Il y a 30 ans, le « dimanche sanglant » à Moscou

4 octobre, matin. Des centaines de badauds observent les chars et les blindés qui tirent sur la Maison-Blanche. Certains seront blessés ou même tués par des tirs accidentels.

Il y a 30 ans, à Moscou, la crise politique majeure tourne à la violence. Le président Boris Eltsine dissout le Soviet suprême, à savoir le Parlement, contrôlé par les forces réactionnaires. À leur tour, les députés, barricadés à l’intérieur, déclarent le président illégitime. Eltsine finit par pilonner le parlement avec des chars. Le nombre de victimes des affrontements meurtriers reste inconnu. L’ONG Memorial a pu confirmer la mort de 159 personnes, dont des passants. L’enquête a vite été étouffée, et les chefs de l’insurrection ont été amnistiés.

Ces événements sanglants font encore l’objet de vifs débats. Certains des anciens partisans d’Eltsine pensent aujourd’hui que les choix faits au Kremlin pendant la crise de l’automne 1993 ont sapé le projet démocratique, semé la graine de l’autoritarisme et ouvert la voie vers la guerre en Tchétchénie.  

Desk Russie publie une série de photos prises dans les rues de Moscou par Dmitri Borko fin septembre — début octobre 1993.

À l’occasion du vingtième anniversaire des événements de 1993, j’ai publié un album de photos. J’y ai réuni les histoires dramatiques des affrontements de Moscou d’août 1991 et d’octobre 1993. Lors de sa rédaction, j’ai consulté les gens de mon réseau. La plupart d’entre eux ne comprenaient pas pourquoi j’établissais un lien entre des événements si différents, à leur avis. C’est un homme intelligent, aux opinions très démocratiques, qui l’a le mieux exprimé. « Si vous le voulez tant, je vous conseille de faire deux livres : un sur le mois d’août et un sur le mois d’octobre. Et faites-en un en blanc et l’autre en noir », a-t-il déclaré. Vingt ans après les événements, des gens qui avaient appartenu alors à des camps différents ne voulaient toujours pas se parler, ni même apparaître dans le même livre. Aujourd’hui, ces caractéristiques de nos compatriotes —intransigeance et refus de tirer les leçons de leur propre histoire — portent encore leurs fruits.

Dmitri Borko
1993oct 06 1
Père et fils, volontaires des unités parlementaires d’autodéfense, au point d’observation du bâtiment du Soviet suprême (Maison-Blanche). 
26 septembre. Un rassemblement de partisans du Parlement a lieu devant le bâtiment. Mais des personnes encerclent le bâtiment jour et nuit. Un groupe de jeunes de gauche est de garde pour la deuxième journée consécutive.
30 septembre. Camp de partisans du Parlement devant la Maison-Blanche.
30 septembre. Périodiquement, les milices RNE (Unité nationale russe), sous la direction d’Alexandre Barkachov, manifestent le long des murs du parlement devant les caméras des journalistes.
Des soldats armés des forces du ministère de l’Intérieur forment un cordon autour du parlement le 2 octobre.
Dans la soirée du 3 octobre, à l’appel d’Alexandre Routskoï et d’Albert Makachov, une masse de personnes se précipite pour « prendre d’assaut le centre de télévision Ostankino ». Un groupe de partisans du Parlement s’approche du complexe du centre de télévision.
Des soldats de l’armée régulière se préparent à prendre d’assaut le parlement dans la matinée du 4 octobre.
3 octobre. Des milliers de personnes, qui s’étaient rassemblées à deux heures de l’après-midi sur la place Lénine pour une manifestation autorisée par le pouvoir, se dirigent soudain vers le bâtiment du parlement en empruntant Sadovoïe koltso. La petite force de police qui bloque cette voie circulaire n’est pas en mesure de leur résister. Les manifestants franchissent plusieurs échelons du cordon et débloquent le parlement, encerclé par les forces de sécurité depuis plusieurs jours.
3 octobre. Affrontements entre manifestants et policiers sur Sadovoïe koltso.
3 octobre, vers 16 heures. Après avoir franchi le cordon autour du parlement, les manifestants prennent d’assaut la tour de bureaux située en face, qui abrite la mairie de Moscou.
3 octobre. Dans l’après-midi, après avoir chassé les forces de sécurité du bâtiment du parlement et s’être emparés de plusieurs bâtiments administratifs autour du parlement, des groupes de rebelles se dirigent vers le centre de télévision Ostankino pour « passer à l’antenne ».
3 octobre, milieu de l’après-midi. Le vice-président Alexandre Routskoï et ses gardes du corps exhortent ses partisans à agir d’une manière décisive.
Matin du 4 octobre. Des véhicules militaires s’approchent du bâtiment du Soviet suprême.
4 octobre, milieu de la journée. Des troupes prennent d’assaut le bâtiment du Soviet suprême depuis différents endroits.
4 octobre, milieu de la journée. Des aides-soignants volontaires transportent un blessé du bâtiment du Soviet Suprême jusqu’aux ambulances, qui ne peuvent approcher à cause de la fusillade. Ils sont accompagnés d’une infirmière de la brigade ambulancière.
4 octobre. Les forces de sécurité retirent du bâtiment de mairie voisin de la Maison-Blanche le corps d’un homme qui y est décédé dans des circonstances inconnues.
4 octobre. Plusieurs éléments des forces de sécurité ont participé à la prise d’assaut du parlement le 4 octobre. Police de Moscou, parachutistes et forces spéciales du groupe Alfa, volontaires d’une organisation de vétérans de la guerre d’Afghanistan.
Le 4 octobre, l’assaut du Parlement vient de se terminer. Des adolescents maraudeurs démontent des voitures abandonnées autour de la Maison-Blanche et des arroseurs utilisés par la police pour bloquer le bâtiment.
5 octobre. Au lendemain de la prise du parlement, des troupes sont toujours présentes devant la Maison-Blanche.
Le matin du 5 octobre, les corps d’un certain nombre de morts gisent toujours autour de la Maison-Blanche. Des volontaires aident à ramasser les corps et attendent l’arrivée des transports médicaux.

Photoreporter pour la presse écrite russe, l'AFP, grands journaux européens, il a publié un livre sur les événements d'août 1991 et d'octobre 1993 à Moscou. A partir de 2012, il devient chroniqueur judiciaire et suit les grands procès politiques, notamment pour Mémorial, la principale ONG russe pour les droits de l'homme. Aujourd'hui, il vit en Israël.

Les articles de la rédaction

Quitter la version mobile