Le problème n’est pas la force de la Russie… mais notre faiblesse 

Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, et Pete Hegseth, secrétaire à la Défense des États-Unis, le 5 juin dernier // nato.int

Nous publions un discours que le chercheur britannique Edward Lucas a récemment prononcé à Londres. Selon lui, Trump a radicalement changé le monde, mais notre mal est plus profond. Pendant des dizaines d’années, les Européens n’ont pas essayé de se préparer à une nouvelle guerre, en se fiant à la défense américaine. Aujourd’hui, la meilleure chance de survie pour l’Europe, face au danger russe imminent, est la défense de l’Ukraine. Mais sommes-nous prêts à jouer notre va-tout ? 

Je ne vais pas vous mettre en garde contre une guerre future ni vous expliquer comment l’éviter. Je suis ici pour vous parler d’une guerre qui est déjà en cours. La situation va empirer avant de s’améliorer, et je ne suis pas du tout convaincu que nous allons gagner.

Il est facile de blâmer le président Trump, et j’aurai beaucoup à dire plus tard sur son administration incompétente et cynique. Mais nous ne pouvons pas blâmer Trump, ni les Américains, pour les erreurs que nous avons commises nous-mêmes.

  • Ce n’est pas Donald Trump qui a poussé notre pays à ouvrir son système financier, puis son système politique, à l’argent sale.
  • Ce n’est pas Donald Trump qui a poussé les pays d’Europe continentale à ouvrir leurs marchés énergétiques au pétrole et au gaz russes.
  • Ce n’est pas Donald Trump qui nous a tous poussés, à quelques exceptions près, à réduire nos budgets de défense à leur plus simple expression, voire au-delà.
  • Ce n’est pas Donald Trump qui nous a poussés à dépenser si mal notre budget de défense de 60 milliards de livres sterling, si bien que nous nous retrouvons avec plus d’amiraux que de navires, plus de généraux que de chars, des porte-avions sans avions, des navires sans marins, des avions sans pilotes, le plus petit nombre de pièces d’artillerie depuis le XIVe siècle, une armée incapable de déployer une seule division de combat et des stocks de munitions qui seraient épuisés en une semaine.
  • Ce n’est pas Donald Trump qui a rendu la défense européenne si totalement dépendante des stocks, des plans, du commandement et du contrôle, du renseignement, de la logistique et de la puissance de feu des États-Unis, sans parler du parapluie nucléaire.
  • Ce n’est pas Donald Trump qui nous a poussés à construire des infrastructures et des systèmes commerciaux critiques vulnérables aux cyberattaques et au sabotage.
  • Ce n’est pas Donald Trump qui nous a fait ignorer les avertissements répétés depuis le début des années 1990 par les Estoniens, les Lettons, les Lituaniens, les Polonais et d’autres, selon lesquels nous étions confrontés à un danger grave et croissant de la part de la Russie. Ce n’est pas Donald Trump qui a invité l’Ukraine à rejoindre l’OTAN en 2008, puis qui n’a pas soutenu l’Ukraine lorsque la Russie l’a attaquée.

Tout cela, nous nous le sommes fait à nous-mêmes.

Nous l’avons fait parce que nous étions naïfs.

Nous l’avons fait parce que nous étions complaisants.

Parce que nous étions arrogants.

Et surtout parce que nous étions cupides.

Et maintenant, nous en récoltons les conséquences.

J’ai passé la majeure partie de ma vie à m’occuper de la région que nous appelions autrefois l’Europe de l’Est. J’ai vécu derrière le rideau de fer. Je suis probablement la seule personne dans cette salle à avoir été interrogée par le KGB – quelqu’un d’autre veut revendiquer ce titre ? J’ai été arrêté, expulsé, battu, espionné. J’ai couvert deux guerres et trois révolutions. J’ai intenté deux procès en diffamation contre de dangereux oligarques russes.

En 2018, j’ai été le premier témoin à comparaître devant la commission du renseignement et de la sécurité dans le cadre de l’enquête sur la Russie. Protégé par la loi sur les secrets officiels et le privilège parlementaire, j’ai pu avertir la commission la plus importante du Parlement des dangers qui menacent notre démocratie, et parler ouvertement de ce dont j’ai été témoin, ce que je ne peux pas faire ici devant vous.

Je n’ai jamais été aussi pessimiste qu’aujourd’hui.

La raison principale est que le monde a changé, il a changé à une vitesse fulgurante, et cela nous met gravement en danger.

En regardant autour de moi, je ne vois personne, même parmi cette vénérable assemblée, qui soit susceptible d’avoir un souvenir précis du monde avant le 11 décembre 1941. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que c’est le jour où Franklin D. Roosevelt a déclaré la guerre à l’Allemagne nazie. Ce lien forgé en temps de guerre a été le fondement de l’alliance anglo-américaine, le socle sur lequel s’est construite pendant des décennies ce que nous appelons aujourd’hui l’Occident.

Il a servi de base au débarquement du jour J, au plan Marshall et à la reconstruction de l’Europe après la défaite des nazis, au pont aérien de Berlin, à la création de l’OTAN, aux efforts militaires et politiques colossaux déployés d’abord pour ne pas perdre la guerre froide, puis pour la gagner, à la reconstruction de l’Europe de l’Est après l’effondrement du communisme, au système financier et commercial mondialisé et fondé sur des règles qui a sorti des milliards de personnes de la pauvreté, et bien d’autres choses encore.

Ce monde a pris fin il y a un peu moins de cinq mois. Il a pris fin lorsque l’administration Trump a voté aux Nations Unies aux côtés de la Russie et contre les plus anciens et les plus proches alliés des États-Unis, sur une question de paix et de guerre en Europe. Ce n’était pas une aberration. Cela s’inscrit dans une tendance : l’utilisation des droits de douane comme arme ; l’intimidation du Groenland, du Danemark et du Canada ; la suppression des renseignements et d’autres aides à l’Ukraine ; les insultes gratuites à l’égard des alliés – « des profiteurs qui se donnent des airs », « des pays nés par hasard », selon le vice-président, qui n’ont pas fait la guerre depuis 30 ou 40 ans. Des pays décadents. Des pays qui doivent payer pour leur défense, comme s’il s’agissait d’un racket ; l’affirmation stupéfiante selon laquelle l’Union européenne a été créée pour nuire aux États-Unis ; le refus du secrétaire d’État de rencontrer le chef de la diplomatie européenne.

Un étonnant document publié récemment par le département d’État dit : 

Partout en Europe, les gouvernements ont transformé les institutions politiques en armes contre leurs propres citoyens et contre notre héritage commun. Loin de renforcer les principes démocratiques, l’Europe est devenue un foyer de censure numérique, de migrations massives, de restrictions à la liberté religieuse et de nombreuses autres atteintes à l’autonomie démocratique.

La menace est claire :

Le recul démocratique de l’Europe n’affecte pas seulement les citoyens européens, mais aussi, de plus en plus, la sécurité et les liens économiques des États-Unis, ainsi que la liberté d’expression des citoyens et des entreprises américains.

Comme me le rappellent mes amis américains partisans de Trump, les États-Unis sont intervenus vigoureusement dans la politique intérieure européenne pendant la guerre froide, en utilisant des outils financiers, juridiques et de propagande. À l’époque, l’objectif était de sauver l’Europe du communisme. Aujourd’hui, il s’agit de la sauver du « wokisme ».

Je ne suis pas nostalgique d’un âge d’or mythique du transatlantisme. Cette relation a toujours été difficile. Les États-Unis ont mené les négociations les plus dures avec la Grande-Bretagne pendant la lutte contre Hitler, et nous ont à nouveau mis à genoux après la guerre. Quelqu’un sait-il quand nous avons enfin fini de rembourser notre dette de guerre aux États-Unis ? (En 2006.)

Quelqu’un se souvient-il de 1956 ? Les États-Unis ont coupé l’herbe sous le pied de la Grande-Bretagne et de la France, censées être leurs plus proches alliés, pendant la crise de Suez.

Quelqu’un se souvient-il de la guerre du Vietnam ? De la guerre en Afghanistan ? En Irak ? Quelqu’un se souvient-il de la doctrine Nixon, qui exigeait que les Allemands de l’Ouest paient pour les bases américaines sur leur territoire ? Nixon a également imposé des droits de douane à ses alliés et a fait exploser le système financier mondial.

Les erreurs militaires américaines qui ont mis à rude épreuve notre alliance ne manquent pas, tout comme les erreurs diplomatiques. Les États-Unis ont souvent bâclé leur politique européenne. Ils ont mal interprété l’effondrement du communisme en essayant de maintenir l’Union soviétique, ils ont soutenu le régime corrompu et de plus en plus autoritaire d’Eltsine dans les années 1990 et ont systématiquement sous-estimé la menace que représentait Poutine.

Mais ces difficultés et ces désaccords n’étaient que des nuances comparées à ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je n’ai pas mentionné la Russie. En effet, nous devrions certainement nous inquiéter de la guerre contre l’Ukraine qui dure depuis trois ans, des crimes de guerre, des enfants kidnappés, des milliards de dollars de dommages, du million de victimes tuées ou mutilées, des millions d’autres traumatisées, endeuillées ou sans abri. Nous devrions certainement nous inquiéter de la formidable machine de guerre russe, du fait qu’à l’heure actuelle, la Russie dépense plus que toute l’Europe en matière de défense.

Croyez-moi, je pourrais vous ennuyer pendant des heures sur ce sujet.

Mais je vais laisser de côté la menace russe, pour une raison simple. La Russie n’est pas invincible, ce n’est pas ça le problème. La Russie n’est pas la Chine. Son économie est équivalente à celle de l’Italie. Sa population représente un tiers de celle de l’Europe.

500 millions d’Européens supplient 380 millions d’Américains de les défendre contre 140 millions de Russes qui, en trois ans, n’ont pas réussi à vaincre 40 millions d’Ukrainiens. N’est-ce pas pathétique ?

Pourquoi Poutine, comme ses prédécesseurs et peut-être ses successeurs, s’en tire-t-il avec son impérialisme meurtrier et sa politique militaire ?

Parce qu’il est déterminé et que nous ne le sommes pas. Il est prêt à prendre des risques et nous ne le sommes pas. Il souffrira économiquement et nous ne voulons pas souffrir.

Le problème n’est pas la force de la Russie, mais notre faiblesse. La guerre en Ukraine est un échec catastrophique de la dissuasion occidentale. Nous avons peur d’affronter la Russie, et Poutine le sait. Nous avons plus peur d’une défaite russe que de ce qui nous attend aujourd’hui : la victoire de la Russie.

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Photo : Ministère de la Défense russe

Nous ne voyons pas de chars russes rouler dans les rues de Bruxelles, Paris, Berlin et Rome. L’élite dirigeante européenne n’a pas été arrêtée au petit matin et déportée dans des camps de travail pour couper des arbres. Les commissaires du Kremlin n’ont pas imposé de contrôle sur le débat public, les médias et le monde universitaire. Personne ne risque de perdre son emploi pour avoir plaidé en faveur de l’unité et de la détermination face aux menaces de Washington et de Moscou. En bref, rien n’empêche les dirigeants européens de diriger, et de le faire efficacement, sauf eux-mêmes.

L’Ukraine nous a fait gagner du temps. Elle l’a payé de son sang, de sa sueur et de ses larmes. Nous avons gaspillé ce temps. Nous avons tergiversé. Nous nous sommes rangés derrière l’administration Biden. Elle aussi a tergiversé. Nous n’avons jamais imposé de véritables sanctions à la Russie. Nous avons gelé les avoirs de la banque centrale, soit 300 milliards de dollars, mais nous ne les avons pas saisis. Nous avons fourni des armes à l’Ukraine au compte-gouttes. Nous avons fourni de l’argent au compte-gouttes. Si nous avions donné à l’Ukraine ce dont elle avait besoin au début de la guerre, celle-ci serait terminée.

Et le monde a changé. Trump considère Poutine comme un ami et l’Europe comme un ennemi.

Les carottes ne sont pas encore tout à fait cuites. Il est encore possible que Poutine aille trop loin, agace suffisamment Trump pour que celui-ci commence à exercer au moins une certaine pression sur la Russie.

Il est également possible que le chaos au sein de l’administration Trump s’apaise. Il est possible que la pression des marchés, des électeurs, des tribunaux et des républicains au Congrès freine le processus.

Il est possible, si nous avons de la chance, que nous assistions à un retrait ordonné de la puissance américaine en Europe. Un transfert ordonné du partage des charges.

Mais même cela serait une énorme pagaille. Si nous jetons de l’argent sur le problème, déchirons les règlements antérieurs, sacrifions notre fierté nationale, nous pourrions peut-être remplacer la majeure partie de la présence militaire américaine en Europe en l’espace de six ou sept ans. Une décennie est beaucoup plus probable.

Mais nous n’avons pas une décennie. Nous n’avons même pas six ans.

La machine de guerre de Poutine fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an. Si nous obtenons une sorte de cessez-le-feu en Ukraine, la capacité militaire de la Russie va monter en flèche. Elle n’aura plus de pertes sur le front. Elle aura plus de chars, plus de munitions, plus de véhicules, plus de roquettes, plus de drones, plus de bombes. Avec l’impératif politique de maintenir la xénophobie et le sentiment anti-occidental à leur paroxysme.

Alors que nous avons besoin d’au moins six ans pour compenser le retrait américain, la Russie peut être prête à nouveau dans deux ou trois ans, pendant que Donald Trump sera toujours à la Maison-Blanche. Voire plus tôt. L’Europe se renforce de jour en jour. Pourquoi Poutine attendrait-il que nous soyons prêts ? Il n’a pas besoin de lancer une attaque à grande échelle contre l’OTAN, il lui suffit d’attaquer ce qui reste de la crédibilité de l’OTAN. Une annexion de territoires quelque part dans les États baltes, ou de certaines îles de l’Arctique, de la mer Baltique ou ailleurs, suivie de démonstrations de force nucléaire, de tirs d’essai de missiles et de cyberattaques. Acceptez le fait accompli, ou faites face à une guerre nucléaire…

Le but de cette attaque ne sera pas de gagner un pont, un village, une route ou un champ. Il s’agit de détruire l’OTAN en exposant nos divisions. Les pays en première ligne se battront. Ils savent ce qui est en jeu.

Mais qu’en est-il du reste d’entre nous ? Qu’en est-il des États-Unis ? Cette administration voudra-t-elle vraiment une confrontation totale avec le Kremlin pour ce que J. D. Vance qualifie d’ « escarmouche frontalière » ?

Les F-35, les HIMARS, les ATACMS et toutes les autres armes américaines de haute technologie, fonctionnant avec des systèmes de guidage et des logiciels américains, fonctionneront-ils quand nous en aurons besoin ? Je ne parierais pas là-dessus. De plus, sans les États-Unis, l’appareil de planification et de commandement de l’OTAN est paralysé.

Les États baltes, la Pologne, la Finlande, la Norvège… tous se battront seuls. Une grande question se pose pour notre pays : allons-nous les rejoindre et risquer que des bombes et des roquettes russes tombent également sur nos villes ? N’oubliez pas que nos défenses aériennes sont si faibles que nous ne pouvons défendre une grande ville que pendant une journée. Après cela, nous serons dans une situation pire que celle de l’Ukraine.

Poutine a l’initiative. Donald Trump aussi. Comme je l’ai mentionné, sa priorité, pour une raison ou une autre, est désormais l’amitié avec la Russie. Il est prêt à sacrifier l’Ukraine pour cela. Et, je le crains, les alliés européens aussi. Que se passera-t-il si Trump nous dit de forcer l’Ukraine à accepter l’accord qu’il aura conclu avec Poutine ? Nous dirons non. Et ensuite ?

Cela ouvrirait la voie à un retrait désordonné et hostile des États-Unis de l’Europe, une politique de la terre brûlée dans laquelle les États-Unis se comporteraient de manière vindicative et capricieuse envers les Européens. Si tel est le cas, nous nous dirigerons vers une collision inévitable, à laquelle nous ne survivrons pas. Nous sommes pris entre le marteau russe et l’enclume américaine.

Et ce n’est pas le pire. Le sentiment de trahison et la défaite imminente pourraient provoquer une implosion politique, économique et sociale en Ukraine. Il en résulterait un État résiduel aigri et défaillant – pensez à la Bosnie, mais en dix fois pire – et des millions de réfugiés furieux et misérables se dirigeant vers l’ouest, dont beaucoup seraient endurcis par les combats et traumatisés. Cela serait extrêmement déstabilisant pour toute l’Europe.

Il y a ensuite une autre grande inquiétude. Une méthode pourrait émerger du chaos politique. Certains fans de Kissinger à Washington veulent un nouvel accord avec Moscou qui changerait la donne, un accord dans lequel les Américains donneraient carte blanche à la Russie en Europe en échange de la fin du partenariat entre le Kremlin et Pékin.

Une partie du mal est déjà faite. Nous avons envoyé un message mortel au monde entier : le chantage nucléaire fonctionne. L’Ukraine n’aurait jamais dû échanger son arsenal nucléaire de l’ère soviétique contre la bonne volonté et les promesses vides du mémorandum de Budapest, signé en 1994. Le traité de non-prolifération, sans parler de l’espoir de débarrasser le monde des armes nucléaires, est mort, tout comme la garantie nucléaire américaine. Les pays d’Asie (et d’Europe) qui ne possèdent pas d’armes nucléaires se demandent désormais, dans le plus grand secret, s’ils doivent se doter de l’arme atomique, quand et comment. Cela ne s’arrêtera pas là. La Chine et la Russie considéreront ces projets comme des menaces existentielles et brandiront la menace de la guerre pour les empêcher. Ce qui se passe autour du programme nucléaire iranien est un avant-goût de ce qui nous attend dans les ruines de la Pax Americana.

Alors, comment faire face à tout cela ?

Une option consiste à se bercer d’illusions. Beaucoup de nos alliés n’arrivent pas à croire que les États-Unis aient changé. Comme un conjoint victime de violence conjugale, ils trouvent des excuses. Ce doit être un malentendu. C’est notre faute, nous l’avons mis en colère. Il finira par revenir à la raison.

Une autre option consiste à faire preuve de bravoure. Très bien, nous ferons cavalier seul. Dites à Trump d’aller se faire voir. Défendez le Groenland. Envoyez le roi au Canada. Répondez à ses droits de douane par des droits de douane. Envoyez une force militaire symbolique en Ukraine, même sans le soutien des États-Unis. Improvisez une sorte de force de dissuasion nucléaire à l’aide de sous-marins britanniques et d’avions français. Tentez quelques menaces : faites payer les États-Unis pour leurs bases. Formez de nouvelles alliances. Flirtez avec la Chine.

Mais quand on bluffe, il faut penser à ce qui se passera si le bluff est découvert. Par un simple message sur les réseaux sociaux, Trump peut retirer le parapluie nucléaire américain de l’Europe, en déclarant simplement qu’il ne risquera pas une troisième guerre mondiale pour des bellicistes. Il ne peut pas se retirer de l’OTAN, mais il peut transformer l’alliance en une coquille vide. Les troupes américaines en Europe seront de retour dans leurs casernes à la tombée de la nuit et de retour aux États-Unis dans l’année.

Si nous envoyons nos troupes en Ukraine, que se passera-t-il si la Russie les attaque ? Nous n’étions pas prêts à défendre correctement l’Ukraine lorsqu’elle était en train de gagner. Sommes-nous vraiment prêts à le faire maintenant qu’elle est en train de perdre ?

La Grande-Bretagne, en tant que plus proche allié des États-Unis, est dans la position la plus faible.

Notre force de dissuasion nucléaire, par exemple, repose sur des missiles Trident fabriqués aux États-Unis. Ceux-ci nécessitent un entretien régulier. Que se passera-t-il lorsqu’un de nos sous-marins nucléaires hors d’usage arrivera à King’s Bay, en Géorgie, et qu’on nous répondra « désolé, pas de rendez-vous aujourd’hui » ? Nous pourrons peut-être maintenir notre force de dissuasion pendant six mois, voire un an. Mais ensuite ?

Comme Donald Trump l’a dit à Zelensky, « vous n’avez pas les cartes en main ».

Pour être honnête, beaucoup de choses se passent actuellement. Le livre blanc sur la défense de la Commission européenne est un pas en avant notable. La Banque du réarmement, un projet dont je suis co-auteur, recueille de plus en plus de soutien. En coulisses, j’entends des rumeurs de discussions animées sur des sujets allant de la conscription aux armes nucléaires.

Les responsables politiques devront s’exprimer clairement et fermement sur tous ces sujets auprès de leurs électeurs. Ils devront également faire preuve d’humilité. Tous ces changements dans notre défense, notre dissuasion, notre résilience et notre sécurité seront désormais beaucoup plus coûteux, risqués et perturbateurs. Mais tout cela prend du temps. Et nous n’avons pas le temps.

Mais il y a une chose que nous pouvons faire dès maintenant. C’est soutenir l’Ukraine. Elle a de loin les forces armées les plus importantes et les plus aguerries d’Europe ; de loin l’industrie de défense la plus innovante et la plus productive. C’est un pays où les gens ne se contentent pas de croire en nos valeurs, mais sont prêts à mourir pour elles. Si l’Ukraine gagne, nous gagnons tous. Si elle perd, nous perdons tous.

J’aimerais être optimiste. Sur le papier, nous pouvons encore renverser la situation. Dans la pratique, j’en doute. Rien de ce que j’ai vu ces derniers mois et ces dernières années ne me laisse penser que nous sommes prêts à parer les dangers qui nous menacent. Je pense encore moins que nous sommes suffisamment prêts pour y survivre.

Traduit de l’anglais par Desk Russie

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Écrivain britannique et spécialiste de la sécurité. Il est chercheur principal non résident au Centre d'analyse des politiques européennes. Jusqu’en 2018, il était rédacteur en chef de The Economist. Il est auteur de plusieurs livres dont le prémonitoire The New Cold War: How the Kremlin Menaces Both Russia and the West, Bloomsbury Publishing PLC, 2008, qui reste de la plus grande actualité.

Photo : Saeima via Flickr sous licence CC BY-SA 3.0.

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