Sauver Maxime Boutkevitch

S’il fallait désigner une personnalité ukrainienne emblématique de la lutte pour les droits des minorités, des migrants, des plus démunis, contre la haine, pour l’égalité et la dignité humaine, ce serait probablement Maxime Boutkevitch, que Desk Russie a interviewé l’année dernière. Aujourd’hui, il est prisonnier des forces russes. Sacha Delementchouk, militante ukrainienne des droits humains, lui consacre un texte très personnel.

Je ne me souviens ni du jour ni de l’heure où j’ai rencontré Max. Ni des circonstances ni des événements. Bien que lui et moi ayons fréquenté la même école, le lycée ukrainien des sciences humaines (il était plus âgé que moi de quelques années). Puis nous avons étudié à la même université, Taras-Chevtchenko. Il a étudié la philosophie, j’ai étudié le droit, je m’ennuyais davantage, bien sûr. C’était avant qu’il ne parte étudier l’anthropologie appliquée à l’université du Sussex.

Ensuite, nous étions tous les deux dans le même milieu militant, parmi les jeunes qui protestaient contre les actes répressifs de différents gouvernements, contre le changement climatique, nous avons participé à des forums sociaux à Porto Alegre au Brésil, à Malmö en Suède, mais nous ne nous sommes pas croisés. Nous avons travaillé sur les droits des minorités, sur la lutte contre les discours haineux et sur les groupes d’extrême droite. Plus d’une fois, nous avons été aspergés de gaz lacrymogène lors des mêmes événements, mais là encore, nos chemins ne se sont pas croisés.

Je ne me souviens plus du jour et de l’heure où j’ai rencontré Max Boutkevitch. Quelqu’un nous aurait-il présenté l’un à l’autre dans un bar du quartier de Podil, à Kyïv ? Ou bien était-ce à Gostiny Dvor, lors d’un débat dans le cadre du festival DocuDays [films sur les droits humains, NDLR], que des extrémistes de droite sont venus perturber ? Je me souviens d’une discussion avec Dmytro Reznitchenko, qui maintenant, je suis très heureuse de le dire, n’est plus un militant d’extrême droite, mais un vétéran de guerre, un psychothérapeute, l’un de ceux qui aident les jeunes à sortir des mouvements extrémistes. Était-ce à ce moment-là, à Gostiny Dvor, lorsque nous avons essayé de parler à ces jeunes gens et de leur dire ce que nous ressentons, ce que nous pensons, et pourquoi nous croyons que tous les gens ont le droit d’exister, de s’exprimer, d’être égaux ?…

Était-ce lorsque nous sommes allés à Sarajevo, en 2014, pour le Forum européen de la paix, juste après la révolution de la dignité [révolution de Maïdan, NDLR], l’annexion de la Crimée et le déclenchement de la guerre dans le Donbass en juillet 2014 ? Nous y avons essayé de parler de la façon dont les troupes de Poutine déchiraient l’Ukraine, et nous deux, vieux gauchistes et antifascistes, avons été traités de nazis par la gauche radicale d’Europe occidentale simplement parce que nous croyions que l’Ukraine existait et devait exister…

Était-ce lorsque Max et moi nous sommes rendus à Sloviansk en 2016 pour animer des ateliers d’éducation aux médias pour la communauté locale ? Était-ce lorsque nous avons collecté des fonds pour acheter un tapis à une famille ouzbèke, afin que les enfants n’aient pas froid en marchant sur le sol glacé en hiver ? Était-ce lorsque, avec Sacha, une personne très importante pour Max, nous nous promenions dans le parc de l’Institut polytechnique de Kyïv pour nous préparer au moment où nous devrions aller chercher le petit cercueil de l’enfant d’une migrante ouzbèke qui est mort parce que sa mère n’avait pas eu accès aux soins en Ukraine, malgré tous les efforts de Max, Sacha et d’autres personnes courageuses du projet « No Borders » ?

Était-ce lorsque Max et moi encadrions des journalistes et des blogueurs ouzbeks persécutés dans leur pays ? Pendant que nous discutions avec eux de l’histoire de la répression en Ouzbékistan, notre petit hôtel à la montagne a été frappé par la foudre, il y a eu un orage, les lumières se sont éteintes… Max a apporté des bougies : il a enfilé son imperméable et s’est précipité dehors pour nous sauver. Max se précipitait toujours pour sauver tout le monde.

Je ne me souviens pas du jour, du moment, de la minute où j’ai rencontré Max. Je me souviens juste qu’il a toujours sauvé tout le monde. Que nous soyons assis dans un bar, que nous rédigions des requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme, que nous collections de l’argent pour l’armée ukrainienne, que nous affrontions l’extrême droite, que nous avancions ou reculions… J’ai le sentiment d’avoir toujours connu Max. Il était toujours là pour moi. Il y avait toujours son appartement à Kyïv où je pouvais venir tôt le matin ou tard le soir, surtout en 2014.

Je ne me souviens pas du jour ou du moment où j’ai rencontré Max. Nous avons peut-être fait connaissance plusieurs fois. Mais je le connais depuis toujours. Je l’ai connu et le connais comme un homme fort et digne. Un homme qui était et reste un journaliste honnête et sans compromis. Un anthropologue dévoué. Un activiste sans peur. Un militant des droits de l’homme sincère et solidaire. Un défenseur de ceux qui souffrent le plus. Principalement des personnes handicapées, des femmes et des enfants. Les plus vulnérables et les plus persécutés. Et aussi une personne incroyablement créative, un poète subtil, et un homme qui m’a appris à croire que Dieu peut exister, après tout.

Alors, mon ami, anarchiste et patriote ukrainien, journaliste et militant des droits de l’homme, formateur et conférencier, activiste et combattant, civil et militaire, fils de cette Ukraine que j’aime et que je connais depuis l’enfance, maintenant je ne fais que prier pour que tu rentres à la maison.

Note de Desk Russie

Figure incontournable de la société civile ukrainienne, intellectuel, polyglotte, européen par excellence, Maxime Boutkevitch, ce quadragénaire gentil et bienveillant, était difficile à imaginer une arme à la main. Pourtant, au mois de mars, il est parti se battre. Il a été promu chef de peloton. Fin juin, Maxime et ses hommes ont été capturés par les forces russes dans la région de Louhansk. La propagande du pays agresseur s’est tout de suite félicitée de sa capture précieuse, Boutkevitch étant qualifié d’« éminent nationaliste ukrainien » et accusé d’avoir « fomenté le coup d’État de 2014 » ou encore d’avoir « soutenu l’éventuel renversement » du dictateur bélarusse. Ce prisonnier de guerre est donc une cible privilégiée, d’où la nécessité urgente de tout faire pour le sortir des conditions inhumaines de la captivité russe.

Sacha Delementchouk est une juriste ukrainienne qui collabore avec de nombreuses ONG, comme la mission de l'OSCE en Géorgie, Fonds mondial pour les femmes, Euromaïdan, etc. Elle s’occupe des questions de la défense des droits de l’homme, de l'égalité et de l'équité. Actuellement, elle dirige le projet Tbilisi shelter city.

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