Être chrétien : le pape, Agatha Christie et l’Ukraine

Le pape Léon XIV après son élection. Photo : Edgar Beltrán

Au moment où l’on ne sait plus où donner de la tête avec les nouvelles qui nous proviennent des quatre coins du monde, l’actualité nous offre parfois un espace inattendu de méditation et de spiritualité. Un moment de grâce. 

Pour ma part, ce moment s’est produit pendant que j’écoutais la première homélie de Léon XIV, prononcée le neuf mai dans la chapelle Sixtine. Dans ce discours programmatique, à la fois serein, paisible et puissant, le nouveau Pape a abordé la question fondamentale : ce que signifie être chrétien. 

Il a rappelé le monde « de cercles de pouvoir cruels et théâtre de trahisons » qui « élimine » Jésus en raison « de son exigence d’honnêteté et de moralité ». Ce monde croit que Jésus, « un homme droit, courageux, qui parle bien et dit des choses justes », n’est qu’un excentrique hors sol.

Comment ne pas penser à la realpolitik et à ses partisans cyniques, toujours prompts à ridiculiser toute contradiction imprégnée de valeurs, la qualifiant de douce utopie ? 

Être chrétien, c’est incarner des valeurs – courage, honnêteté, justice, moralité. Ces valeurs ne font pas de nous des « faibles », mais des disciples du Christ. Tout simplement. Encore faut-il les mettre en pratique : les convictions doivent se traduire par des actes, sinon elles ne sont qu’une posture, comme le rappelle le Pape.

Je ne peux m’empêcher de penser au « soutien à l’Ukraine » de certains… Que valent des paroles de soutien sans actes ? Des actes suffisants et nécessaires ? Par absence de courage, par opportunisme, par corruption…

Une histoire racontée par Agatha Christie dans son Autobiographie me revient à l’esprit. La célèbre écrivaine évoque des paroles de sa professeure de mathématiques qui l’avaient profondément marquée : « Être chrétien, c’est comprendre et accepter la vie qu’a connue le Christ ; être joyeux et heureux comme il savait l’être […]. Mais aussi ressentir, comme lui, ce que c’est d’être seul dans le jardin de Gethsémani, se sentir abandonné par tous vos amis, par ceux que vous aimez et en qui vous aviez confiance, et même par Dieu lui-même. Et comprendre que ce n’est pas la fin » (ma propre traduction). Tout au long de sa vie, Agatha Christie y avait beaucoup réfléchi. Moi aussi. Pour des raisons différentes.

J’y ai aussi beaucoup pensé en songeant à l’Ukraine et aux Ukrainiens. À leur talent de rire toujours et d’être heureux, à leur joie de vivre, à leur amour des fleurs. Mais aussi aux moments de courage et de solitude, de souffrance non résignée qu’ils ont vécus. À une sorte d’admiration internationale populaire qui s’évanouit quand il faut agir pour empêcher « ces braves gens » d’être tués dans leur sommeil. À la fausseté de certaines amitiés dont les Ukrainiens ne sont pas dupes. Aux moments si noirs qu’on a l’impression d’être abandonné par Dieu lui-même, sans fuir, à rester là, au milieu de la nuit, prêt à vivre ce que tu as à vivre. À mourir. Sous les yeux de la foule qui t’a célébré il y a si peu. Près de tes amis qui t’ont vendu pour les trente deniers de la realpolitik

« Le mal ne gagnera pas », a promis le Pape le soir de son élection à une foule emplie d’espoir et de joie. Le temps nous dira ce qu’il voulait dire par là, mais pour moi, pour les Ukrainiens, et cela depuis toujours, une chose est certaine : le mal ne gagnera pas. Parce que nous savons, les Ukrainiens savent, que quelle que soit la nuit, ce n’est pas la fin. 

Marianna Perebenesiuk est comparatiste, spécialiste de la littérature française, des métiers du livre et de l’audiovisuel. Auteur d’un essai en thanatologie, elle avait également travaillé avec des sociétés de production et des ONG et collabore avec l’hebdomadaire national ukrainien Ukraïnskyi Tyzhden. Depuis le début de la guerre, elle décrypte régulièrement le contexte ukrainien dans les médias français.

Quitter la version mobile