Je suis persuadé que la Russie perdra cette année. Voici pourquoi

Le chercheur et ancien militaire norvégien va à contre-courant de l’opinion répandue : il affirme que l’Ukraine est en train de gagner la guerre. Selon lui, la seule véritable force de la Russie est sa capacité de mener une guerre hybride afin de démoraliser l’Occident et de le pousser à obliger à accepter les conditions de Poutine. Si l’Occident, l’Europe surtout, tient bon, la Russie épuisera ses réserves en 2025. 

Il est actuellement de bon ton de dire que l’Ukraine est en train de perdre la guerre. Pour moi, qui suis la guerre de près depuis le tout début, il y a près de 11 ans, d’abord en tant qu’ancien attaché de défense norvégien, puis en tant que membre du Ukrainian Centre for Defence Strategies (un groupe de réflexion ukrainien), la Russie perdra cette année.

L’Ukraine n’est pas en train de perdre. Il s’agit là d’une idée surréaliste que nous nous sommes forgée et qui n’a rien à voir avec les réalités d’une guerre qui se déroule sur six champs : sur terre, dans les airs, en mer, dans l’espace, dans le cyberespace et, surtout, dans l’espace cognitif. 

La Russie mène une guerre terrestre qui ne sera pas soutenable : une campagne qui évolue lentement à l’avantage de l’Ukraine en raison de la guerre des drones, de la capacité croissante de frappe à longue portée de l’Ukraine et du potentiel industriel de défense combiné de l’Europe et des États-Unis. La Russie est déjà vaincue dans les airs, en mer, dans l’espace et dans le cyberespace. Jusqu’à présent, elle n’a été véritablement victorieuse que dans l’espace cognitif. Pas en Ukraine, mais à l’Ouest.

Les perspectives stratégiques de la Russie sont extrêmement sombres, sauf si elle bat l’Ukraine dans l’espace cognitif occidental. Elle a désespérément besoin de convaincre les États-Unis et l’Europe que l’Ukraine est condamnée si elle n’est pas contrainte de négocier selon les conditions russes.

Cela ne veut pas dire que la situation sur la ligne de front n’est pas critique. Elle l’est. L’état des forces est, à juste titre, préoccupant. Toutefois, d’un point de vue stratégique, la situation est beaucoup plus nuancée.

Sur terre, en mer et dans les airs

La guerre menée par la Russie en Ukraine s’essouffle sur de multiples fronts, révélant de profondes fissures dans sa capacité à soutenir un conflit à long terme. Malgré quelques gains territoriaux, ses avancées ne sont pas durables et l’Ukraine pourrait renverser la vapeur moyennant des stratégies innovantes et le soutien de l’Occident.

Sur terre, les gains de la Russie en 2024 s’élèvent à 3 685 km² en Ukraine, ce qui est minuscule comparé aux 74 443 km² libérés par l’Ukraine en 2022. Même à son rythme actuel (entre 18 et 28 km² par jour), la Russie aurait besoin de plusieurs années et de pertes humaines catastrophiques pour s’emparer du reste des oblasts de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson.

Le nombre de ses victimes ayant atteint le chiffre record de 1 585 par jour en décembre, la guerre d’usure menée par la Russie devient intenable.

Sur un total de 790 800 tués et blessés pendant près de trois ans de guerre totale, 54,4 % l’ont été en 2024. L’année dernière, la Russie a payé le prix le plus élevé depuis le début de la guerre. Plus important encore, les pertes de l’année dernière s’inscrivent dans une tendance de plus en plus négative.

Au 18 décembre, on estimait que la Russie occupait environ 99 % de l’oblast de Louhansk, 67 % de l’oblast de Donetsk et 73 % des oblasts de Zaporijjia et de Kherson respectivement. Au rythme actuel, la Russie aurait besoin de 2 à 4 ans pour occuper les 23 850 km² restants des quatre oblasts. Toutefois, la vitesse de progression sera probablement moindre en raison des obstacles auxquels elle est confrontée.

Au rythme actuel des pertes, la Russie risque de subir 1,3 à 2,2 millions de morts et de blessés supplémentaires pour s’emparer des quatre oblasts. Soit un total stupéfiant de 2,1 à 3 millions. La guerre d’agression de la Russie n’est pas viable, surtout si l’on sait qu’elle vise à contrôler la quasi-totalité des vingt-quatre oblasts.

Dans les airs, l’armée de l’air russe, autrefois redoutée, a perdu son importance. Elle n’a pas réussi à avoir un effet opérationnel décisif en raison de la menace que représentent les défenses aériennes de l’Ukraine. Les frappes ukrainiennes à longue portée ont contraint les avions de combat russes à se déplacer à plus de 300 kilomètres du front, sacrifiant ainsi leur efficacité opérationnelle. Après que l’Ukraine a été autorisée à utiliser des armes de fabrication occidentale contre des cibles militaires à l’intérieur de la Russie, le nombre de frappes aériennes russes et l’utilisation de bombes planantes guidées ont diminué jusqu’à 75 % dans certaines régions.

Dans le même temps, l’Ukraine intègre des systèmes occidentaux avancés tels que les F-16, les Patriot, les NASAMS et les IRIS-T, érodant encore davantage l’ambition de la Russie d’établir sa suprématie aérienne sur l’Ukraine. Simultanément, un nombre croissant de frappes ukrainiennes à longue portée a mis en évidence de graves lacunes dans le réseau de défense aérienne russe. L’Ukraine détruit activement ses systèmes de défense aérienne S-300/400 afin de préparer le champ de bataille pour les F-16 et les futures opérations combinées.

L’Ukraine a également pris l’initiative dans la guerre des drones, en lançant des milliers de frappes à longue portée sur le territoire russe. L’ingéniosité ukrainienne se traduit par le développement d’une capacité de frappe à longue portée, notamment avec de nouveaux missiles-drones (« Palianytsia », « Ruta » et « Peklo »), avec les missiles de croisière « Trembita » et des drones ; par l’expérimentation d’essaims de drones; par le développement de drones d’interception pour contrer les attaques de drones russes ; par le développement de vaisseaux-mères transportant des drones d’attaque FPV légers à plus de 70 km de profondeur ; par la capacité d’abattre des hélicoptères russes avec des drones, et d’abattre des hélicoptères russes avec des missiles R-73 « Sea Dragon », tirés à partir de navires de surface sans équipage (USV) Magura V5 ; et enfin le lancement de drones FPV (First Person View) à partir de drones navals pour détruire les systèmes de défense aérienne russes.

L’Ukraine a pour objectif de produire au moins 30 000 drones à longue portée et environ 3 000 missiles de croisière et drones lance-missiles en 2025. Elle augmente sa production de drones FPV et est désormais capable de fabriquer jusqu’à quatre millions de drones par an.

Selon le ministère russe de la défense, l’Ukraine a lancé au moins 7 339 drones à longue portée contre la Russie en 2024. Les chiffres réels sont plus élevés en raison de l’omission par la Russie des frappes dans la profondeur de son territoire. Cela représente 71 % de tous les drones qu’elle aurait abattus au cours des deux dernières années et démontre une augmentation considérable de la capacité de frappe de l’Ukraine. Cette tendance se poursuivra en 2025.

L’Ukraine a détruit ou endommagé plus de 200 installations militaires en Russie au cours de l’année écoulée. Les systèmes de commandement et de contrôle, les bases aériennes et les industries de défense de la Russie sont visés. Des dizaines de raffineries de pétrole et de dépôts d’armes ont été détruits. Pour le seul mois de septembre, l’Ukraine a frappé quatre dépôts stratégiques de munitions situés à des centaines de kilomètres à l’intérieur de la Russie. Le tonnage total de munitions détruites représente la plus grande perte de munitions pendant la guerre. La campagne s’est poursuivie sans relâche depuis lors, réduisant progressivement la capacité de la Russie à faire la guerre.

Les avantages de l’artillerie russe sur le champ de bataille ont été en partie contrés par les drones ukrainiens. Les drones ukrainiens chassent et détruisent activement les capacités clés de la Russie, notamment ses armes lourdes. Cela se reflète dans la baisse du nombre de chars, de véhicules blindés de transport de troupes et d’artillerie russes encore en service. Depuis longtemps, la Russie perd plus d’armes qu’elle ne peut en remplacer. La Russie vit sur ses réserves. Sur les 1 530 chars livrés en 2023, près de 85 % étaient de vieux T-72, T-62 et même quelques T-55 des années cinquante. Ses ressources sont limitées et finiront par s’épuiser.

Ces derniers mois, les forces russes ont déployé de moins en moins de chars et de véhicules blindés pour soutenir leurs assauts contre les positions ukrainiennes. Son avantage en matière d’artillerie n’a cessé de diminuer, passant de 10 contre 1 à 1,5 contre 1. La diminution des ressources de la Russie est le signe d’un effondrement imminent de sa capacité militaire.

Sur mer, l’Ukraine a neutralisé la domination russe en mer Noire. Les frappes incessantes sur la flotte de la mer Noire (FMB) l’ont obligée à quitter la Crimée vers la Russie continentale, éliminant ainsi sa capacité à faire respecter un embargo maritime. Le soi-disant « porte-avions insubmersible » de la Russie (la Crimée) est désormais un handicap, emblématique d’une marine poussée jusqu’à ses limites par son infériorité technologique et ses échecs stratégiques.

Le tableau d’ensemble est clair : les avantages initiaux de la Russie s’érodent progressivement sous le poids de la résistance soutenue et de l’ingéniosité stratégique de l’Ukraine. Alors que la Russie espérait soumettre l’Ukraine en la broyant, c’est désormais son effort de guerre qui risque de s’effondrer. La question n’est pas de savoir si l’Ukraine pourra tenir, mais combien de temps la Russie pourra soutenir son pari perdant.

Les défis de la Russie

Sur le plan économique, l’économie de guerre de la Russie se dirige progressivement vers l’effondrement. En 2025, les dépenses consacrées à la sécurité et à la défense dépasseront l’ensemble des dépenses consacrées aux soins de santé, à l’éducation et à la politique socialeLe président Poutine a approuvé un budget dont environ 32,5 % ont été alloués à la défense nationale.

Selon les déclarations en juillet d’Elvira Nabiullina, la directrice de la Banque centrale russe, « les réserves de main-d’œuvre et les capacités de production de l’économie russe sont presque épuisées et l’économie est maintenant en état de “surchauffe”. Les entreprises n’ont pratiquement aucune marge de manœuvre pour augmenter leur production […]. Il s’agit d’un scénario de stagflation, et il ne sera possible de l’arrêter qu’au prix d’une profonde récession. »

Avoir perdu près de 800 000 soldats, tués ou blessés, et une grande partie de ses chars, véhicules blindés et pièces d’artillerie depuis le début de la guerre n’est pas le signe d’une stratégie de guerre gagnante. Pas plus que le fait que son armée de l’air « supérieure » soit réduite à un rôle de spectateur passif, tandis que la flotte de la mer Noire est décimée par un pays « sans marine ».

En 2022, l’Ukraine a détruit les forces d’élite de la Russie. En 2022, 2023 et 2024, elle a tué ou blessé respectivement environ 100 000, 250 000 et 430 000 soldats russes. Les pertes de l’agresseur ont augmenté de façon spectaculaire chaque année. En 2024, la Russie a subi les pertes les plus élevées depuis le début de la guerre. D’après les tendances observées, elle devrait subir entre 530 000 et 560 000 pertes en 2025, car sa guerre d’agression devient de moins en moins tenable et la crainte d’une défaite stratégique augmente rapidement.

À partir de 2025, l’Ukraine pourrait finalement « détruire » les forces armées russes et préparer le Kremlin à une catastrophe imprévue, comparable à la chute d’Assad en Syrie. La Russie est à court d’armes lourdes, nécessaires pour maintenir une force terrestre efficace, ce qui l’oblige à dégarnir ses forces en Extrême-Orient, au moment où les nationalistes chinois demandent à la Russie de restituer des terres qui, selon eux, ont été volées par le Kremlin au XIXe siècle.

Les défis de l’Ukraine

De son côté, l’Ukraine a de grandes préoccupations à gérer. Les Ukrainiens n’ont pas de certitude sur l’implication de la nouvelle administration présidentielle américaine. D’un côté, ils se félicitent de la nouvelle dynamique que le président élu Donald Trump pourrait apporter. Il pourrait décider de démontrer la force des États-Unis face à la Russie. D’un autre côté, ils voient également le risque d’une politique étrangère qui sape l’espoir de survie de l’Ukraine. Cela consisterait en des négociations et un accord de paix aux conditions du président Poutine, la réduction de l’aide militaire, ainsi que le refus de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

L’Ukraine est également confrontée à des problèmes structurels internes. Ses forces armées sont décrites en termes d’ « avant Zaloujny » et « après Zaloujny ». Alors que l’ancien chef de l’armée avait mis à l’écart les officiers plus âgés, le général Syrsky en a rappelé un grand nombre à des postes de direction. Simultanément, les forces mobilisées et les volontaires ont apporté un nouvel état d’esprit dans les rangs. D’où d’énormes frictions entre ce qui est trop souvent considéré comme un « leadership hérité de l’ère soviétique » et l’état d’esprit moderne de la société civile.

En outre, l’armée ukrainienne fait face à une série de difficultés, allant du manque de défense aérienne à l’absence d’armes lourdes, en passant par le manque d’hommes. Elle continue de reculer devant un ennemi supérieur en nombre (sa seule supériorité). Soucieux d’éviter les décisions impopulaires, le gouvernement ukrainien a retardé la mobilisation de contingents suffisants. Le processus de constitution des unités armées a été vivement critiqué comme étant chaotique et non professionnel, ce qui a entraîné des pertes qui auraient pu être évitées. Des brigades et des bataillons expérimentés et prêts au combat se retrouvent en sous-effectif pendant que de nouvelles unités sont mises en place. Le processus de fortification des tranchées a parfois été marqué par des scandales et de la corruption. En outre, l’Ukraine est exposée à des frappes de missiles et de drones de plus en plus intenses et souffre par conséquent de pénuries en énergie et en chauffage.

Malgré cela, l’Ukraine a toujours l’avantage. Tout d’abord, elle mène une guerre existentielle et est donc bien plus motivée que les soldats russes. Il n’est pas question de baisser les bras. Deuxièmement, l’Ukraine fait preuve d’une ingéniosité bien plus grande que la Russie grâce à une société civile forte, résistante et démocratique. Troisièmement, l’Ukraine est soutenue par plus de 50 pays démocratiques qui ont compris depuis longtemps que la sécurité et la stabilité de l’Europe reposent sur le destin de l’Ukraine.

Conclusion

La Russie se dirige vers une défaite stratégique en 2025 parce qu’elle est vaincue sur mer, dans les airs, dans l’espace et dans le cyberespace. Sa guerre terrestre s’arrêtera lentement en raison des pertes massives d’armes, d’équipements et, surtout, d’hommes. Cette tendance à la défaite dans cinq des six champs de la guerre est de moins en moins tenable.

En février, l’Institut international d’études stratégiques britannique (IISS) a estimé que la Russie n’était capable de poursuivre la guerre que pendant deux ou trois ans. En juillet, des experts ont estimé que la Russie atteindrait un « point critique d’épuisement » dès 2025. Le 22 décembre, une source ouverte qui suit les dépôts militaires par imagerie satellite a partagé une évaluation actualisée des réserves de chars et de véhicules blindés russes. Il reste 47 % de ses réserves de chars d’avant-guerre, 52 % de ses réserves de véhicules de combat d’infanterie d’avant-guerre, et 45 % de ses réserves de véhicules blindés de transport de troupes d’avant-guerre. La Russie a utilisé la plupart de ses nouveaux chars T-90 et T-80, mais elle a encore en stock la majorité de ses chars de l’époque soviétique, dont beaucoup sont probablement fortement dégradés par les intempéries et le temps. Selon l’IWS, « il semble de plus en plus improbable que l’armée russe puisse maintenir son rythme annuel actuel de perte de près de 9 000 véhicules blindés jusqu’en 2025 ».

L’Union soviétique s’est retirée d’Afghanistan en 1989 après avoir perdu 50 000 hommes. La Russie devrait perdre cette année entre 530 000 et 560 000 hommes, ce qui portera le nombre total de tués et de blessés à 1,4 million de soldats. Les pertes en hommes ne constituent pas seulement un risque croissant pour le régime, elles sont intenables.

La Russie se dirige vers une défaite stratégique, à moins qu’elle ne remporte la bataille dans l’espace cognitif occidental, où elle injecte le faux récit que l’Ukraine est en train de perdre. L’offensive actuelle de la Russie pourrait constituer le dernier effort désespéré pour renforcer cette idée.

Poutine rejettera tout plan de négociations de paix proposé par Trump qui ne tiendrait pas compte des soi-disant « préoccupations de sécurité » de la Russie. La Russie a affirmé à plusieurs reprises qu’elle était prête à reprendre les « négociations » si l’Ukraine comprenait les « réalités sur le terrain » et acceptait les conditions préalables de Poutine, créant ainsi les conditions de la prochaine phase de la guerre. Comme nous l’avons souligné précédemment, l’Europe devrait avoir peur si Poutine acceptait le plan de paix proposé par les États-Unis.

Les perspectives stratégiques de l’État agresseur deviendront extrêmement sombres si les États-Unis et l’Europe reprennent le dessus dans leur espace cognitif et trouvent le courage d’agir. 

Desk Russie remercie Euromaidan Press pour l’autorisation de traduire et de publier cet article. Lire l’original.

midttun bio

Hans Petter Midttun est un expert en matière de sécurité et de défense, spécialisé dans l'analyse de la guerre hybride. Il occupe actuellement le poste de chercheur non résident au Centre for Defence Strategies et est membre du conseil d'administration de l'Institut ukrainien pour la sécurité et le droit de la mer.

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