
Dans son état actuel, le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968 n’empêche pas l’agression russe, mais empêche l’Ukraine de se défendre. Comment éviter les répercussions mondiales de la guerre russo-ukrainienne sur les fondements de l’ordre nucléaire international ? Selon l’auteur, si les pays signataires dotés d’armes nucléaires ne restaurent pas la légalité et n’obtiennent pas le retrait des troupes russes du territoire ukrainien, le TNP risque de voler en éclats.
Le fait que la Russie possède des armes de destruction massive et que l’Ukraine n’en a pas a particulièrement influencé le début et le déroulement de la guerre russo-ukrainienne depuis 2014. Curieusement, cette situation propice à la guerre est légitimée, codifiée et préservée par l’un des accords multilatéraux les plus importants sur le plan politique et, grâce à 191 États signataires, le plus représentatif dans l’histoire du droit international moderne. Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968 autorise la Russie, en tant qu’État officiellement doté d’armes nucléaires, à construire et à acquérir des ogives atomiques. Dans le même temps, le TNP interdit explicitement à l’Ukraine, en tant qu’État officiellement non doté d’armes nucléaires, de faire de même. Les alliés non nucléaires de l’Ukraine – du Canada à l’Ouest au Japon à l’Est – sont également obligés, par le TNP ainsi que par les conventions sur les armes chimiques et biologiques, de préserver leur statut de puissance militaire purement conventionnelle.
Dans son deuxième article, le TNP stipule qu’à l’exception de 5 de ses 191 États signataires dont l’Ukraine, « tout État non doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à n’accepter de qui que ce soit, ni directement ni indirectement, le transfert d’armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires ou du contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs ; à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs ; et à ne rechercher ni recevoir une aide quelconque pour la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs ». Le TNP empêche donc à la fois la dissuasion et la défense de l’Ukraine contre la Russie, État officiellement doté d’armes nucléaires.
Le mémorandum de Budapest de 1994 en tant qu’annexe du TNP
L’État ukrainien post-soviétique naissant possédait, au début des années 1990, le troisième plus grand arsenal d’ogives nucléaires au monde – un héritage de l’Union soviétique qui s’était disloquée en août-décembre 1991. Immédiatement après l’accession de l’Ukraine à l’indépendance, le nombre de ses armes atomiques a été, pendant une brève période, supérieur à la somme des armes de destruction massive de la France, du Royaume-Uni et de la Chine réunis. La plupart des observateurs ukrainiens et de nombreux observateurs étrangers admettent aujourd’hui que Kyïv a fait preuve de naïveté en se débarrassant, au milieu des années 1990, de la totalité de son matériel et de sa technologie nucléaires, ainsi que de ses vecteurs. En tout cas, il était imprudent de ne pas exiger en échange un mécanisme de protection fiable tel que l’adhésion à l’OTAN ou un pacte d’assistance mutuelle avec les États-Unis. Pire encore, de nombreux ogives, missiles, bombardiers, etc. ukrainiens n’ont pas été détruits en Ukraine, mais transférés – entre tous les pays – vers la Russie.
Au lieu d’adhérer à une alliance susceptible de la protéger, l’Ukraine a reçu, en échange de son désarmement nucléaire volontaire, une garantie de sécurité écrite de Moscou promettant, dans le désormais tristement célèbre mémorandum de Budapest, de respecter la souveraineté et l’intégrité de l’Ukraine. En décembre 1994, lors du dernier sommet de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe avant qu’elle ne devienne l’OSCE, la Fédération de Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni ont signé avec l’Ukraine dans la capitale hongroise le fatidique « Mémorandum relatif aux garanties de sécurité dans le cadre de l’adhésion de l’Ukraine au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ». Ce court document fait double emploi avec deux autres mémorandums similaires spécialement conçus pour les détenteurs post-soviétiques d’une partie de l’arsenal atomique de l’ex-URSS, à savoir l’Ukraine, le Bélarus et le Kazakhstan. En tant que « gouvernements dépositaires » du Traité de non-prolifération, Moscou, Washington et Londres sont devenus en 1994 et sont toujours aujourd’hui les garants des frontières de ces trois anciennes colonies russes et républiques soviétiques.
Dans leurs trois mémorandums de Budapest, les États dépositaires du TNP ont assuré à Kyïv, Minsk et Almaty/Astana qu’ils ne feraient pas pression sur les trois pays post-soviétiques et qu’ils ne les attaqueraient pas. Cette promesse a été faite par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie en échange de l’accord de l’Ukraine, du Bélarus et du Kazakhstan de se débarrasser de toutes leurs capacités nucléaires militaires et d’adhérer au régime de non-prolifération en tant qu’États non dotés d’armes nucléaires. La Chine et la France, les deux autres États officiellement dotés d’armes nucléaires en vertu du TNP, ont publié des déclarations gouvernementales distinctes garantissant également à l’Ukraine, au Bélarus et au Kazakhstan le respect de leurs frontières. Récemment, cette histoire a été magistralement détaillée par Mariana Budjeryn, historienne du nucléaire à Harvard, dans son livre primé Inheriting the Bomb : The Collapse of the USSR and the Nuclear Disarmament of Ukraine (Johns Hopkins University Press, 2022).
Assurances ou garanties de sécurité ?
Certes, les titres en anglais des trois mémorandums de Budapest ne parlent que des « security assurances » [littéralement : assurances de sécurité] des gouvernements dépositaires du TNP pour l’Ukraine, le Bélarus et le Kazakhstan. Ce détail linguistique est parfois interprété comme signifiant que les promesses faites par Washington, Moscou et Londres à Kyïv, Minsk et Alma Ata/Astana en 1994 n’étaient que semi-obligatoires. Ainsi, la violation manifeste par la Russie de son accord vieux de vingt ans avec l’Ukraine lorsqu’elle a annexé la Crimée en 2014, et nombre d’autres actions similaires de Moscou, ne sont censées être que des violations mineures de certaines « assurances » désormais datées et de la logique du régime de non-prolifération.
Pourtant, les traductions officielles des mémorandums qui sont les plus pertinentes aujourd’hui – à savoir les versions russe et ukrainienne du document – sont nettement différentes de l’original anglais. Dans ses titres russe et ukrainien, le Mémorandum de Budapest porte sur les « garanties de sécurité », c’est-à-dire en russe « o garantiakh bezopasnosti » et en ukrainien « pro harantii bezpeky ». Les traductions russe et ukrainienne de l’expression « on security assurances » dans la version anglaise du mémorandum de Budapest, à savoir « o zavereniakh bezopasnosti » ou « pro zavirennia bezpeky », n’apparaissent pas dans les titres des versions russe et ukrainienne du mémorandum.
Washington et Londres ont donc seulement « assuré », dans la version anglaise du mémorandum de Budapest sur l’Ukraine, qu’ils ne feraient pas pression sur le pays post-soviétique et qu’ils ne l’attaqueraient pas. En revanche, Moscou a « garanti » à Kyïv, dans les versions russe et ukrainienne du document, l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine. Le mot russe pour « garanties », ici au cas prépositionnel, se lit « garantiakh » tandis que ce mot ukrainien, ici au cas accusatif, se lit « harantii ». Si on les écrit en lettres cyrilliques, ces deux mots se ressemblent suffisamment pour affirmer que Moscou comprenait parfaitement, en décembre 1994, qu’elle donnait à Kyïv des garanties plutôt que de simples assurances de sécurité.
La subversion russe du TNP avant la guerre
La Russie a commencé à violer le mémorandum de Budapest et la logique du TNP dès avant le début de sa guerre contre l’Ukraine et l’occupation de la Crimée en février 2014. Par exemple, en 2003, la Russie a tenté d’empiéter sur le territoire et les frontières de l’Ukraine en lançant un projet d’infrastructure unilatéral qui a finalement échoué, aux abords de l’île ukrainienne de Touzla dans le détroit de Kertch, sur la mer Noire. Dix ans plus tard, Moscou a tenté d’empêcher la conclusion par Kyïv d’un accord d’association déjà paraphé avec l’Union européenne. Tout au long de l’année 2013, elle a exercé une forte pression économique et politique sur Kyïv – un comportement explicitement interdit par le troisième article du mémorandum de Budapest.
Il convient également de rappeler que la Russie a commencé dès le milieu des années 1990, bien avant que Poutine ne devienne une étoile montante de la politique russe, ses violations manifestes du régime de non-prolifération dans l’espace post-soviétique. Moscou l’a fait à l’égard d’un autre État européen successeur de l’URSS, la République de Moldavie, qui n’a pas signé de mémorandum de Budapest mais qui, comme l’Ukraine, a adhéré au TNP en tant qu’État non doté d’armes nucléaires en 1994. Cette année-là, Chișinău a également signé un accord avec Moscou sur le retrait des troupes russes et la dissolution de la « République de Transnistrie-Moldavie » non reconnue et soutenue par Moscou dans l’est de la Moldavie. Trente ans plus tard, aucune de ces obligations de la Russie (État doté d’armes nucléaires) à l’égard de la Moldavie (État non doté d’armes nucléaires) n’a été remplie.
Depuis la fin des années 2000, la Géorgie, qui avait également adhéré au TNP en 1994 en tant qu’État non doté d’armes nucléaires, connaît une situation similaire. À la fin de la guerre russo-géorgienne d’août 2008, qui a duré cinq jours, la Russie a signé avec la Géorgie un accord de cessez-le-feu, le « plan Sarkozy », qui obligeait Moscou à retirer ses troupes de Géorgie. Pourtant, la Russie a laissé, en violation de sa promesse de 2008, une grande partie de ses forces régulières sur le territoire de l’État géorgien. En outre, Moscou a reconnu deux régions séparatistes de Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, en tant qu’États indépendants, ce qui est en contradiction flagrante avec la logique du régime de non-prolifération auquel la Russie et la Géorgie participent officiellement.
Certes, la violation continue de l’intégrité territoriale de la Moldavie, de la Géorgie et de l’Ukraine est principalement déterminée par la puissance militaire conventionnelle plus importante de la Russie que par sa puissance nucléaire élevée. Cependant, la possession d’armes atomiques par Moscou et la non-possession d’armes de destruction massive par Chișinău, Tbilissi et Kyïv ont constitué un facteur de fond important dans le comportement expansif du Kremlin depuis 30 ans maintenant. Sans son importante capacité militaire nucléaire, la Russie aurait dû se montrer beaucoup plus prudente dans le déploiement permanent de forces conventionnelles dans des pays où ces troupes ne sont pas souhaitées.
En outre, les actions agressives de Moscou n’étaient – contrairement aux affirmations tapageuses du Kremlin – que partiellement liées aux affaires internationales et/ou intérieures de la Moldavie, de la Géorgie et de l’Ukraine. Les troupes russes sont stationnées illégalement sur les territoires d’une part de la Géorgie et de l’Ukraine, pays officiellement candidats à l’OTAN, et d’autre part de la République de Moldavie, officiellement neutre et qui, conformément à sa constitution de 1994 toujours en vigueur, ne peut ni adhérer à l’OTAN ni autoriser la présence de troupes étrangères sur son territoire. Les occupations russes de la Transnistrie, de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud se sont poursuivies indépendamment de la position des gouvernements de la Moldavie et de la Géorgie dans le passé ou aujourd’hui, qu’ils soient pro-russes ou pro-occidentaux. Que les dirigeants de Chișinău et de Tbilissi aient été communistes ou nationalistes, amis ou adversaires de Moscou n’a eu que peu d’effet sur l’occupation illégale par la Russie des territoires officiels de la Moldavie et de la Géorgie. Et ce, bien que ces territoires soient couverts par le TNP et de nombreux autres traités relatifs à la sécurité auxquels la Russie, la Géorgie et la Moldavie sont parties.
Il en va de même pour le comportement de la Russie à l’égard de l’Ukraine. De nombreux observateurs oublient aujourd’hui que Moscou a intensifié sa guerre « hybride » non cinétique contre l’État ukrainien dès avant 2014 et a commencé à s’emparer militairement de la Crimée en 20 février 2014. Au cours de ces périodes, l’État ukrainien était dirigé par Viktor Ianoukovitch, un homme politique ouvertement pro-russe. Le président ukrainien, favorable à Moscou, était encore au pouvoir lorsque la Russie a exercé, tout au long de l’année 2013, une forte pression économique et politique sur l’Ukraine pour qu’elle ne signe pas l’accord d’association avec l’UE. Et ce, en dépit de l’obligation de Moscou, de Washington et de Londres, stipulée dans le mémorandum de Budapest « de ne pas recourir à la coercition économique afin de subordonner à leur propre intérêt l’exercice par l’Ukraine des droits inhérents à sa souveraineté et d’en tirer un avantage quelconque ». M. Ianoukovitch était encore en fonction lorsque la Russie a commencé, en février 2014, à occuper illégalement la péninsule ukrainienne de Crimée – une action également interdite par le mémorandum de Budapest. Ianoukovitch a quitté son bureau présidentiel, la ville de Kyïv et finalement l’Ukraine pour la Russie seulement après que les troupes régulières russes sans insignes eurent commencé à conquérir par la force le territoire sud de l’Ukraine.
Comment Moscou a mis le TNP sur la sellette
Depuis février 2014, la Russie ne s’est pas contentée d’attaquer l’Ukraine de manière toujours plus impitoyable par des moyens militaires et non militaires, ainsi qu’avec des forces régulières et irrégulières. Moscou a également violé de manière encore plus flagrante et démonstrative les garanties de sécurité qu’elle avait données à Kyïv dans le mémorandum de Budapest de 1994. Les actions de Moscou contredisent ainsi de plus en plus la logique du régime de non-prolifération, tel qu’il existe depuis 1970, et vont même jusqu’à l’inverser.
Le TNP est aujourd’hui, avec les conventions similaires sur les armes biologiques et chimiques, un élément central du système de sécurité mondial fondé sur la Charte des Nations Unies après 1945. Outre ses dispositions écrites, le TNP a pour fonction implicite de faire respecter les frontières des États non dotés d’armes nucléaires, en particulier vis-à-vis des cinq États officiellement dotés d’armes nucléaires. Dans son introduction, le TNP « [rappelle] que, conformément à la Charte des Nations Unies, [les] États [qui ont signé le traité ou y ont adhéré]doivent s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les Buts des Nations Unies […] ». Limitant la possession temporaire d’armes atomiques à cinq pays qui sont également membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies ( « les P5 »), le TNP vise à réduire le risque de guerre entre États en général, et l’utilisation d’armes nucléaires comme instruments d’une politique étrangère expansionniste en particulier.
En tant que successeur légal de l’URSS, fondateur et dépositaire du TNP, et garant explicite de l’inviolabilité des frontières de l’Ukraine dans le mémorandum de Budapest, la Russie a remis en question l’objectif du régime de non-prolifération. En autorisant la Russie à posséder des armes nucléaires, le TNP a aidé Moscou à mener sa guerre expansionniste et génocidaire contre l’Ukraine. L’interdiction par le TNP de la possession d’armes nucléaires par l’Ukraine a empêché la dissuasion et la défense efficaces de Kyïv contre l’assaut russe depuis 2014.
Le TNP a permis à Moscou de menacer non seulement l’Ukraine, mais aussi ses alliés – en particulier les alliés non nucléaires – d’annihilation atomique et d’hiver nucléaire, s’ils continuent à aider la résistance ukrainienne contre l’expansion territoriale éhontée de la Russie et la terreur continue contre les civils. L’autorisation par le TNP de la possession d’armes nucléaires par la Russie a eu, par le passé, et aura, dans un avenir prévisible, pour effet d’empêcher les pays respectueux du droit international d’apporter un soutien militaire à l’Ukraine. Cette inhibition concerne à la fois la fourniture à l’Ukraine de certaines technologies militaires conventionnelles particulièrement efficaces, telles que les missiles de croisière allemands Taurus, et l’autorisation de les utiliser, ainsi que le déploiement de troupes alliées sur le sol ukrainien, qu’elles soient envoyées par l’OTAN, l’UE ou une coalition ad hoc d’États-nations favorables à l’Ukraine.
Si Kyïv avait possédé des armes nucléaires en 2014, la Russie n’aurait probablement pas attaqué l’Ukraine, risquant de voir disparaître, par une riposte nucléaire ukrainienne, des villes russes entières – comme ce fut le cas pour Hiroshima et Nagasaki en août 1945. En revanche, si Moscou n’avait pas possédé d’armes nucléaires en 2014, les alliés occidentaux de l’Ukraine seraient très probablement venus rapidement en aide à Kyïv. Une coalition de volontaires aurait probablement libéré, en 2014-2015, la péninsule de Crimée illégalement annexée et les parties occupées du Donbass, de la même manière qu’une coalition dirigée par les États-Unis a libéré, en 1991, le Koweït qui avait été occupé et annexé par l’Irak l’année précédente. Les règles établies par le TNP ont donc facilité à la fois le début de l’expansion territoriale et de la guerre génocidaire de la Russie en 2014, et le manque de volonté de la communauté internationale de renverser résolument la prise initiale de territoires par Moscou, d’empêcher la poursuite de l’expansion russe et de prévenir le génocide en cours en Ukraine.
Conclusions et recommandations politiques
Le régime de non-prolifération nucléaire est entré en vigueur en 1970. Il tire sa légitimité du fait qu’il s’agit d’un accord global qui contribue à limiter l’émergence et l’escalade des guerres et à empêcher l’utilisation d’armes nucléaires à des fins expansionnistes. Pourtant, il produit aujourd’hui des effets assez différents, liés à la guerre d’anéantissement menée par la Russie contre l’Ukraine, État signataire du TNP, et à la prise de possession de son territoire. Depuis 2023, ces effets corrosifs sont encore aggravés par l’implication de plus en plus directe de la Corée du Nord dans la guerre russo-ukrainienne, en tant qu’État doté d’armes nucléaires non signataire du TNP et non signataire de la convention sur les armes chimiques. Interdite par le TNP de posséder des armes atomiques, l’Ukraine est attaquée par deux pays qui possèdent des armes nucléaires.
En outre, la Russie est aidée dans sa subversion du régime de non-prolifération, d’une manière ou d’une autre, par d’autres États signataires du TNP. La Chine (État officiellement doté d’armes nucléaires), et l’Iran (État non doté d’armes nucléaires, du moins pour l’instant) aident activement la Russie dans ses efforts de guerre en lui fournissant une aide militaire, à double usage ou/et non militaire. En soutenant la guerre de la Russie, la Chine contredit manifestement sa « Déclaration du Gouvernement chinois en date du 4 décembre 1994 sur les garanties de sécurité destinées à l’Ukraine ». Dans ce document historique déposé auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies, Pékin avait assuré à Kyïv, suit à la décision de l’Ukraine de devenir un État non doté d’armes nucléaires en vertu du TNP et la signature du mémorandum de Budapest, que la Chine « [comprenait] parfaitement le désir de l’Ukraine d’obtenir des garanties de sécurité. […] Le Gouvernement chinois n’a pas laissé de s’élever contre la pratique consistant à exercer des pressions politiques, économiques ou autres dans les relations internationales. Elle estime que les différends doivent être réglés de manière pacifique par voie de consultations, sur un pied d’égalité. […] [La] Chine reconnaît et respecte l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine […]. »
Le Bélarus a signé son propre mémorandum de Budapest avec les États-Unis, le Royaume-Uni et la Fédération de Russie en 1994. Néanmoins, le Bélarus permet aujourd’hui à la Russie de stationner et de mettre en action non seulement des troupes conventionnelles, mais aussi des armes nucléaires sur son territoire. Minsk aide ainsi, et de bien d’autres manières, Moscou dans son attaque contre l’Ukraine et contribue à saper les idées qui sous-tendent le TNP et les mémorandums de Budapest.
Comme la Corée du Nord, l’Inde est un État doté d’armes nucléaires qui n’est pas signataire du TNP, mais contrairement à la Corée du Nord, elle soutient rhétoriquement l’Ukraine. Pourtant, l’Inde est devenue un partenaire commercial majeur de la Russie depuis 2022. New Delhi contribue donc indirectement à la corrosion de la confiance internationale dans la logique de non-prolifération.
De toute évidence, le fonctionnement et l’avenir du TNP sont étroitement liés au déroulement, aux résultats et aux répercussions de la guerre russo-ukrainienne. Compte tenu de la grande importance pour l’humanité du maintien du régime de non-prolifération, les six objectifs politiques suivants peuvent être recommandés aux acteurs intéressés par sa défense :
- Tous les États signataires du TNP soucieux de sa préservation devraient fournir à l’Ukraine (État non doté d’armes nucléaires), autant qu’ils le peuvent, un soutien militaire et non militaire permettant à Kyïv de remporter une victoire convaincante sur le champ de bataille et de libérer ses territoires actuellement occupés illégalement par la Russie.
- Tous les États signataires du TNP soucieux de sa préservation devraient exiger de Moscou qu’elle mette immédiatement fin à ses menaces d’escalade nucléaire et avertir la Russie et ses alliés qu’une telle escalade déclencherait une contre-réaction militaire et non militaire résolue de leur part.
- Tous les États signataires du TNP soucieux de sa préservation devraient sanctionner efficacement et condamner publiquement la Russie et la Corée du Nord, États dotés d’armes nucléaires, tant qu’elles continueront à mener une guerre expansionniste sur le territoire de l’Ukraine, État non doté d’armes nucléaires. Le même mécanisme devrait s’appliquer à l’occupation continue par la Russie de certaines parties de la Moldavie et de la Géorgie, deux États non dotés d’armes nucléaires.
- Tous les États signataires du TNP soucieux de sa préservation devraient insister sur une paix juste pour l’Ukraine, y compris sur la restauration complète de son intégrité territoriale, la préservation complète de sa souveraineté nationale, le retour complet de tous les prisonniers de guerre et des civils déportés, y compris les enfants, et la compensation complète de la destruction de l’Ukraine par des réparations russes.
- Toutes les organisations non gouvernementales, les entreprises et les particuliers favorables au maintien du régime de non-prolifération devraient soutenir, par tous les moyens dont ils disposent, la victoire et le rétablissement de l’Ukraine, s’opposer publiquement à la Russie et à la Corée du Nord et les sanctionner avec tous les instruments dont ils disposent.
- Washington et Londres ont, en tant que gouvernements dépositaires du TNP de 1968 et signataires du mémorandum de Budapest de 1994, des responsabilités particulières à l’égard de Kyïv. Les États-Unis et le Royaume-Uni devraient donc proposer à l’Ukraine de transformer leurs garanties de sécurité, vieilles de 30 ans, en un pacte d’aide mutuelle. Une alliance militaire tripartite à part entière protégerait l’Ukraine jusqu’à ce qu’elle devienne membre de l’OTAN et permettrait également l’utilisation internationale du savoir-faire et des ressources ukrainiennes croissantes dans le domaine de la guerre. Tous les autres États signataires du TNP devraient être invités à adhérer à ce traité de défense trilatéral et à contribuer ainsi au maintien de la logique du régime de non-prolifération.
Traduit de l’anglais par Desk Russie
Andreas Umland est analyste au Centre de Stockholm pour les études sur l'Europe de l'Est, qui fait partie de l'Institut suédois des affaires internationales (UI), professeur associé de sciences politiques à l'Académie de Kyiv-Mohyla, et directeur de la collection « Soviet and Post-Soviet Politics and Society » publiée par Ibidem Press à Stuttgart. Son livre le plus connu est Russia’s Spreading Nationalist Infection (2012).