L’histoire de la Bélarusse Maria Zaïtseva, depuis les manifestations à Minsk jusqu’à sa mort sur le front en Ukraine
Peu de gens en France savent que de nombreux Bélarusses opposants au régime de Loukachenko sont partis se battre en Ukraine, notamment au sein du régiment Kastous Kalinowski. L’un des sites de Radio Liberty en langue russe, Current time, raconte l’histoire d’une jeune Bélarusse, Maria Zaïtseva, morte héroïquement sur le front ukrainien le 17 janvier 2025. Cette publication est un hommage à la fois à Maria et à Radio Liberty, menacée de fermeture par l’administration Trump.
Le 9 août 2020, lors des manifestations contre l’élection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko aux présidentielles, Maria Zaïtseva, alors âgée de 19 ans, fut blessée par des éclats de grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc. Elle était venue à Minsk depuis une autre ville. Une photo d’elle, le visage ensanglanté, a circulé dans de nombreux médias bélarusses et internationaux.
« Je ne regrette pas d’être venue à Minsk pour les manifestations, au moins j’ai essayé d’apporter ma contribution à ce qui se passe. Et j’espère vraiment que toutes les victimes, moi compris, n’ont pas souffert en vain. Ce qui se passe dans les rues m’aide réellement à garder le moral », racontait Zaïtseva dans une interview accordée au service bélarusse de Radio Liberty alors qu’elle était encore à l’hôpital.

Parmi d’autres blessures, on lui diagnostiqua une rupture du tympan, un déplacement de l’oreille interne et une fracture de la partie temporale de l’os frontal. Elle subit plusieurs opérations au Bélarus. Peu après, elle fut évacuée vers la Tchéquie pour y recevoir des soins dans le cadre du programme médical humanitaire Medevac.
Son audition ne put être entièrement restaurée. Maria resta presque sourde de l’oreille droite. Ses proches se souviennent que cette perte fut pour elle une tragédie. « La musique représentait une part immense de la vie de Macha », dit Lana, une amie proche de Maria.
Après son évacuation vers la Tchéquie, Maria Zaïtseva suivit des cours de tchèque et se préparait à entrer à l’université. Mais suite à l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, Maria se consacra entièrement à l’aide aux réfugiés ukrainiens en Tchéquie. Ce qu’elle vivait alors était difficile à supporter : certains de ses amis, eux aussi évacués du Bélarus vers la Tchéquie, décidèrent de partir au front.
L’un d’eux était Timour Mitskevitch. En 2020, il fut évacué du Bélarus. Lors des manifestations de masse, alors qu’il n’avait que 16 ans, il fut battu et torturé par les forces de l’ordre. Ses blessures étaient si graves qu’il tomba dans le coma. Pendant qu’il était inconscient, sa mère mourut, et il se retrouva totalement seul. À peine âgé de 18 ans, il décida de s’engager dans les forces armées ukrainiennes pour combattre aux côtés de l’Ukraine.
Quand Timour partit de Prague, Maria décida elle aussi de se rendre au front. Elle voulait agir de manière à se rapprocher d’un éventuel retour au Bélarus. Ses amis racontent que, bien qu’elle se soit partiellement intégrée à la société tchèque, elle ne s’y sentait pas vraiment à sa place. Pour elle, la liberté de son pays passait par celle de l’Ukraine.
Zaïtseva écrivit au régiment Kastous Kalinowski, composé de Bélarusses et intégré aux forces armées ukrainiennes. Après quelque temps, elle fut acceptée.
À son arrivée en Ukraine, Maria fut affectée à la Deuxième Légion internationale de défense du pays. Au Bélarus, elle avait étudié pour devenir vétérinaire et acquis des compétences médicales. C’est pour cette raison qu’elle fut d’abord envoyée sur un poste médical. Plus tard, elle participa à l’évacuation des soldats blessés depuis la ligne de front. Un de ses commandants déclara au service bélarusse de Radio Svoboda que Maria aidait également à traduire pour d’autres combattants étrangers.
Lors de combats intenses, alors que les médecins manquaient en première ligne, elle se porta volontaire pour dispenser des soins dans les tranchées, racontent ses camarades. L’ancien commandant de son unité, Rouslan Mirochnitchenko, se souvient qu’elle cherchait toujours à être « là où ça chauffait ». « Derrière elle, il y a des vies sauvées », dit Mirochnitchenko.
Un autre commandant et camarade de Maria, Rouslan Romachnitchenko, confia à Deutsche Welle que malgré les dangers sur le champ de bataille et la jeunesse de Maria, elle restait toujours calme. « Ce qui m’a frappé, c’est sa détermination et sa concentration sur le travail, sa soif d’apprendre, son calme. Elle avait l’air d’un roc : posée, froide. Et en même temps, c’était une personne très ouverte et chaleureuse », dit-il.
Un jour, elle fut blessée : une fusée éclairante explosa dans sa main gauche. Elle subit de graves brûlures, et plusieurs os de sa main furent broyés. À la suite de cette blessure, Maria retourna en Tchéquie pour y recevoir des soins et faire de la rééducation. Mais, se souviennent ses amis, elle ne voulait pas revenir à la vie civile. Peu après, elle annonça son souhait de suivre une formation de tireuse d’élite et de retourner sur le front.
Une fois sa rééducation terminée, Maria revint en Ukraine. Malgré les réticences de son commandement et les tentatives pour la dissuader, elle campa sur ses positions. Selon ses camarades, son désir de revenir au front en tant que militaire était lié à la perte de compagnons d’armes, notamment de son ami surnommé « Minsk », tombé au combat à l’été 2023. Après plusieurs mois d’entraînement, elle fut envoyée en novembre 2024 sur la ligne de front dans la région de Donetsk comme tireuse d’élite. « Je crois qu’elle voulait se venger : pour “Minsk”, et pour Minsk », dit son amie « Santa ».
Elle a célébré son dernier anniversaire sur le front : le 16 janvier 2025, elle fêtait ses 24 ans. Le lendemain, elle est morte lors de combats contre l’armée russe.
« Cette nuit-là, près de Pokrovsk, elle a très bien travaillé. Mais l’artillerie a fait son œuvre », se souvient « Santa ».
Le besoin d’agir et d’aider les autres était le fil rouge de tout ce que faisait Zaïtseva. Son CV ne commence ni par ses expériences professionnelles ni par ses diplômes, mais par une phrase indiquant qu’elle cherche un travail « véritablement utile à la société et qui lui permette d’aider ceux qui en ont besoin ».
Ses proches évoquent la diversité de ses passions. En plus de parler six langues, Maria dessinait, jouait au football américain et pratiquait l’escrime.
Après les manifestations de 2020, l’identité bélarusse prit une place centrale dans la vie de Maria Zaïtseva. En exil, elle continua de participer à des actions de protestation contre le régime de Loukachenko. Elle en parlait beaucoup à ses proches comme aux journalistes. « Je ne peux plus détacher ma vie du Bélarus. C’est le Bélarus ou rien. J’y ai laissé ma santé. Je croyais vraiment à notre idée, et je veux de tout cœur que mon pays réussisse. Je veux voir cela et y retourner », disait-elle dans une interview.
Ses amis se souviennent qu’à Prague, elle apprenait à cuisiner des plats traditionnels bélarusses comme les draniki et la kramamboulia. À un moment donné, elle décida de passer entièrement à la langue bélarusse. Maria est la première volontaire bélarusse à tomber au combat pour l’Ukraine. Ses funérailles ont eu lieu le 4 février.
Les parents de Maria Zaïtseva n’ont pas pu venir en Ukraine pour son enterrement. Des dizaines de ses camarades sont venus faire leurs adieux à Maria. « C’est une perte immense pour tout le bataillon. Parce qu’elle était aimée de tous. Nous avons perdu un membre de notre famille, une part de nous-mêmes », a déclaré Ruslan Mirochnitchenko au service bélarusse de Radio Svoboda.
« C’était une guerrière forte, dit Mirochnitchenko. Elle a donné sa vie pour notre liberté et la vôtre. Pour un Bélarus libre et une Ukraine libre. »
Traduit et édité par Desk Russsie.
Current Time est un média de langue russe lancé en 2014 par les organisations
américaines Radio Free Europe/Radio Liberty et Voice of America.