Poutine, la neige désinfectée, et l’hommage aux victimes du blocus de Leningrad

Vladimir Poutine au cimetière de Piskarevo. Photo : kremlin.ru

Si quelque chose pouvait unir le peuple russe dans son ensemble et Vladimir Poutine, c’est bien le blocus de Leningrad. Le Blocus, je le rappelle, a duré 871 jours, et a fait environ 1 200 000 victimes (peut-être 1,5 million), selon les dernières recherches. Poutine leur a récemment rendu hommage, mais dans d’étranges circonstances.

Tous les habitants de Leningrad ont dans leur famille quelqu’un qui a trouvé la mort pendant le Blocus. Poutine comme les autres. Lui, il a perdu son frère (qu’il n’a pas connu), — le premier fils de ses parents, mort à l’âge de deux ans, mort de faim. Son père, un survivant de la bataille de Leningrad où les effectifs engagés disparaissaient à 80 voire 90 %, a, après la mort de son fils, sauvé sa femme qui, à son tour, était en train de mourir. Bref, il y a là une expérience commune, épouvantable, tragique, avec les gens.

Poutine commémore tous les ans le 27 janvier 1944, jour où le Blocus a été percé par l’offensive des troupes soviétiques et le siège de Leningrad s’est achevé. Il se recueille régulièrement au cimetière de Piskarevo, où reposent, dans des fosses communes, les victimes qu’on a pu enterrer.

Il est venu ici le 27 janvier 2022. Il y a eu des photos, officielles, de la cérémonie, et cette cérémonie a frappé les esprits. Par crainte du Covid, ou de je ne sais quels attentats, ou des deux en même temps, le cimetière, — un lieu public, évidemment — a été, sans prévenir, fermé entre 9 heures et 15 h 30, et les habitants de la ville qui s’étaient rendus, eux aussi, aux cérémonies, ont dû attendre, dans le froid et la neige, pendant des heures, que Poutine rende son hommage tout seul. Il y avait parmi les gens qui étaient là des vieilles personnes dont des survivants. On les a laissés dans le froid, à attendre, devant la grille fermée.

Avant la cérémonie, la neige a été désinfectée. Parce que Poutine allait passer dessus. Le bouquet de fleurs rouges qu’il portait a été, lui aussi, désinfecté. À peine déposé, il a été enlevé, et il a disparu, sans doute par mesure sanitaire, là encore (même si je ne comprends pas laquelle). Bref, les gens ont assisté à une opération spectrale : un homme seul, entouré, à distance, d’un impressionnant déploiement de snipers et de gardes du corps, déposant un bouquet destiné à rester là quelques minutes, puis s’en allant. Et laissant le peuple à l’extérieur, à geler.

Les photos de cette cérémonie sont à l’image du pays. Un homme seul — qui essaie, désespérément, de s’isoler, de se protéger. Et la terreur, qui ne fait que s’accroître.

(Le texte a été publié sur la page Facebook de l’auteur, le 31 janvier 2022.)

André Markowicz est un poète et traducteur littéraire. On lui doit notamment la traduction de l’œuvre romanesque intégrale de Dostoïevski et du théâtre complet de Tchékhov (en collaboration avec Françoise Morvan). Plusieurs de ses traductions ont été récompensées, comme Le soleil d’AlexandreLe Cercle de Pouchkine (1802–1841), Anthologie poétique, Actes Sud, 2016

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