Dans ce texte qui fait suite à ses précédentes publications dans Desk Russie, consacrées aux « idiots utiles » du Kremlin, J.C. continue à explorer l’univers des poutinolâtres français. Ce troisième volet relève des « perles » récentes, entendues notamment lors d’auditions de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale sur les ingérences russes dans la vie politique française.
On devrait prêter davantage attention aux travaux des commissions d’enquête parlementaires, volontiers brocardées pour leur innocuité supposée. Créée, qui l’eût cru, à l’initiative du Rassemblement national (RN) et présidée par le député Jean-Philippe Tanguy, celle qui traque depuis le 19 janvier les — accrochez-vous — « ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français » aura a minima permis de dénicher, au fil d’auditions un brin lénifiantes, quelques perles de collection. Voici, dans l’ordre d’apparition en scène, un florilège des plus scintillantes, prononcées par des zélateurs de la Poutine…
Thierry Mariani, l’entremet(teur) franco-russe (28/03). Jadis ministre des Transports de François Fillon, le député européen RN, figure de proue depuis 2012 de l’association Dialogue franco-russe (ADFR), vecteur impénitent de la propagande du Kremlin dans l’Hexagone, n’a jamais mégoté son soutien — désintéressé, jure-t-il — à Vladimir Poutine. Mais il arrive que ses mots le trahissent. À propos de l’annexion par Moscou de la péninsule de Crimée, il évoque ainsi, admirable lapsus, « le rattachement de l’Ukraine à la Russie ». Un rattachement dont il ira souffler en mars 2019, à la tête d’une escouade d’élus d’extrême-droite, la cinquième bougie. L’année suivante, rebelote : bravant le véto du Parlement européen, le camarade Thierry s’en va observer, d’un œil bienveillant, la parodie de référendum constitutionnel qui, entre autres, autorise Poutine à prolonger son bail jusqu’en 2036. Une escapade « payée par les Russes », concède notre habitué du congrès annuel de Russie unie, parti à la dévotion du boss. Y compris les nuitées au Radisson, palace moscovite. De même, il reconnaît que le loyer du QG de son Dialogue, logé sur les Champs-Elysées, était « remboursé » pour moitié par les chemins de fer russes dont le patron, Vladimir Iakounine, co-présida longtemps l’ADFR. Sur le fond, l’ex-sarkozyste, dont la seconde épouse et l’assistante sont russes, juge incontestable la « russité » de la Crimée et relègue le soulèvement citoyen de Maïdan en Ukraine (novembre 2013 – février 2014) contre un pouvoir inféodé par le Kremlin au rang de « coup d’État » orchestré par Washington.
Philippe Olivier, le schizo qui ne freine jamais (12/04). Entre embarras et suffisance, cet autre eurodéputé RN enfile les à-peu-près avec ardeur. Son leitmotiv ? « Je n’ai aucun lien avec la Russie ! ». Voyons cela. En 2018, ce conseiller de Marine Le Pen assiste dans la tribune VIP du stade Loujniki à la finale du Mondial de foot, et ce à l’invitation d’un « ami de vingt ans », un Français établi à Moscou dont Olivier prétend ignorer l’activité professionnelle. Il s’agit en l’occurrence de Fabrice Sorlin, catholique intégriste frénétiquement antigay, fondateur de l’association Dies Irae, phalange rompue aux méthodes de l’agit-prop. À la faveur de cette virée, notre amnésique rencontre, heureux hasard, un certain Thierry Mariani, mais aussi l’oligarque ultra-conservateur Konstantin Malofeïev, cerveau d’une alliance, aussi sainte qu’embryonnaire, des extrêmes droites du Vieux Continent. « L’un des principaux entrepreneurs d’influence russes », souligne le chercheur Maxime Audinet, à l’instar de Iakounine, déjà cité, et du parrain de la nébuleuse Wagner, Evgueni Prigojine. Dès son retour, Olivier remercie par courriel l’un de ses hôtes pour ces « belles rencontres d’une utilité décisive » en vue du scrutin européen de l’année suivante et se propose d’œuvrer « à tous les développements dont la cause à besoin », le priant de « transmettre à Konstantin le témoignage de [sa] gratitude pour ces moments amicaux ». Les tweets, comme les courriels, laissent des traces. « Suis actuellement à Yalta [ô combien fameuse station balnéaire de Crimée, NDA], en Russie », lit-on dans un gazouillis daté du 1er juillet 2020, histoire d’observer « le bon déroulement du référendum » mentionné plus haut. Aucun lien, vraiment ? Avec le même entêtement, Philippe Olivier, qui s’est lui aussi attaché un semestre durant les services d’une assistante russe, minimise son rôle au sein du FN puis du RN. « Je n’y exerce aucune fonction », martèle-t-il. C’est donc à son insu que ce grand distrait fut coopté en 2018 au sein du bureau national du Front, avant d’accéder au bureau exécutif du Rassemblement…
Maurice Leroy, du Grand Paris au Grand Moscou (13/04). Entendu en visioconférence de sa résidence moscovite, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale a la russophilie suave et bonhomme. Un homme urbain. Normal, il fut sous Fillon lui aussi, ministre de la Ville. Mais que les membres de la Commission ne se méprennent pas : si Leroy, passé du communisme au centrisme via Charles Pasqua, a quitté début 2019 l’hémicycle pour le géant russe du BTP Mosinjproekt, et ce sur proposition du vice-maire de Moscou, il n’est que « chargé de mission auprès d’un directeur général adjoint » de cette boîte « de droit privé ». D’ailleurs, c’était avant l’invasion de l’Ukraine, que l’intéressé assure avoir condamnée. Mais bien après l’amputation de la Géorgie (2008) ou l’annexion de la Crimée (2014). « Ni caution, ni faire-valoir », insiste-t-il. N’empêche que le tovaritch Maurice, qui a épousé en secondes noces une moscovite, s’est vu octroyer par décret en avril 2021 la citoyenneté russe. « Délicat de refuser ce qui apparaît de la part d’amis comme un remerciement pour le travail réalisé », esquive-t-il. Le travail de celui qui prétend « servir les intérêts de la France » ? Promouvoir à l’international ceux de son employeur. De là à retweeter, moins de deux semaines avant le déclenchement de l’« opération militaire spéciale », un message de l’ambassadeur de Russie à Paris dénonçant la « désinformation » de médias occidentaux acquis à « la thèse d’une prétendue invasion »… « Une bourde, une bêtise, une erreur, une faute », confesse-t-il.
Régis Le Sommier et Charles d’Anjou, les bateleurs de la Volga (13/04). Régis, le journaliste, pérore in situ, « éthique » en bandoulière. Tandis que Charles, le financier, planche en visio de Dubaï, dont il se dit « résident fiscal ». Ce touchant duo a lancé en novembre dernier le média en ligne Omerta, enclin à pourfendre, de reportages en documentaires, les « délires woke », le « laxisme migratoire » et la bien-pensance russophobe1. Ancien de «Paris-Match», Le Sommier invoque le culte des « faits ». Soit, parlons faits. Bizarrement, les commissaires omettent de l’interroger sur son engagement au sein de Russia Today France, télé qu’il rejoint en juin 2021 en qualité de grand reporter. Au service donc de la succursale hexagonale d’un réseau intégralement financé par le pouvoir russe, et dont la patronne, Margarita Simonian, s’assigne pour mission de « travailler pour l’État et défendre notre patrie, comme le fait l’armée ». Un autre fait ? Lorsqu’il vante les « grands entretiens » qui l’ont incité à enrichir l’offre Omerta d’un magazine trimestriel papier, le baroudeur maison cite sept invités. Tous connus pour relayer, avec plus ou moins de ferveur, l’argumentaire du Kremlin, de Henri Guaino à Michel Onfray, via Arno Klarsfeld, Jacques Baud ou Bernard Squarcini. Quant à Charles d’Anjou, il jure que le million d’euros engloutis dans l’aventure « n’a rien à voir avec ses activités professionnelles en Russie ». Pour un peu, on en oublierait que le bienfaiteur du site identitaire « Livre noir » doit en partie sa fortune à son passé de conseiller d’une société de sécurité dirigée par un ex-officier du KGB. Ou qu’il juge « tout à fait normal » d’honorer, en décembre 2022, l’invitation de Telekanal Zvezda, la chaîne militaro-patriotique du ministère russe de la Défense. La loi du silence, très peu pour lui.
Après une brève pause, la commission reprendra ses auditions le 2 mai. Les convoqués du jour : Jean-Pierre Chevènement et François Fillon. On s’en délecte d’avance…
Note de l’auteur: Le ou les courriel(s) de remerciements ont été révélés par Dossier Center ; ils sont également mentionnés dans un numéro de l’émission Complément d’enquête (France 2), diffusée le 27 octobre 2022 et intitulée « France, les réseaux Poutine ». Interrogé par les membres de la Commission, Philippe Olivier ne conteste ni l’existence ni le contenu des échanges. « J’ai dû le faire de manière mécanique, par courtoisie », a-t-il argué. S’agissant de nos « anti-héros », la quasi-totalité des références figurent dans les compte-rendus d’auditions, accessibles sur le site de l’Assemblée nationale.
Une version courte de cet article a été publiée par Le Canard enchaîné le 26 avril 2023
J.C. est un pseudonyme.