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En 2019, beaucoup de mes amis ukrainiens, des intellectuels pour la plupart, avaient critiqué l’élection d’un acteur comique et créateur de shows télévisés au poste présidentiel. Ils affirmaient que les gens l’avaient confondu avec le personnage de la série télévisée, Serviteur du peuple, interprété par Zelensky. Il s’agit d’un professeur d’histoire qui devient président après avoir critiqué le gouvernement corrompu.
Cinq ans plus tard, le nom de Zelensky est connu jusque dans la forêt amazonienne, car cet homme est devenu l’image et le symbole de l’Ukraine qui combat l’agression russe. Au tout début de la guerre, lorsque l’ambassade américaine lui a proposé d’évacuer Kyïv – ces jours-là, le monde entier était persuadé que la capitale ukrainienne allait tomber et ensevelir la souveraineté du pays sous ses décombres –, Zelensky a eu le courage de donner une réponse devenue proverbiale : « Je n’ai pas besoin de taxi, mais de munitions. »
Depuis l’agression russe, Zelensky sillonne inlassablement les capitales et les institutions du monde entier, plaidant en faveur d’une aide militaire et financière pour l’Ukraine. En trois ans, il a été ovationné dans des dizaines de parlements dont le Congrès et le Sénat des États-Unis. Il a fait venir différents chefs d’État et ministres à Kyïv, ce qui a changé la perception de la guerre chez certains d’entre eux, dont Emmanuel Macron. Courageusement, il a fait des dizaines de déplacements sur la ligne de front, restant proche des combattants, proche de son peuple.
Cette stratégie a été payante. Tandis que l’Ukraine résistait, il a pu obtenir une aide toujours plus substantielle, bien qu’insuffisante, de l’UE et des États-Unis et promouvoir l’idée d’un futur tribunal pour les crimes de guerre russes. Certes, au fur et à mesure que la guerre s’éternise, l’accueil dans les pays occidentaux n’est plus aussi enthousiaste qu’il l’a été, mais le soutien de l’Europe semble indéfectible. Le président Zelensky jouit toujours d’un haut pourcentage d’opinions favorables dans son pays, entre 50 % et 60 %. C’est un taux plus élevé que celui de la plupart des dirigeants européens, plus élevé que celui de Donald Trump. Certains Ukrainiens, fatigués par trois ans de guerre, de pertes humaines et de souffrances indicibles, critiquent Zelensky pour ses manquements dans l’organisation de la défense et de la mobilisation, etc., mais le peuple ne demande ni de nouvelles élections, ni d’impeachment.
Ce petit bonhomme mal rasé en tenue de camouflage ou en veste kaki apparaît comme un visionnaire, un nouveau Churchill qui mène son peuple à la victoire à travers une tempête déchaînée. Dès le début de la guerre, le Kremlin a misé sur son élimination. On sait qu’en 2022, les sbires de Ramzan Kadyrov ont été chargés de cette besogne, mais n’ont pas réussi. Au total, plusieurs tentatives d’assassinat contre Zelensky ont été déjouées par les services de sécurité ukrainiens. Le Kremlin a également affirmé que Zelensky n’était pas un président légitime, car son régime est issu du Maïdan, que l’administration russe qualifie de « coup d’État ». Cette affirmation, ainsi que le projet d’éliminer le président ukrainien, font partie de la stratégie dite de « dénazification », à savoir le remplacement de la direction existante par un régime pro-russe.
Dès la fin 2023, à quelques mois de l’élection présidentielle qui aurait dû se tenir en mai 2024, sauf que la loi martiale interdit la tenue d’élections en accord avec la Constitution ukrainienne, Poutine en personne et les propagandistes russes ont commencé à employer un nouvel argument sur l’illégitimité supposée de Zelensky. Ils réclamaient des élections et soulignaient inlassablement que seul un nouveau président (pro-russe, bien entendu) pourrait négocier avec eux.
Que Zelensky, un vrai patriote, soit comme un os coincé dans la gorge de Poutine n’est pas étonnant. Ce qui est ahurissant, c’est que Trump et ses propagandistes non seulement répètent les éléments de langage du Kremlin, mais en rajoutent.
Lorsque Trump appelle Zelensky « le plus grand commercial de la planète » et « un comique pas trop réussi » qui a su extorquer 350 milliards de dollars au « sleepy Joe » (Biden), c’est faux. Pour les années fiscales 2022 à 2024, le Congrès américain a octroyé à l’Ukraine 183 milliards de dollars au total, dont une partie dans des programmes pour les années à venir. En trois ans, l’Ukraine a reçu des armes pour 67 milliards de dollars et 31,5 milliards de dollars d’aide budgétaire directe de la part des États-Unis. En plus, une partie de l’argent alloué pour soutenir l’Ukraine a été restitué aux États-Unis. Les entreprises américaines ont notamment profité de ces fonds pour produire de nouvelles armes, afin de remplacer des armes plus anciennes données à l’Ukraine.
Lorsque Trump accuse Zelensky de refuser d’organiser des élections et le traite de « dictateur sans élections », c’est la répétition des allégations du Kremlin. Lorsqu’il affirme que la cote de popularité de Zelensky est de 4 %, il dépasse les mensonges russes. Elon Musk, qui utilise son X pour semer la haine et diffuser des mensonges, a même écrit que Zelensky était « licencié » de son poste.
Il est particulièrement choquant que Trump accuse désormais l’Ukraine d’avoir commencé une « guerre stupide » qu’elle n’avait aucune chance de gagner. Même la propagande russe ne nie pas que la Russie a commencé la guerre. En effet, Poutine en personne a annoncé le 24 février 2022 qu’il lançait une « opération militaire spéciale », à la suite de laquelle les troupes russes ont procédé à une invasion à grande échelle sans rien demander au préalable à l’Ukraine.
Les mensonges et la mauvaise foi de Trump sont également évidents lorsqu’il affirme que Zelensky aurait mal traité le secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, qui était venu à Kyïv pour signer un accord sur les minerais. Selon Trump, Zelensky n’aurait même pas reçu le ministre car « il dormait ». En réalité, Zelensky a rencontré Bessent le 12 février, ce qui est confirmé par des photos de cet entretien.
Ces basses attaques ont pour objectif d’arracher à Zelensky la signature dudit accord de type colonial sur l’extraction de minerais et de terres rares, ainsi que sur l’usage des infrastructures portuaires et autres par des compagnies américaines, avant toute négociation sur l’arrêt des hostilités. L’administration trumpienne évalue la part qui sera extorquée à l’Ukraine exsangue en faveur des États-Unis à 500 milliards de dollars, mais ne donne aucune garantie pour la paix future. En homme d’État responsable, même sous une pression terrible, Zelensky n’a pas signé cet accord car il ne répond pas aux intérêts de son pays. Désormais, Trump et son entourage versent dans la désinformation, le mensonge et le chantage. Ainsi, Elon Musk menace de priver l’Ukraine de la couverture de son réseau Starlink, qui est le principal moyen de communication des militaires ukrainiens. Quant à Trump, il laisse entendre que si Zelensky résiste, il n’aura bientôt plus de pays.
En clair, le président ukrainien est désormais comme un os coincé non seulement dans la gorge de Poutine, mais aussi dans celle de Trump et de son entourage. C’est pour cette raison que l’administration américaine insiste, à l’instar des Russes, sur la tenue d’élections présidentielles en Ukraine comme condition préalable à la paix. Grâce à des manipulations sur les réseaux sociaux, dont les acolytes de Musk et les trolls du Kremlin sont de grands spécialistes, dans un pays en guerre avec des millions de déplacés et près d’un million sur le front, il serait facile d’obtenir des résultats truqués. Les médias russes évoquent déjà des candidats qui conviendraient au Kremlin, à savoir le président ukrainien déchu Viktor Yanoukovytch et l’homme politique pro-russe Viktor Medvedtchouk, parrain de l’une des filles de Poutine, jugé en Ukraine pour haute trahison.
Comme jamais, Volodymyr Zelensky, homme à abattre par Moscou et par Washington, a besoin d’un soutien indéfectible de l’Europe. L’avenir de l’Ukraine en dépend.
Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.