au moins symbolique, par exemple la prise de Marioupol : base du régiment Azov qui résiste dans les décombres d’une usine métallurgique, cette ville martyre pourrait être présentée comme une étape clé dans la campagne dite de « dénazification » de l’Ukraine, citée comme un objectif de l’« opération militaire spéciale » déclenchée le 24 février.

Mais il semble évident que la guerre russe à grande échelle lancée contre l’Ukraine ne s’arrêtera pas le 9 mai. Les services de renseignements militaires ukrainiens font état d’un phénomène de mobilisation rampante en Russie. Certains pensent qu’une annonce officielle à ce sujet pourrait justement avoir lieu le 9 mai même.

Dans ce contexte, il n’est pas inutile de se rappeler l’état d’esprit de Poutine, tel qu’il l’a fréquemment exprimé dans ses discours, notamment dans un essai sur l’Ukraine publié en juillet 2021.

Sa mission autoproclamée de restauration d’une domination russe en Europe et au-delà prend des connotations de guerre sainte, et cette rhétorique a été adoubée en mars dernier par le patriarche Kirill, chef de l’Église orthodoxe russe. Dans cette vision, l’Ukraine prend une place centrale. L’orientation démocratique du pays et son choix de se tourner vers l’Europe et l’Occident relèvent pour Poutine d’une hérésie ni plus ni moins, et dans cette logique, un hérétique refusant d’être converti doit être détruit.

Des experts français et britanniques considèrent à ce stade que, d’un point de vue militaire, aucune des deux parties ne peut se permettre d’être confiante quant à l’issue des batailles en cours. L’issue du conflit reste incertaine.

Côté russe, on constate un nombre important de pertes en hommes et en équipement, un état général des forces armées plutôt délétère, qui s’expliquerait par une corruption endémique, une incapacité à motiver massivement les appelés pour aller combattre en Ukraine, ainsi que des cas de mutinerie et de refus de servir.

La coordination interarmes et interarmées, socle de la dimension opérationnelle, apparaît pour l’heure défaillante. Mais la Russie a l’avantage de détenir une force de frappe, ainsi que des réserves plus importantes en carburant et en munitions.

Côté ukrainien se dessine une excellence tactique exploitant la mobilité et la connaissance du terrain, sur fond de lutte pour la survie de la nation. Mais les soldats ukrainiens souffrent d’un manque de carburant, de munitions et d’armes, les Russes ciblant les dépôts de fuel et de munitions ; et les armes envoyées par les Occidentaux peinent à arriver en nombre suffisant.

Le scénario de « l’après 9 mai » pourrait être une intensification de la confrontation, d’une part entre la Russie et l’Ukraine, d’autre part entre la Russie et « l’Ouest ». Les leviers utilisés par le Kremlin pour déstabiliser le camp ennemi sont multiples. De nouvelles armes, surtout non militaires, telle que l’arme de la faim (le contrôle sur les terres agricoles et les exportations de blé), sont sans cesse testées et ajoutées au portefeuille. Étant donné la « mission » que s’est assignée Poutine, une « paix » qui ne se solderait pas par une défaite ukrainienne ne pourrait être acceptable. Et la confrontation avec « l’Ouest » a peu de chances de s’arrêter, même après une fin hypothétique de la guerre en Ukraine.

Johanna Möhring est chargée de recherche, Center for Advanced Security, Strategic and Integration Studies (CASSIS), Université de Bonn.

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