Une cuillère de goudron dans un tonneau de miel

Marianna Perebenesiuk, activiste de la diaspora ukrainienne souvent invitée sur des plateaux de télévision français, réfléchit sur les principes de l’organisation des débats télévisuels. Elle propose notamment de faire la différence entre un débat contradictoire et des commentaires de l’actualité qui demandent une expertise, mais sont parfois compromis par des contre-vérités énoncées par des ténors de la propagande pro-poutinienne.

Une cuillère de goudron dans un tonneau de miel — c’est bien cette image d’un proverbe ukrainien qui me vient Ă  l’esprit chaque fois que je vois tel ou tel relais du Kremlin plus ou moins assumĂ© passer Ă  la tĂ©lĂ©vision. Le sens de ce proverbe très populaire devrait ĂŞtre intuitivement clair mĂŞme pour ceux qui ne parlent pas la langue : cela veut dire que mĂŞme un petit apport nĂ©gatif suffit pour compromettre un ensemble globalement positif. Et les critiques rĂ©gulières, amères et parfois virulentes, pas toujours injustifiĂ©es, de la couverture mĂ©diatique de la guerre en Ukraine en sont une triste confirmation.

Cette couverture est pourtant d’une grande qualitĂ©. Les journalistes français font un travail remarquable, parfois, ne l’oublions pas, au prix de leur vie, et l’écrasante majoritĂ© des rĂ©dactions font de leur mieux pour offrir aux Français une comprĂ©hension aussi bonne et complète que possible de tous les enjeux et aspects de cette guerre. Cet effort est authentique et, Ă  bien des Ă©gards, exemplaire. TĂ©moin de cet effort et depuis longtemps observatrice de ce qui se faisait avant, je suis bien placĂ©e pour le relever — et pour le saluer !

VoilĂ  pour le miel ! Passons maintenant au goudron.

L’exigence de l’information en continu qui domine notre sociĂ©tĂ© est quelque peu paradoxale. Elle rĂ©clame Ă  la fois la focalisation sur un seul ou plusieurs sujets qui mobilisent l’opinion, et en mĂŞme temps — pour rendre cette longue focalisation captivante — elle lui impose un impĂ©ratif d’un incessant dĂ©veloppement, voire de l’accĂ©lĂ©ration. Chose, bien sĂ»r, impossible dans la vraie vie, dont le temps est nĂ©cessairement plus lent que celui des mĂ©dias. C’est pour compenser cela que les mĂ©dias recourent Ă  un sentiment de mouvement mĂŞme quand celui-ci n’existe pas : ce mouvement artificiellement ressenti est, pour ainsi dire, celui d’un kalĂ©idoscope ou d’une balancelle.

Le kaléidoscope, assuré par la variété d’angles de vue, de profils et d’images qui défilent et se superposent, peut, comme chacun le sait d’expérience, à la fois capter l’imagination et faire tourner la tête. Quand il s’agit d’un sujet sérieux, le problème principal y est que cette variété ne peut exister qu’en mélangeant des éléments de qualité et d’importance inégales, tout en laissant aux spectateurs le soin de faire le tri eux-mêmes. Une tâche qui, remarquons-le, n’est pas spontanément facile, même pour les journalistes, et, autant dire, est autrement difficile pour le public. N’empêche, cette diversité, par sa nature même, est le plus souvent utile et je ne m’y attarderai pas.

Quant Ă  l’effet de balancelle, recherchĂ© par les mĂ©dias pour dynamiser l’actualitĂ©, qu’elle soit ukrainienne ou portant sur un tout autre sujet grave, il est bien plus douteux. Une rĂ©gulière alternance de positions en est le propre : celle d’approches, celle de sĂ©quences ou celle de points de vue. Ă€ quoi ressemble l’alternance sĂ©quentielle, tout le monde a pu le voir au moment de la crise de la Covid-19. En surinterprĂ©tant les donnĂ©es du jour, tous les quatre jours ou presque, les dĂ©bats de studio en annonçaient tantĂ´t une aggravation dramatique, tantĂ´t une amĂ©lioration spectaculaire, privant les spectateurs d’une vue d’ensemble pourtant indispensable. Je caricature, mais Ă  peine, et force est de constater que c’est exactement l’impression que cela donnait de l’extĂ©rieur. La couverture de la guerre en Ukraine est Ă  l’avenant, et j’y reviendrai. L’alternance de points de vue, d’abord.

Sur nos chaĂ®nes de tĂ©lĂ©vision et surtout celles d’information, l’information se suffit rarement Ă  elle-mĂŞme, mais est constamment commentĂ©e, souvent dans un format de dĂ©bat contradictoire, et non sous forme d’un dĂ©cryptage dĂ©taillĂ© et approfondi. Il s’agit bien d’un choix. Cependant, ces dĂ©bats contradictoires concernant l’information reprĂ©sentent un glissement, subtil, mais significatif. Pour le comprendre, un rappel rapide : d’habitude, on dĂ©bat des idĂ©es, des opinions, des propositions ou des solutions — on n’est pas Ă  dĂ©battre de l’information elle-mĂŞme, ce qui reviendrait Ă  la mettre en doute. L’information, en tant que vĂ©ritĂ© factuelle Ă©tablie, est lĂ  pour dĂ©partager les dĂ©bats, donner des arguments, confirmer ou infirmer. ThĂ©oriquement le concept de dĂ©bats mĂŞlĂ©s Ă  l’information en continu prĂ©voit Ă  ce que l’on tienne des dĂ©bats ouverts par l’actualitĂ©, et non pas des dĂ©bats qui la remettent en cause, mais, comme on le verra, devant la mauvaise foi, cette limite est parfois difficile Ă  tenir.

Pour en explorer les failles, regardons ce que ça donne en pratique. Un exemple parmi d’autres : dĂ©but avril, il m’est arrivĂ© de partager un plateau de BFM-TV avec Pierre Lorrain, auteur d’ouvrages de vulgarisation sur Poutine, sur le tueur en sĂ©rie soviĂ©tique Tchikatilo, sur la fin des Romanov, mais aussi sur l’Ukraine (avec une approche très biaisĂ©e). Dans la sidĂ©ration totale, on dĂ©couvrait encore les crimes de guerre commis en masse Ă  Boutcha et l’émission y Ă©tait consacrĂ©e. Les journalistes ont rempli leur mission d’en informer les Français, ils se sont rendus dans cette ville martyre et ont documentĂ© les preuves de nombreuses exactions quelques jours auparavant. Ici la qualitĂ© du travail journalistique ne saurait pas ĂŞtre remise en question, il s’agit bien de journalisme relatant des faits avĂ©rĂ©s.

QuestionnĂ© sur ce sujet, Pierre Lorrain, connu pour ses affinitĂ©s avec la Russie et invitĂ© en cette qualitĂ© — il est important de le prĂ©ciser —, a d’abord changĂ© de sujet pour parler… des nĂ©gociations et de la paix. Il a, au passage, prĂ©sentĂ© la dĂ©faite russe dans la bataille de KyĂŻv et le retrait qui s’en est suivi comme un rĂ©sultat de ces nĂ©gociations (un pur mensonge dans le sillage de la propagande russe officielle des jours prĂ©cĂ©dents) et a bien insistĂ© sur le fait que l’armĂ©e ukrainienne n’y avait jouĂ© aucun rĂ´le. RamenĂ© vers le sujet, il a fait toute une sĂ©rie d’affirmations assez stupĂ©fiantes : relativisant les images de Boutcha qui dĂ©filaient littĂ©ralement sous ses yeux, affirmant que nous sommes « dans un brouillard de guerre Â» et qu’« il y a autant de dĂ©sinformation d’un cĂ´tĂ© que de l’autre Â» (sous-entendant donc que les journalistes français font un travail de propagande pour l’Ukraine ? que les images et les preuves n’existent pas, puisque nous sommes « dans un brouillard de guerre Â» ?). Devant l’indignation sur le plateau, M. Lorrain a continuĂ© sans ciller : « Il est Ă©vident qu’il y a eu des exactions de part et d’autre. Â»

Ceci, en l’absence de preuves de source sûre concernant les prétendues exactions ukrainiennes. Ceci, immédiatement après les images de Boutcha qui à elles seules peuvent servir de pièce à conviction dans un procès pour crimes contre l’humanité. Ceci, en parfait accord, une fois de plus, avec la propagande russe officielle qui ce même jour, à travers le représentant permanent de la Russie auprès de l’ONU Vassili Nebenzia, affirmait à peu près la même chose.

C’est ainsi qu’une information incontestable — les crimes de guerre commis en masse par l’armée russe et la sidération qu’ils ont provoquée dans le monde entier — s’est retrouvée elle-même relativisée, insidieusement invalidée, du moins en partie, par un débat qui n’était même pas prévu comme tel.

Cette situation, loin d’être un cas isolĂ©, pose tant de problèmes qu’on ne sait mĂŞme pas par oĂą prendre les choses. Commençons donc par le dĂ©but : M. Lorrain Ă©tait bien invitĂ© sur ce plateau en tant que voix pro-Poutine, dans le souci, Ă  mon avis sincère, d’établir un Ă©quilibre avec la prĂ©sence ukrainienne, devenue, il est vrai, très importante depuis le dĂ©but de l’invasion. Cela m’avait Ă©tĂ© confirmĂ© par les journalistes chargĂ©s de l’émission. Au risque d’en choquer certains, j’avoue que je ne suis pas opposĂ©e Ă  ce principe, mĂŞme si l’aspect Ă©thique de la confrontation d’intervenants ukrainiens, Ă©prouvĂ©s par le drame vĂ©cu par leurs proches, Ă  des analystes faisant montre d’une certaine mansuĂ©tude envers le Kremlin devrait ĂŞtre sĂ©rieusement pris en compte.

Ă€ commencer par le fait qu’on confronte parfois des personnes sans grande expĂ©rience Ă  des experts ayant des dĂ©cennies de mĂ©diatisation Ă  leur actif, nĂ©cessairement plus Ă  l’aise, pouvant s’exprimer dans leur langue natale, connaissant mieux les codes et les règles du jeu, etc. Mettre un particulier contre un professionnel n’est pas très fair play, mĂŞme si le souci originel Ă©tait prĂ©cisĂ©ment celui-ci. Le deuxième problème concerne le soin de les en prĂ©venir pour qu’ils puissent le refuser : la moindre des choses pour Ă©viter des chocs inutiles Ă  ceux qui viennent sur le plateau non pas pour dĂ©battre, mais pour livrer un tĂ©moignage ou apporter un Ă©clairage sur le contexte ukrainien. PrĂ©venir le public aussi, car bien qu’invitĂ©s en tant que pro-Poutine, ces experts sont rarement prĂ©sentĂ©s comme tels au public : cette pratique donne lieu Ă  une confusion avec les vrais experts neutres et impartiaux, largement majoritaires. Le problème de balisage est Ă©vident. MĂŞme le Diable peut avoir droit Ă  un avocat.

C’est pourtant lĂ  que le bât blesse : les avocats sont sujets Ă  une dĂ©ontologie professionnelle, une procĂ©dure et des règles Ă  respecter, ce qui n’est pas forcĂ©ment le cas des « avocats de la Russie Â». Ainsi, invitĂ©s Ă  commenter l’information qui nous parvient d’Ukraine, beaucoup n’hĂ©sitent pas Ă  faire ce qu’ils ne sont pas censĂ©s faire : profĂ©rer des contre-vĂ©ritĂ©s, remettre en question les faits Ă©tablis, relayer des Ă©lĂ©ments de la propagande russe — parfois « fact-checkĂ©s Â» depuis des annĂ©es —, affirmer des choses qu’ils ne sont pas en mesure d’argumenter. Bref, beaucoup sont soit de mauvaise foi, soit incompĂ©tents (c’est au choix). Et lĂ , surprise : ce n’est pas considĂ©rĂ© comme très grave, bien au contraire, puisque nous sommes dans le contradictoire, et les autres intervenants sont lĂ  pour contredire d’éventuels mensonges, manipulations et autres erreurs. D’une certaine manière, c’est mĂŞme saluĂ©, car cela permet une piqĂ»re de rappel par un dĂ©menti public convaincant. En somme, cela serait thĂ©rapeutique.

Sauf que : 1) cela dĂ©pend grandement de la distribution de la parole et du timing — souvent, il n’est pas possible de tout reprendre ; 2) les intervenants chargĂ©s de le faire peuvent ne pas ĂŞtre Ă  la hauteur de la tâche, on vient d’en parler ; 3) un mensonge mĂŞlĂ© Ă  l’information, mĂŞme rĂ©futĂ©, reste lĂ  pour toujours : il a Ă©tĂ© entendu et il y aura nĂ©cessairement une partie des auditeurs qui le retiendront. C’est mĂŞme pour cette raison et Ă  juste titre que la plupart des mĂ©dias français n’ont pratiquement pas citĂ© les mensonges de l’agence TASS sur les circonstances de la mort de FrĂ©dĂ©ric Leclerc-Imhoff, sinon pour les dĂ©noncer : inutile de brasser la propagande mensongère qui salit la victime en courant le risque que certains finissent par y croire. C’est une bonne dĂ©cision. Mais ce que l’on ne comprend pas, c’est pourquoi il n’en irait pas systĂ©matiquement ainsi pour le reste ?

La question de l’utilité de devoir sans cesse réfuter les mêmes mensonges, alors qu’on peut tout simplement les éviter en cessant d’inviter ceux qui se sont révélés peu fiables, reste ouverte…

Pour revenir une dernière fois Ă  mon exemple initial : bien sĂ»r, j’ai profitĂ© de ma prĂ©sence sur le plateau pour demander les preuves de la prĂ©tendue Ă©quivalence entre l’Ukraine et la Russie en termes d’exactions et en termes de propagande. Bien sĂ»r, l’amiral Vichot, prĂ©sent lui aussi sur le plateau, a rĂ©futĂ© l’idĂ©e selon laquelle ce n’était pas l’armĂ©e ukrainienne qui avait infligĂ© une dĂ©faite Ă  la Russie dans la bataille de KyĂŻv, forçant les troupes russes au retrait. Bien sĂ»r, les animateurs ainsi que le chroniqueur de la chaĂ®ne, moi-mĂŞme et une autre invitĂ©e avons publiquement rĂ©futĂ© ce qui venait d’être dit. Le problème, c’est qu’après cette Ă©mission oĂą l’expertise (ou la bonne foi, c’est selon) de M. Lorrain a Ă©tĂ© mise Ă  rude Ă©preuve par le dĂ©bat, il a continuĂ© Ă  ĂŞtre invitĂ©, sur la mĂŞme chaĂ®ne ou ailleurs, comme si de rien n’était, avec le mĂŞme rĂ©sultat.

Loin de moi l’idĂ©e que toute rĂ©futation, mĂŞme solide et ne laissant aucun doute, devrait d’emblĂ©e ĂŞtre disqualifiante : chacun peut se tromper ou avoir son angle mort, mĂŞme si un sujet aussi grave que l’invasion russe de l’Ukraine devrait normalement appeler tout un chacun Ă  une rigueur particulière. Mais quand il s’agit de contre-vĂ©ritĂ©s rĂ©elles, d’élĂ©ments de la propagande bien identifiĂ©s, quand ce n’est pas un point qui doit ĂŞtre rĂ©futĂ©, mais toute une sĂ©rie voire le discours dans sa totalitĂ©, et ce, d’une Ă©mission Ă  l’autre sans qu’on en tire des consĂ©quences — alors on ne peut que s’interroger.

On en arrive mĂŞme Ă  des situations ubuesques oĂą d’une Ă©mission Ă  l’autre, parfois Ă  quelques jours d’intervalle, les mĂŞmes intervenants reproduisent les mĂŞmes thèses dĂ©jĂ  dĂ©montĂ©es la veille. De quoi s’agit-il au juste ? Qu’est-ce qui pousse certains experts Ă  s’infliger cette humiliation rĂ©pĂ©tĂ©e, alors qu’ils savent pertinemment et de manière empirique que leur discours ne tient pas ? Pourquoi ne rĂ©visent-ils pas leurs fiches et leurs positions ? Sont-ils vraiment lĂ  pour apporter leur expertise ou juste pour semer le doute et monopoliser le temps ? Et que penser de ces invitations donc ? Est-ce dĂ» Ă  un manque d’attention des programmateurs, Ă  un manque de coordination entre les Ă©quipes de diffĂ©rentes Ă©missions ? Ou Ă  une volontĂ© non assumĂ©e mais manifeste de recrĂ©er sans cesse la mĂŞme confrontation pour augmenter les audiences, quitte Ă  laisser la dĂ©sinformation se rĂ©pandre ?

Quelle qu’en soit l’explication, c’est ainsi que, semaine après semaine, certains invitĂ©s parlent des « russophones du Donbass victimes de l’Ukraine et ralliĂ©s Ă  la Russie Â», Ă  l’exact opposĂ© de ce que montrent les reportages qui entrecoupent la discussion : les Ukrainiens, dont les habitants du Donbass sont bilingues, s’expriment comme ils veulent, les habitants du Donbass russophone sont de fait les victimes de l’agression russe, etc.

Semaine après semaine, le public dĂ©couvre les immenses difficultĂ©s des Ukrainiens pour obtenir des armes lourdes et y former leurs soldats, alors que l’Ukraine est un pays souverain avec une armĂ©e rĂ©gulière. Cependant, il se trouve encore des gens parlant des « sĂ©paratistes en 2014 Â», d’emblĂ©e disposant, rappelons-le, de chars, d’artillerie, de protection antiaĂ©rienne et mĂŞme d’aviation.

Semaine après semaine, les reportages documentent les menaces russes Ă  l’encontre de la Suède, de la Finlande, de la Pologne ou des pays baltes — reprĂ©sailles Ă©conomiques et Ă©nergĂ©tiques, manĹ“uvres militaires, propos des responsables politiques, menaces librement profĂ©rĂ©es par les propagandistes russes, tout y est. Eh bien, qu’à cela ne tienne, semaine après semaine, on trouve des « experts Â» pour affirmer le contraire et reproduire la thèse du Kremlin sur « les pays baltes et l’Europe centrale obsĂ©dĂ©s par la Russie Â».

Longue est la liste des Ă©lĂ©ments de la propagande du Kremlin qui se trouvent ainsi quotidiennement mĂŞlĂ©s Ă  l’information produite par les journalistes, et qui la relativisent, voire l’invalident — sans le moindre argument, sans le moindre chiffre, sans le moindre fait. Il m’est dĂ©jĂ  arrivĂ© d’entendre un « expert en gĂ©opolitique Â» appuyer son affirmation sur les russophones ukrainiens qui voudraient rejoindre la Russie par un unique argument — une Ă©tude sociologique ou anthropologique ? une analyse du paysage politique ? Non ! « J’ai Ă©tĂ© en Ukraine. Â» On en est lĂ .

Mais revenons au miel et au goudron.

Exactement comme le proverbe le dit, quelques « experts Â» douteux, dont la plupart n’apportent aucune autre plus-value au dĂ©bat ou au dĂ©cryptage, font beaucoup de dĂ©gâts. La solution est aussi simple qu’indolore : accroĂ®tre la vigilance et ĂŞtre un peu plus attentif aux antĂ©cĂ©dents d’un Ă©ventuel invitĂ© « pro-Poutine Â». Simple, assez facile et, comme je l’ai dit, indolore mĂ©diatiquement parlant : le public ne remarquera mĂŞme pas qu’on laisse un certain nombre d’anciens fonctionnaires ou d’écrivains lĂ  oĂą ils Ă©taient — Ă  leur retraite bien mĂ©ritĂ©e.

Et pour aller plus loin, il faudrait, peut-ĂŞtre, sortir de l’idĂ©e de vouloir organiser des dĂ©bats Ă  tout prix et faire davantage confiance aux spĂ©cialistes qu’on invite. S’il y a un consensus parmi les spĂ©cialistes compĂ©tents, cela indique peut-ĂŞtre prĂ©cisĂ©ment ceci : les choses sont claires. Il faut sortir de l’idĂ©e que sans ces relais du Kremlin le consensus rĂ©gnera partout. Les trois mois de la guerre l’ont amplement prouvĂ© : les experts de la Russie et les experts de l’Ukraine ne sont pas nĂ©cessairement en dĂ©saccord, ce qui n’empĂŞche pas ces experts partageant les mĂŞmes constats sur les mĂŞmes bases de dĂ©fendre souvent des solutions radicalement ou en partie diffĂ©rentes. Bref, les chaĂ®nes doivent choisir des intervenants compĂ©tents et de bonne foi et leur faire confiance.

Et il est nĂ©cessaire de mener une rĂ©flexion sur le rĂ´le conceptuel accordĂ© aux intervenants ukrainiens, car après tout c’est bien leur prĂ©sence qui, le plus souvent, soulève la question de l’équilibre de la reprĂ©sentation. Qui sont-ils ? Sont-ils lĂ  en tant que tĂ©moins ? En tant que commentateurs et/ou experts capables de dĂ©crypter l’Ukraine et d’analyser la situation ? Ou en tant que propagandistes chargĂ©s de dĂ©fendre le pays agresseur (seul cas de figure justifiant le recours symĂ©trique aux propagandistes pro-russes) ? C’est une question sĂ©rieuse et la rĂ©ponse dicte, dans chaque cas prĂ©cis, une juste composition du plateau tĂ©lĂ©visĂ©.

perebenesiuk

Marianna Perebenesiuk est comparatiste, spécialiste de la littérature française, des métiers du livre et de l’audiovisuel. Auteur d’un essai en thanatologie, elle avait également travaillé avec des sociétés de production et des ONG et collabore avec l’hebdomadaire national ukrainien Ukraïnskyi Tyzhden. Depuis le début de la guerre, elle décrypte régulièrement le contexte ukrainien dans les médias français.

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