Connu pour ses méthodes autoritaires, le chef pro-Kremlin de la République tchétchène, Ramzan Kadyrov, présenté déjà en 2006 par l’Express comme le « tortionnaire en chef de Tchétchénie », aurait ordonné la rafle de dizaines de membres de familles de plusieurs blogueurs tchétchènes, pour la plupart réfugiés en UE. Si leurs voix dissidentes à l’étranger ne consentent pas à se taire, les otages en paieront le prix, les menace-t-on. Pour l’instant, les médias occidentaux restent muets.
Le plus connu parmi les six opposants dont les proches font l’objet de cette vague d’enlèvements est Toumso Abdourakhmanov, qui compte près de 430 mille abonnés sur sa chaîne YouTube. Réfugié en Suède, il critique systématiquement les atteintes aux droits de l’homme dans son pays d’origine, au point de devenir la bête noire des autorités tchétchènes, qui lui avait promis, en 2019, de lui « demand[er] des comptes, avec la permission de Dieu ». Mais le blogueur a eu la baraka en sortant indemne d’une attaque au marteau qu’il a subie l’année dernière de la part d’un inconnu qui venait de débarquer de la Russie et qui a été condamné par la justice suédoise à 12 ans de prison, le procureur désignant Grozny comme commanditaire de cet acte.
Opération d’intimidation d’envergure
Les rafles ont commencé aux alentours du 22 décembre et touché des dizaines de proches d’émigrés tchétchènes vivant en Suède, en Allemagne, en Autriche ou en Turquie. Environ quarante membres de la famille du juriste de l’ONG russe Comité contre la torture, Aboubakar Iangoulbaev, font également partie des victimes. Minkaïl Malizaev, exilé en Allemagne, affirme avoir reçu d’un numéro inconnu des photos de sa mère et de sa sœur dénudées. « Avant-hier [le 21 décembre], ils ont emmené tous mes proches, tant du côté paternel que maternel. Des hommes, des femmes. Ils sont toujours torturés, battus, violés et maltraités », raconte-t-il en appelant les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme à leur venir en aide. Du côté de Toumso, ce sont neuf de ses proches qui ont été enlevés en Tchétchénie. Si six d’entre eux ont été depuis relâchés, Toumso reste toujours sans nouvelles de son oncle, de sa cousine et de son petit-cousin, sans compter la mère et la sœur de sa femme enlevées, elles, à Astrakhan, une ville du sud de la Russie non loin de la mer Caspienne.
Menaces anonymes
Peu après le début des rafles, Toumso a reçu sur la messagerie de son compte Telegram un ultimatum anonyme suivant : « Nous allons commencer bientôt à t’envoyer les photos de tes proches. Certains d’entre eux seront en agonie, voire morts. Si tu parviens à reconnaître leurs tronches défigurées, bien sûr 😉 Mes frères s’y appliquent bien avec les tiens dans notre sous-sol. À propos ta cousine, Takhmina, nous prendrons notre pied avec elle, particulièrement. Tu as 24 heures pour faire ta dernière vidéo en présentant tes excuses à Ramzan Akhmatovitch [Kadyrov] ». Le journaliste du site d’investigation Bellingcat, Christo Grozev, connu grâce à son enquête sur l’empoisonnement, en août 2020, de l’opposant russe, Alexeï Navalny, révèle que le numéro d’où est parti ce message de menace appartient au dénommé Maga (diminutif de Magomed), un officier de la SOBR, unité des forces spéciales qui serait directement subordonnée à Kadyrov. « La Russie, c’est juste un Daech muni des armes nucléaires », conclut le journaliste de Bellingcat.
Silence des médias occidentaux
Christo Grozev fait part également de son étonnement sur le black-out total réservé à ces rafles en Occident. « Comment se fait-il que l’enlèvement, la torture et [la menace] du viol et du meurtre contre des familles entières de critiques du régime ne soient même pas mentionnés sur les chaînes d’information européennes ? Est-ce seulement parce qu’ils sont des Tchétchènes ? » s’interroge-t-il. La même incompréhension du côté du rédacteur en chef du site d’investigation russophone Insider, Roman Dobrokhotov : « Donc, en ce moment même les bourreaux de Kadyrov sont en train de violer dans leurs sous-sols les sœurs et les mères de réfugiés tchétchènes, et tous les médias occidentaux n’en disent pas un mot ? Comment est-ce possible ? »
Diplômé de Master de l'Université de Genève en langue, littérature et civilisation russes, il est assistant à la Maison des Langues de l'Université de Genève. Originaire de Tchétchénie, il a quitté le pays en 2010, à l’âge de 17 ans, avec sa mère, défenseuse des Droits de l’homme, afin de fuir la persécution. Dagun est auteur de courtes nouvelles, en langue russe, et d’un livre qui décrit son itinéraire, Carnets d'un requérant d'asile débouté.