Alexander Makogonov, le propagandiste nouvelle génération

Alexander Makogonov // LCI, capture d'écran

Il y a quelques jours, TF1 a annoncé que les accréditations diplomatiques du chef du bureau de presse de l’ambassade de Russie en France Alexander Makogonov n’ont pas été renouvelées par le ministère français des Affaires étrangères, et que Makogonov a dû retourner à Moscou. Avant même cette annonce, divers cercles pro-russes en France ont exprimé leur regret d’être désormais privés de la présence en France de ce personnage médiatique. C’est une occasion de revenir sur le parcours de ce diplomate qui a été régulièrement invité sur des plateaux télévisés français.

Parmi les multiples visages de la propagande russe en France, Alexander Makogonov a acquis une renommée internationale le 4 juin 2024, lorsqu’il a fait une déclaration sur BFM TV concernant les instructeurs militaires français en Ukraine. Il a affirmé que si ces instructeurs entraînaient des soldats ukrainiens « à mieux cibler et tuer des Russes », ils deviendraient eux-mêmes des cibles légitimes. Cette menace directe a provoqué un tollé dans les médias internationaux et a été rapidement condamnée par le ministère français des Affaires étrangères. 

Contrairement à de nombreux propagandistes russes typiques, Makogonov ne correspond pas au moule attendu. Il utilise son physique de playboy pour influencer l’opinion publique française, ce qui contraste fortement avec des figures comme Elena Karaïeva et Alexeï Pouchkov. François Asselineau, dont on connaît le penchant pro-russe, le qualifiait de « brillant francophone dont les arguments faisaient mouche sur BFMTV ». Ses tactiques persuasives en ont fait un porte-parole efficace, bien que hautement controversé, qui apparaît plus comme un soldat de la guerre de l’information qu’un diplomate. 

La carrière diplomatique de Makogonov est peu conventionnelle. Diplômé de l’Institut d’État des Relations internationales de Moscou, il est arrivé en France en 2006. À l’ambassade, il travaillait au service culturel, où il a mis en œuvre divers « événements culturels » organisés par la Fédération de Russie ou des sympathisants du Kremlin. En décembre 2015, Makogonov a été officiellement identifié comme le deuxième secrétaire de l’ambassade de Russie et membre de la délégation russe à la Conférence de Paris sur le climat. Ce rôle, inhabituel pour une personne principalement impliquée dans les affaires culturelles, laissait supposer sa véritable profession : le renseignement. En février 2016, Makogonov était le seul fonctionnaire de l’ambassade à accompagner l’ambassadeur Alexandre Orlov à Monaco pour une rencontre avec le Premier ministre Serge Telle. 

Jusqu’à son rappel à Moscou en 2017, Monaco était une destination fréquente pour Makogonov qui séjournait souvent à l’hôtel de luxe Fairmont Monte-Carlo. Apparemment, sa mission était surtout axée sur la veille dans la communauté d’expatriés russes sur la Côte d’Azur et à Monaco, qu’il fréquentait assidûment. Avant de devenir le porte-parole de l’ambassade en 2019, la seule expérience médiatique de Makogonov était avec le magazine Russian Roulette, enregistré à Londres, mais diffusé principalement en France en langue russe.

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Alexander Makogonov et Olga Mayr au lancement de Russian Roulette. Monaco, été 2015 // Compte Instagram du magazine

Le magazine Russian Roulette a été lancé en 2015 par la société d’édition londonienne OMB Publishing. Dès le début, le magazine s’est positionné comme publication traitant du luxe et du glamour. Selon son site Internet, ses principaux centres d’intérêt sont « tout ce qui relève de la catégorie “luxe” » ainsi que « les questions sociales pertinentes pour ceux qui ont de la chance ». Publication médiocre dont le but reste obscur, Russian Roulette n’a jamais eu de marques de grand luxe parmi ses annonceurs ; elle n’a même jamais atteint le seuil de rentabilité et reste toujours une entreprise hautement déficitaire, financée entièrement par ses éditeurs. En 2023, le magazine avait accumulé un solde négatif de plus de 400 000 euros, selon des sources gouvernementales britanniques. 

Dès le lancement de Russian Roulette à l’été 2015, Makogonov, qui n’écrivait rien, fut néanmoins un habitué du magazine, assistant à ses fêtes et apparaissant même dans une séance photo de 2016 intitulée « L’Étranger », où il posait aux côtés d’un mannequin féminin dans une série d’images romantiques en noir et blanc de mauvais goût. 

En septembre 2016, le magazine Marianne a évoqué Russian Roulette dans un article intitulé « Comment la Russie de Poutine déploie ses réseaux en Europe ». Marianne décrivait ainsi le profil de Russian Roulette : « On y trouve un mélange racoleur de sujets people et d’histoires d’espionnage, sur fond de petites annonces […]. Membre de la rédaction depuis le premier numéro, le porte-parole officieux des services secrets russes à Moscou Oleg Netchiporenko, un colonel du KGB à la retraite, jadis affecté à la lutte contre la station américaine Radio Liberty… Ce cas est loin d’être isolé. »

En effet, le colonel du KGB Oleg Netchiporenko est une figure connue dans les domaines de l’espionnage et de la guerre de l’information. Netchiporenko a commencé son travail dans les services secrets en tant qu’assistant de Ramón Mercader, l’assassin de Léon Trotsky, lorsque Mercader a été libéré de la prison mexicaine et est arrivé à Moscou. Au cours de sa carrière, il a rencontré Lee Harvey Oswald en 1963, il a été expulsé du Mexique en 1971 pour avoir aidé un groupe terroriste marxiste, et a été impliqué dans l’attaque contre Radio Free Europe/Liberty à Munich en 1981. Dans les années 1980, il a supervisé les programmes de radio et de télévision soviétiques. Il était chargé des relations publiques du KGB et surveillait les dissidents soviétiques à l’étranger. Dans les années 1990, Netchiporenko est devenu un expert de la lutte contre le terrorisme, travaillant avec diverses organisations liées au FSB et à l’Organisation du traité de sécurité collective dirigée par la Russie. Il a également été impliqué dans des attaques publiques contre Leonid Rozhetskin, un avocat, homme d’affaires et magnat des médias russo-américain et britannique et critique de Vladimir Poutine, qui a disparu en 2008 et dont le corps a été retrouvé en Lettonie en 2012. 

Oleg Netchiporenko

Il est plutôt inhabituel de voir quelqu’un comme l’ancien tchékiste Netchiporenko faire partie d’un magazine sur le glamour et le luxe. Même si nous ne possédons pas de preuves de contacts directs entre Netchiporenko et Makogonov, les visites fréquentes de Makogonov à Russian Roulette pourraient être plus qu’une simple coïncidence. Le troisième personnage énigmatique de Russian Roulette est sa rédactrice en chef, Olga Mayr, dont le passé professionnel reste un mystère — il n’y a pratiquement aucune trace d’elle sur Internet. Or aussi bien Netchiporenko que Makogonov étaient en contact étroit avec elle. 

Olga Mayr et Oleg Netchiporenko // Compte Facebook de Mayr
Alexander Makogonov et Olga Mayr // Compte Instagram de Russian roulette

Le réseau qui sous-tend les efforts de la propagande russe est complexe et souvent obscur. La trajectoire de Makogonov, passant d’attaché culturel à un propagandiste de premier plan, illustre les stratégies multidimensionnelles employées par le Kremlin pour influencer l’opinion publique et recueillir des renseignements à l’étranger. En tant que visage public de l’ambassade de Russie, Makogonov est devenu un maître dans l’art de délivrer les éléments de langage du Kremlin de manière lisse et convaincante. Son rôle ne consistait pas seulement à diffuser des déclarations officielles, mais aussi à participer à des apparitions médiatiques, où sa capacité à naviguer sur des questions délicates et à détourner la critique, pratiquant parfois le mensonge outrancier tout en regardant droit vers la caméra, est pleinement démontrée. Son ascension vers la notoriété met également en lumière la stratégie plus large du Kremlin, qui consiste à déployer des individus capables de s’intégrer parfaitement dans les sociétés qu’ils sont chargés d’influencer. 

L’histoire de Makogonov est un exemple éclairant de la lutte géopolitique plus large entre la Russie et l’Occident. Ce diplomate représente une nouvelle génération de propagandistes-opérateurs, combinant une formation diplomatique traditionnelle avec des tactiques médiatiques modernes pour promouvoir les intérêts de l’État russe. Son parcours professionnel, marqué par un mélange de diplomatie culturelle et de renseignement, souligne la complexité et la subtilité des opérations de propagande contemporaines. D’où la nécessité de vigilance et de contre-mesures pour protéger l’intégrité du discours public et contrer la désinformation russe flagrante. Le renvoi de Makogonov à Moscou est à saluer. 

François Millet est un pseudonyme. L'auteur est spécialiste de l'histoire des services de renseignement et enseigne dans un prestigieux établissement français d'études supérieures.

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