La jeunesse ukrainienne

La famille Bazylevytch sur le campus de l'Université catholique ukrainienne // Chaîne Telegram d’Andriy Sadovy, le maire de Lviv

Le 4 septembre, une frappe de missiles et de drones russes sur un quartier résidentiel de Lviv a coûté la vie à sept personnes, dont la famille Bazylevytch : Yevheniya, 43 ans, et ses trois filles – Yaryna (21 ans), Daryna (Darya) (18 ans) et Emilia (7 ans). 50 personnes ont été blessées. Le père de la famille Bazylevytch, Yaroslav, a survécu parce qu’au moment de l’impact, il s’était éloigné des siens, regroupés dans l’escalier, pour aller chercher de l’eau. Il est gravement blessé. Yaryna a travaillé en tant que responsable du programme « Lviv – Capitale européenne de la jeunesse 2025 ». Darya était étudiante à la faculté des sciences humaines de l’Université catholique de Lviv. Les trois sœurs appartenaient au mouvement des scouts ukrainiens.

Poète et enseignant de l’histoire de la culture, Ostap Slyvynsky rend hommage à son étudiante Darya et parle de la jeunesse ukrainienne.

Aujourd’hui, je ne cesse de penser à Darya Bazylevytch, enterrée hier avec sa mère et ses deux sœurs. Ce printemps, elle assistait à mes conférences. Je la regardais souvent, car il est important d’avoir un contact visuel avec quelqu’un qui écoute attentivement. Darya, jeune fille menue aux cheveux clairs, était d’habitude assise au premier rang. En mai, elle a écrit dans l’un de ses essais : « Ce dont nous rêvons n’est pas toujours aussi parfait que nous l’imaginons. Souvent, notre vie est meilleure que ce que nous pouvons imaginer. »

Si je pouvais pleurer, je le ferais, mais mes larmes sont épuisées depuis longtemps, il ne me reste qu’un engourdissement. J’aime profondément cette génération actuelle, celle des jeunes de 18 ans. Ils sont déterminés, pragmatiques, passionnés. Ils savent s’organiser et poursuivre ce qui a de la valeur à leurs yeux. Contrairement à nous, génération anarchique et souvent dissipée, ils apprécient leur corps, leur temps. Ils sont assertifs et exigeants. Quand je parle avec eux, je retrouve l’envie de vivre.

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Darya (Daryna) Bazylevytch // Page Facebook d’Ostap Slyvynsky

Je ne comprends pas comment eux et cette Russie plongée dans un marécage anachronique gluant peuvent coexister sur la même planète. Le missile qui a tué Darya n’a pas traversé l’espace, mais le temps. Ils n’auraient pas dû se croiser, ils auraient dû rester dans des dimensions différentes.

Nous, ma génération, qui avons longtemps gravité autour du bourbier russe en essayant d’en tirer quelque chose d’ « utile », sans ressentir l’odeur de mort, devrions-nous éprouver de la culpabilité ? Probablement, oui. Mais pas pour nous flageller, car cela ne mène nulle part. Cette culpabilité doit se transformer en ouverture : nous devons écouter ceux qui n’ont pas été souillés par ce bourbier, c’est-à-dire nos enfants. Ils ont quelque chose à nous offrir, même si cela est difficile à exprimer en mots.

Quand ils rejettent catégoriquement toute tentative de compromis avec le mal, même l’ombre du mal, même l’ombre de l’ombre du mal, nous devons les écouter. Et agir en conséquence. C’est peut-être la seule chose que nous puissions réellement faire, après les avoir amenés dans ce monde insensé.

Traduit de l’ukrainien par Desk Russie. Version originale.

Ostap Slyvynsky est un poète, essayiste, traducteur, critique littéraire, philologue et universitaire ukrainien, membre du PEN Ukraine. Il vit à Lviv.

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