L’offensive israélienne fracture l’axe néo-totalitaire Moscou-Pékin-Téhéran-Pyongyang

Image tirée d’une vidéo de propagande iranienne, avec des inscriptions ajoutées par le service de presse de Tsahal. Le chef d’état-major iranien et le commandant des Gardiens de la révolution ont été éliminés lors de l’opération israélienne.

L’opération « Rising Lion » du 13 juin 2025 constitue bien plus qu’une frappe préventive israélienne. Pour l’auteur, elle marque une rupture géopolitique majeure dans l’équilibre des forces mondiales. En ciblant simultanément le programme nucléaire iranien, l’arsenal balistique et l’élite des Gardiens de la révolution, Israël porte un coup dur à l’axe néo-totalitaire Moscou-Pékin-Téhéran-Pyongyang, contraignant l’Occident à repenser sa stratégie face à un adversaire fragilisé mais pas encore vaincu. L’affaiblissement de l’Iran, voire la chute du régime des ayatollahs, pourrait notamment avoir un impact sur la capacité russe à continuer sa guerre d’agression contre l’Ukraine.

La fin du rêve nucléaire iranien et l’affaiblissement structurel de l’axe

L’attaque israélienne était devenue inévitable face au risque imminent de breakout nucléaire iranien. Comme le révèle le discours de Netanyahu, l’Iran avait franchi tous les seuils critiques : production d’uranium hautement enrichi suffisant pour neuf bombes atomiques, renforcement accéléré de son arsenal balistique, et refus catégorique d’abandonner l’enrichissement domestique malgré l’ultimatum de Trump.

Cette frappe porte un coup systémique à l’axe néo-totalitaire. Pour Moscou et Pékin, L’Iran ne représentait pas seulement un partenaire régional, mais la promesse d’un quatrième membre nucléaire de l’alliance. Sa neutralisation militaire, si elle aboutit, prive l’axe de cette perspective et révèle les limites de la protection que peuvent s’offrir mutuellement ses membres. La chute d’Assad, client commun de Moscou et Téhéran, avait déjà préfiguré cette vulnérabilité ; l’humiliation militaire iranienne la confirme brutalement.

Les négociations avec Téhéran ont nourri l’illusion qu’un régime profondément idéologique, investi dans un programme nucléaire d’envergure et la construction d’un arsenal de vecteurs balistiques, pouvait être dissuadé par des sanctions ou par « l’attrait du commerce ». Or, contrairement à l’équilibre de la terreur soviéto-américain, l’arme nucléaire iranienne ne visait pas la stabilité par la dissuasion mutuelle, mais la destruction d’Israël combinée a minima à une « sanctuarisation agressive » des conquêtes régionales de l’Iran. Cette stratégie, inspirée du modèle poutinien en Ukraine, consiste à utiliser la menace nucléaire pour immuniser les opérations de conquête contre toute intervention occidentale.

Impact sur la Russie : respiration économique, asphyxie géostratégique

Pour la Russie, l’équation est paradoxale. L’instabilité moyen-orientale génère une hausse des cours pétroliers (+10 dollars) qui peut lui apporter environ 18 milliards de dollars de revenus supplémentaires annuels, comblant partiellement son déficit budgétaire structurel. Cette bouffée d’oxygène financière arrive au moment où les réserves liquides russes, réduites à 31 milliards d’euros, ne garantissent plus que 12 à 15 mois de survie à son effort de guerre.

Mais cette respiration économique peut n’être que temporaire, sauf en cas de guerre prolongée de plusieurs mois, et masque une asphyxie géostratégique. L’Iran fournit à la Russie les drones Shahed et des missiles à courte portée Fath 360, importants sur le front ukrainien. Bien qu’elle soit moins dépendante aujourd’hui, l’interruption des livraisons priverait Moscou d’une capacité de frappe au moment où l’armée russe tente un effort de rupture du front ou, du moins, veut convaincre les Occidentaux de sa victoire inéluctable. Plus fondamentalement, l’affaiblissement iranien accroît la dépendance russe vis-à-vis de Pékin, seul membre de l’axe encore intact. Mais, en cas de chute du régime des ayatollahs ou de son affaiblissement durable, Pékin perdrait aussi une capacité à prendre l’Amérique à revers et à diviser ses forces. Cette subordination croissante limite les marges de manœuvre de Poutine et renforce le caractère asymétrique de l’alliance sino-russe, alors que Téhéran devient plus un suppliant et moins un partenaire – une évolution qui affaiblit mécaniquement l’ensemble de l’alliance anti-occidentale.

Élargir la focale : au-delà de l’Ukraine, la confrontation systémique

L’offensive israélienne révèle la vraie nature du conflit contemporain : non pas une simple rivalité géopolitique, mais une confrontation qui oppose l’axe néo-totalitaire aux démocraties occidentales. Elle dépasse largement les enjeux territoriaux pour porter sur un affrontement de civilisations qui oblige l’Occident à élargir sa focale stratégique au-delà du seul front ukrainien et à relier les deux conflits que la barbarie de la guerre à Gaza semblait séparer. L’axe néo-totalitaire avait développé une « logique d’étranglement géographique » : épuiser l’Europe en Ukraine pendant que les États-Unis surveillent Taïwan, menacer Israël quand Washington se concentre sur l’Indo-Pacifique. Tout en exploitant la « nonchalance diplomatique » chronique des Occidentaux face aux régimes néo-totalitaires, cette stratégie de dispersion des forces occidentales sur tous les théâtres simultanément révèle l’objectif ultime : la remise en cause de l’ordre international libéral.

L’Iran constituait un maillon faible mais essentiel de cette chaîne. Sa neutralisation ne détruit pas l’axe mais le prive de sa capacité de déstabilisation régionale la plus efficace. Le Hezbollah décapité, le Hamas en fuite, Assad renversé : l’architecture de l’axe de résistance s’effondre, libérant le Liban et la Syrie de la tutelle iranienne. Cette dynamique pourrait s’étendre à l’Irak et au Yémen, créant un effet domino géopolitique.  

Pour le guide suprême Ali Khamenei, l’offensive israélienne constitue une décapitation stratégique. Les chefs militaires et géostratégiques qui partageaient sa vision – du commandant des Gardiens au responsable des missiles balistiques – ont été éliminés simultanément « dans leurs propres maisons », révélant l’ampleur de la pénétration du renseignement israélien. Comme l’analyse l’expert Afshon Ostovar, cette frappe a « éviscéré un cerveau collectif qui dirigeait la stratégie iranienne depuis 20 ans », notamment avec la perte du général Hajizadeh,  « qui était l’architecte de la stratégie militaire iranienne ».

Si les chefs tués sont remplacés par leurs adjoints, cette situation créera un dilemme inédit pour un régime totalitaire : les dirigeants théocratiques demeurent, mais les cerveaux militaires qui avaient élaboré la géostratégie de leur vision idéologique ont disparu. L’axe de résistance du Hamas au Hezbollah, d’Assad aux Houthis, le programme nucléaire comme l’arsenal de drones et missiles balistiques – toute cette architecture stratégique perd ses concepteurs au moment où elle s’effondre.

Si une guerre d’attrition prolongée entre Israël et l’Iran reste possible, alimentant l’instabilité régionale et les cours pétroliers au bénéfice économique temporaire de la Russie et si un effondrement total du régime iranien semble improbable à court terme, sa capacité de nuisance est drastiquement réduite et les conflits sociaux et sociétaux, comme le mouvement « Femme, vie, liberté », peuvent reprendre dans les mois à venir contre un système en faillite morale, économique et militaire. Des négociations sous contrainte pourraient-elles émerger, Trump utilisant l’offensive israélienne comme levier diplomatique ? L’entourage présidentiel reste divisé sur la stratégie à adopter. En mars dernier, Tulsi Gabbard, directrice du renseignement aux sympathies poutiniennes connues, affirmait encore que l’ayatollah Khamenei n’avait pas autorisé la militarisation du programme nucléaire. À l’inverse, au lendemain de l’offensive israélienne, l’influent sénateur républicain Lindsey Graham, ferme soutien de l’Ukraine, enjoignait Trump de tout faire pour permettre à Israël de « finish the job ».

Implications pour l’avenir de la guerre en Europe

Cette recomposition impacte d’ores et déjà l’Europe et la guerre en Ukraine. L’affaiblissement de l’axe crée une fenêtre d’opportunité stratégique inédite depuis 2022. La nature totalitaire du régime poutinien interdit structurellement tout cessez-le-feu durable en Ukraine. L’économie de guerre russe, qui emploie 5 millions de personnes et distribue 150 000 dollars par mort au combat, ne peut s’arrêter sans que le système s’effondre. Or la Russie, privée potentiellement de l’appui iranien, devient plus vulnérable, malgré le répit financier.

L’Europe doit saisir cette fenêtre d’opportunité pour intensifier son soutien à l’Ukraine avant que la Russie ne reconstitue ses capacités ou ne trouve de nouveaux partenaires. L’interdépendance de l’axe crée des vulnérabilités exploitables : contraindre Pékin à choisir entre son commerce européen et son soutien à Moscou, cibler les livraisons de composants électroniques chinois dont dépend l’industrie militaire russe, taxer les pays qui achètent l’énergie fossile russe, saisir les pétroliers fantômes qui la livre.

L’offensive israélienne contre l’Iran marque l’entrée dans une nouvelle phase de la confrontation entre démocraties et systèmes totalitaires. L’axe, privé de son bras armé moyen-oriental et de ses ambitions nucléaires, demeure dangereux mais affaibli. La Chine devra assumer le poids de la confrontation avec l’Occident tout en gérant des alliés défaillants, ses ambitions de conquête de Taïwan et d’expansion en mer de Chine devront être réévaluées. Et la guerre en Ukraine se joue désormais aussi bien sur les rives du Dniepr que dans les détroits d’Ormuz ou les profondeurs souterraines de Fordo et Natanz, révélant l’interconnexion fondamentale des théâtres géopolitiques du XXIe siècle.

Docteur en Histoire, spécialiste des totalitarismes et cofondateur de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre !

Quitter la version mobile