Oleksiy Novikov, né à Marioupol, est le plus jeune prisonnier de guerre de la guerre russo-ukrainienne. À la veille de l’invasion russe, il n’avait que 18 ans. Le 25 février 2022, le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’est porté volontaire pour la défense territoriale de Marioupol. Oleksiy a participé aux combats jusqu’à la mi-avril 2022 : il a ensuite été emmené en captivité en Russie, où il est resté pendant près de deux ans et demi. En septembre 2024, Novikov est retourné en Ukraine à la suite d’un échange. Son témoignage est glaçant.
Dans une interview en ukrainien accordée au projet « News of the Azov Region » de Radio Liberty, Oleksiy raconte son combat à Marioupol, sa capture et sa libération. Il déclare qu’avant même que la Russie ne lance une invasion à grande échelle de l’Ukraine, il avait émis la supposition d’une telle évolution. Mais ni lui ni sa ville n’ont eu le temps de se préparer correctement à la guerre.
« J’étais déterminé à défendre le pays en cas d’invasion massive. Mais j’ai pris un peu de retard dans ma formation militaire, explique-t-il. Le 24 février, mon camarade de classe et moi-même avions prévu de rencontrer la responsable d’une organisation de jeunesse qui s’occupait de l’éducation patriotique des jeunes. Nous pensions nous préparer progressivement grâce à elle. Mais il s’est avéré qu’il était trop tard pour le faire. »
Novikov raconte qu’il a immédiatement rejoint la défense territoriale de Marioupol, sans hésitation. Selon lui, il y avait beaucoup de personnes disposées à le faire dans la ville à l’époque. « Je n’avais aucune crainte et je ne comprenais pas très bien ce qui nous attendait, avoue-t-il. Nous savions déjà que la guerre avait éclaté et que la Russie lançait toutes ses forces. J’ai compris que pendant la guerre, tout pouvait arriver et que je devrais risquer ma vie à tout moment. Mais je n’ai pas hésité. Ma décision a été prise instantanément. »
Lorsqu’il s’est rendu au siège de la défense territoriale locale, on a d’abord essayé de lui refuser l’admission dans l’unité en raison de son jeune âge. « Il y avait des filles assises là qui inscrivaient les bénévoles à la défense territoriale. Je leur ai donné mes documents où il était marqué que j’avais 18 ans, que j’étais étudiant. Elles ont essayé de me dissuader, me demandant : Tu es sûr ? Tu as bien réfléchi ? Tu connais les risques ? Tes parents sont au courant ? et ainsi de suite », raconte Oleksyi. Mais l’un des officiers d’état-major est sorti et leur a dit : « Qu’est-ce qui vous empêche de l’inscrire ? S’il veut s’engager, c’est sa décision consciente. À 18 ans, il est majeur. S’il veut s’engager, qu’il le fasse », se souvient Novikov.

D’après ses souvenirs, dans la soirée du 25 février 2025, des fusillades ont commencé à Marioupol. « Nous avons eu notre première mission dès le lendemain. Le matin, ma section a été équipée, on nous a donné du matériel, des blindés, des lance-grenades, des grenades, etc., raconte-t-il. Et on nous a envoyés garder le pont reliant les rives gauche et droite de Marioupol. Il est fort probable que des groupes de sabotage de l’ennemi se trouvaient déjà dans la ville à ce moment-là. Je ne sais pas exactement quand ils sont arrivés, car ma tâche était d’être à l’arrière et de fournir des services logistiques. J’ai transporté des munitions, de la nourriture, des blessés », témoigne Oleksyi.
Les lignes de communication dans la ville ont été coupées, et les gens de la défense territoriale avaient pour mission d’indiquer aux habitants comment quitter la ville. Le jeune homme raconte que certains habitants de la ville avaient des opinions pro-russes. « Les civils n’avaient plus aucune information. Un jour, se souvient Oleksyi, une femme est venue nous voir et a commencé à nous dire : Pourquoi tirez-vous sur nous ? J’ai été choqué. Je suis un habitant de Marioupol ! Je me suis battu pour la défense de la ville et j’entends ce genre de reproches à mon adresse et envers les forces de défense de la ville. Bien sûr, les gens qui disent cela ont subi un lavage de cerveau et vous ne pouvez rien leur prouver, vous ne pouvez pas les convaincre. Ils persisteront à dire ce qu’ils veulent, même si vous leur donnez toutes les preuves. En fait, la majorité des habitants était apolitique, et parmi les gens actifs, il y a eu des pro-russes et des pro-ukrainiens », explique Novikov.
Au début du mois d’avril 2022, l’unité dans laquelle Oleksyi servait a changé de position. Les communications y étaient accessibles et Novikov a appris que sa mère avait réussi à quitter la ville. À ce moment-là, la situation à Marioupol ne cessait de se dégrader. Le 14 avril, l’unité d’Oleksiy a reçu l’ordre de se retirer vers l’usine Azovstal, que l’armée ukrainienne allait réussir à tenir pendant plus d’un mois. Novikov explique que l’opération d’évasion ne s’est pas déroulée comme prévu.
« Au début, nous nous sommes alignés en colonne et nous sommes partis de manière organisée. Mais au bout de 10 à 15 minutes, les tirs d’artillerie ont commencé et tout le monde s’est dispersé. J’étais perdu, je ne savais pas où se trouvaient mes compagnons d’armes.
En chemin, j’ai rencontré des personnes qui marchaient dans la même direction sur le boulevard Primorsky. Nous avons marché jusqu’à l’aube« , raconte Oleksyi. Selon lui, cette nuit-là, de nombreuses unités de l’armée n’ont pas réussi à atteindre Azovstal, si bien que certaines personnes se sont rendues en ville, tandis que d’autres ont tenté de quitter Marioupol par leurs propres moyens. Oleksiy a essayé de faire de même. Il se rendait compte que les Russes allaient peut-être lancer une opération de nettoyage. « J’ai d’abord rejoint Melekino, où je connaissais des gens. Je ne disais à personne que j’étais militaire, afin de ne pas les mettre dans l’embarras et de ne pas me mettre dans l’embarras », explique le jeune homme.
Novikov a réussi à s’éloigner de 70 kilomètres de Marioupol. Mais le 23 avril 2022, il a été arrêté à l’un des postes de contrôle russes. « Ils ont fouillé mes affaires. Ils se demandaient surtout pourquoi j’avais sur moi tout ce qu’il faut pour survivre. Ils n’aimaient pas non plus le fait que j’aie un couteau, raconte le jeune Ukrainien. Mais ce qui les a convaincus que j’étais probablement un militaire, c’est une photo dans mon téléphone. L’une de mes photos montrait un fragment de mon uniforme, et une autre mon pendentif en forme de trident1. Ils ont donc supposé que j’étais militaire. L’un d’eux s’est approché de moi avec un fusil, a enlevé la sécurité du fusil automatique, a tiré la culasse, l’a placé sur ma tête et m’a dit : Allez, avoue, salaud, que tu es un militaire, sinon que je vais te tirer une balle dans la tête », se souvient Oleksyi.
Après l’avoir gardé au poste de contrôle, l’armée russe a emmené Novikov au bureau du commandant à Kremenovka, dans le district de Marioupol. « Les premières semaines ont été normales. Sans compter les interrogatoires, ils m’ont traité normalement : ils ne m’ont pas battu, ils ne m’ont pas affamé, raconte Oleksyi. Parmi les Russes, il y avait à la fois des conscrits et des volontaires mobilisés, moins nombreux. Un jeune homme avait 19 ans. Je ne sais pas, peut-être que cela les a influencés d’une manière ou d’une autre, mais ils étaient plus compréhensifs à notre égard. Pendant tout le temps que j’ai passé là-bas, je n’ai été frappé à la poitrine qu’une seule fois. »
Selon Oleksiy, les cellules de Kremenovka étaient surpeuplées ; une cellule pouvait contenir jusqu’à 70 personnes, avec un nombre réduit de couchages. Certains étaient assis, d’autres dormaient à tour de rôle. Novikov a ensuite été emmené dans une prison de Donetsk. Oleksiy dit que c’est là qu’il a ressenti ce qu’était une véritable captivité.
« Dans les endroits précédents, mes affaires n’étaient pas confisquées, les gardiens ne me prenaient que mon téléphone et ma carte SIM, et je pouvais garder tout le reste. À Donetsk, ils m’ont pris mon Nouveau Testament, mes guêtres, mes chaussettes. Ils ont immédiatement écarquillé les yeux et se sont jetés sur mes affaires comme des vautours, ils ont tout pris, raconte-t-il. Ils ont pris des croix, des livres. Ils nous ont traités de “satanistes”, de “nazis”. Peu à peu, cet endroit a été de plus en plus terrible. Il est devenu cauchemardesque après la reddition d’Azovstal, explique Oleksiy. Nous n’avions aucun accès aux informations. Lors des interrogatoires, on me faisait du chantage en promettant de s’en prendre à ma famille. Nous n’avions pas de livres. Nous avions droit à une promenade une fois par semaine, voire toutes les deux semaines. Pour la douche, c’était pareil. Pour aller aux toilettes, il fallait mendier, mais ils pouvaient aussi refuser : il y a eu des moments où ils ne nous laissaient pas du tout aller aux toilettes pendant toute la journée. Heureusement, nous avions des bouteilles vides, alors nous les utilisions. »
Oleksyi se souvient qu’au fil du temps, les conditions de vie dans la prison sont devenues tellement insupportables que les prisonniers étaient prêts à se révolter à cause de l’épuisement, de la fatigue et de la faim. « Pour le dîner, on nous apportait des bols avec deux cuillères de purée de pommes de terre instantanée et une petite tranche de pain, dans le meilleur des cas, raconte-t-il. Souvent on était à la limite de l’évanouissement. La faim, la fatigue, la colère grandissaient. Un peu plus, et nous étions vraiment prêts à déclencher une mutinerie. Pourquoi n’avons-nous pas fait d’émeute ? Parce que tout le monde attendait un échange officiel. »
Selon Novikov, les cellules de la prison où il était détenu contenaient à la fois des prisonniers de guerre et des civils, pour la plupart originaires du Donbass. Oleksiy y a également rencontré des personnes originaires des régions de Zaporijjia et de Kherson, partiellement occupées par la Russie. « Les civils étaient traités de la même manière que les militaires : ils étaient frappés et humiliés. Une fois, les Russes ont emmené un homme de 60 ans parce qu’il ne voulait pas leur donner sa voiture. Il pouvait leur arriver d’attraper simplement quelqu’un dans la rue », explique Novikov à propos de ses codétenus.
Novikov note que les pires traitements infligés aux prisonniers de guerre ukrainiens l’ont été précisément sur le territoire russe. « C’est en Russie qu’ils ont été les plus maltraités. Il y a une différence entre les militaires russes et ceux de la république de Donetsk, souligne-t-il. Dans le territoire occupé de la région de Donetsk, les habitants nous ont traités avec une certaine compréhension. Et en Russie, il y a une attitude terrible envers tout le monde. La majorité absolue des centres de détention en Russie ne sont que des centres de torture. Certains inspecteurs déclaraient directement : “Je suis un sadique, je ne le cache pas, j’aime vous battre.” Parfois, j’ai rencontré des gardiens ou des inspecteurs normaux, qui pouvaient même donner une cigarette ou un bonbon à quelqu’un, se souvient Oleksiy. Mais la plupart d’entre eux étaient des brutes. »
En juillet 2022, Oleksiy a été transféré de Donetsk à la colonie de Elenovka (Olenivka), également dans la partie de l’oblast de Donetsk occupée par les Russes. C’était l’un des principaux lieux de détention des prisonniers de guerre ukrainiens. Le 28 juillet 2022, une explosion s’y est produite, tuant une cinquantaine de prisonniers. L’Ukraine estime que l’explosion a été organisée par les autorités russes ; Moscou affirme qu’elle a été causée par des tirs d’obus en provenance d’Ukraine. Novikov a été transféré à Horlivka, avec d’autres prisonniers de guerre, la veille de la tragédie. « On m’a dit que la majorité absolue parmi les victimes, c’étaient des combattants d’Azov. Certains sont morts, d’autres ont été gravement blessés, d’autres encore ont eu la moitié de leur corps touché. Je le sais d’après les témoignages de ceux qui étaient là. » Oleksiy est convaincu que l’explosion de la caserne de la colonie d’Olenivka était un acte terroriste planifié. Selon le bureau du procureur général ukrainien, la cause de l’explosion du bâtiment pourrait être une arme thermobarique. Mais il est impossible de l’établir avec certitude : les autorités russes ont refusé de laisser les experts de l’ONU se rendre sur le site de l’explosion, prétendument en raison de l’absence des garanties de sécurité nécessaires.
Oleksiy affirme que sa foi l’a aidé à rester en captivité et à ne pas se rendre. Dans la colonie de Horlivka, il s’est joint à un cercle religieux et s’est intéressé de plus près à la religion. « J’ai compris que chaque problème que je rencontre est une épreuve que je dois passer. J’ai ma propre croix à porter, mais je sais qu’à la fin il y aura un soulagement, explique-t-il. Et ce soulagement peut être plus satisfaisant et plus fort que les épreuves que je subis. Chaque fois que je traverse une période difficile, comme l’aggravation d’une maladie, ou que je suis vraiment en difficulté, ou que je m’effondre mentalement, je me tourne vers Dieu dans la prière. »
Oleksiy est rentré en Ukraine le 13 septembre 2024 à la suite d’un échange de prisonniers de guerre. Deux jours avant l’échange, lui et plusieurs autres prisonniers ont été convoqués au quartier général. Les militaires russes leur ont demandé s’ils voulaient rester en Russie et, en outre, rejoindre l’armée russe. Tous les combattants ukrainiens ont bien sûr refusé, raconte Oleksyi. Selon lui, il avait le pressentiment de cet échange, mais personne n’était sûr qu’il se produirait.
« Nous n’y avons pas cru jusqu’au bout. Mais j’ai eu une sorte de prémonition, dit-il. Il y a un mot grec qui s’appelle metanoia – un changement de conscience. J’ai essayé de changer ma conscience pour qu’elle soit plus proche des canons chrétiens. C’est pourquoi, au cours des deux semaines qui ont précédé l’échange, je me sentais déjà prêt. On s’attendait à ce que l’échange soit proche, mais c’est difficile à comprendre. C’est un problème propre à la captivité : plus on y est, moins on croit à la possibilité d’un échange, et plus il est difficile de l’accepter, explique Novikov. Vous êtes déjà habitué à un modèle de comportement : vous êtes une personne servile, vous n’avez aucun droit. Il est difficile de réaliser qu’il faut rentrer chez soi. Les gars et moi avons eu beaucoup de conversations à ce sujet avant l’échange. J’ai pensé à ce qui arriverait à ceux qui rentreraient chez eux dans six mois ou un an. Certains des gars de 2014 sont encore en prison. »
Selon Oleksiy, le transfert vers l’Ukraine fut très inconfortable. « Nous étions dans la position de la crevette. Nous étions recroquevillés, la tête en bas, les yeux bandés, les mains attachées devant soi, décrit-il. Je suis resté dans cet état pendant au moins 12 heures. Nous avons d’abord voyagé en voiture, puis en avion et enfin en bus pendant au moins quatre heures. C’était très fatigant. Mais j’étais animé par l’idée que j’allais bientôt rentrer chez moi. Je ne voulais ni manger ni boire, et tous mes besoins ont été relégués au second plan. »
« Pendant la procédure d’échange, nous avons vu devant nous les Russes contre lesquels nous étions échangés, raconte Oleksyi. J’ai été surpris de voir qu’ils étaient tous en uniforme, bien engraissés. Et nous, des squelettes vivants. Il y a eu une certaine confusion dans nos sentiments. Apparemment on se réjouit, mais avec beaucoup de prudence, de peur que tout cela ne s’arrête soudainement. En captivité, j’ai appris à me centrer, à me renfermer sur moi-même pour que mes émotions ne me déchirent pas. »
Oleksyi n’a fondu en larmes que lorsqu’il a appelé sa mère : « J’ai trouvé un bénévole qui a permis à tout le monde d’utiliser son téléphone. Je me souvenais du numéro de ma mère, je savais qu’elle n’en avait certainement pas changé. Je l’ai appelée et j’ai fondu en larmes. C’était un moment de faiblesse », admet-il.
Actuellement, Oleksyi Novikov s’occupe de sa santé et résout les problèmes liés à la reprise de ses études à l’université. À l’avenir, il souhaite toujours reprendre son service militaire.
Selon le siège de coordination ukrainien pour le travail avec les prisonniers de guerre, au 5 février 2025, Kyïv avait réussi à faire revenir 4 131 personnes de captivité russe, tant militaires que civiles.
Traduit de l’ukrainien par Desk Russie
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