Mariani, le pilier du « parti russe » en France

Dernière mise à jour le 22 octobre 2023

Thierry Mariani, ce député européen du Rassemblement national qui brigue le mandat de président de la région PACA, a eu un itinéraire tortueux. Longtemps membre de différents partis de droite, ayant proclamé dans le passé sa répugnance envers le FN, il affiche une seule constante jamais démentie, son adhésion inconditionnelle au régime de Poutine et à ses turpitudes. Qu’il s’agisse d’approuver l’annexion de la Crimée, les crimes de guerre russes en Syrie ou les changements constitutionnels qui privent le peuple russe de libertés acquises sous Eltsine et permettent à Vladimir Poutine de rester au pouvoir encore quinze ans, Mariani est toujours prêt à apporter son concours.

Au parti communiste, naguère inconditionnel à Moscou qui le finançait, ont succédé les extrêmes. En effet, la Russie d’aujourd’hui compte deux alliés : la France Insoumise, par ailleurs fascinée par le régime cubain, Maduro et Morales, pour ne nommer que quelques-uns, et la droite extrême, inconditionnelle de Poutine. Cécile Vaissié et Nicolas Hénin l’ont démontré magistralement dans leurs ouvrages respectifs, Les Réseaux du Kremlin en France (Les Petits Matins, 2016) pour la première, La France russe (Fayard, 2016) pour le second. Ainsi que Pierre Rigoulot dans son « Marine et Vladimir contre l’Europe » (Histoire et liberté, juin 2014).

Marine Le Pen n’a jamais varié dans sa russophilie, à l’instar de ses père et nièce, formant une sorte de sainte trinité… En octobre 2011, elle se prononce pour un développement des relations avec Moscou, au motif que « la France a plus d’intérêts culturels et stratégiques avec la Russie qu’avec les États-Unis ». Comme Mélenchon, elle suggère une sortie de la France de l’OTAN, dénonçant la « diabolisation de la Russie » ; au même moment, elle déclare « admirer, dans une certaine mesure, Poutine ». La « mesure » disparaît sur France Culture, le 30 novembre 2014, où l’admiration devient pleine et entière.

Moscou déroule, en juin 2013, le tapis rouge à la dirigeante du Front national pour sa première visite. Plus tard, elle affirmera que « la Russie a sauvé la Syrie » (cité par Vincent Jauvert, Le Nouvel Observateur, 29 mai 2014), sans doute en bombardant, dès son intervention à l’automne 2015, écoles, hôpitaux et d’innombrables civils, femmes et enfants en première ligne.

En septembre 2014, quand le président Hollande annule la livraison du porte-hélicoptères Mistral à la Russie, après l’annexion de la Crimée, elle estime qu’il s’agit là d’une « soumission à la diplomatie américaine ». Elle s’était rendue, en avril précédent, à Moscou, peu après la conquête de la Crimée, qu’elle n’a jamais dénoncée. Voilà qui annonçait le prêt de 9 millions d’euros par une banque russe au Front national ; comme l’écrivait justement Le Monde du 6 décembre 2014, « s’aligner sur un régime autoritaire étranger, qui entretient une nouvelle guerre froide, est pour le moins paradoxal. Surtout quand on brandit du matin au soir l’étendard de la patrie et de la souveraineté nationale ».

Mme Le Pen est reçue, en mars 2017, au Kremlin par Poutine lui-même, lors de sa quatrième visite en Russie, où son discours consiste à critiquer l’Europe et les États-Unis. Il n’est guère d’intervention de sa part où elle n’épouse le parti de l’ennemi de l’Occident.

Mariani anti-Front national…

Si nombre de lieutenants de Mme Le Pen — Chauprade, avant qu’il ne quitte le parti, Juvin et d’autres de moindre notoriété — relaient sa russophilie, l’un d’entre eux se révèle être une sorte de porte-parole patenté de Moscou et du régime syrien criminel : Thierry Mariani, « infatigable lobbyiste de la politique russe », « le plus fervent promoteur de Poutine sur la scène politique française » (Le Monde, 12 octobre 2014, M le magazine du Monde, 16 juillet 2018), jusqu’à se voir gratifié du titre de « premier poutinien de France » (Le Canard enchaîné, 11 avril 2018).

N’ayant jamais exercé aucun métier autre que la politique, remarié à une ressortissante russe, porte-parole, à l’élection présidentielle de 2017, « pour défendre la souveraineté de la France », du candidat Fillon — autre soutien de Poutine, à la différence de Hollande —, il rallie le parti d’extrême droite en 2019, qu’il n’avait pas manqué de combattre auparavant.

Ainsi, il n’avait pas hésité à se rendre à la fête de L’Humanité, placée, en septembre 2002, sous le titre de « fête 100 % anti-FN ». Il y participe à un débat, pas gêné de s’associer à des figures d’extrême gauche, comme Alain Krivine pour la Ligue communiste révolutionnaire. Déjà, aux législatives de 1997, il s’en était pris à la « violence » de colleurs d’affiches du Front, les accusant d’avoir agressé un Maghrébin. Il devient également vice-président de la commission d’enquête parlementaire sur les exactions du service d’ordre du parti lepéniste. Souvent politique varie, bien fol qui s’y fie…

… et fasciné par Poutine

Selon le ministre des Transports que fut Mariani dans le gouvernement Fillon, « il n’y a qu’un chef d’État valable en Europe : Poutine. La France a besoin des Russes, qui défendent la civilisation européenne ». Ou célébrant, en décembre 2007, un Poutine, « qui a rendu leur fierté aux Russes ». Il admire le Kazakhstan comme l’Azerbaïdjan, deux États autoritaires qu’il qualifie d’« exemples de tolérance », en oubliant des centaines de journalistes et autres opposants jetés aux oubliettes.

Il va jusqu’à déposer, le 17 mars 2016, une proposition de résolution invitant le gouvernement à ne pas renouveler les sanctions imposées par l’Union européenne à la Russie. Celle-ci est votée par la totalité des députés de droite — dont Solère, Leroy, ex-communiste passé au centre, les souverainistes Dupont-Aignan, Poisson, Dhuicq, Myard —, auxquels se joignent ceux du PC et du Front national. Le Monde du 30 avril 2016 est inspiré de déplorer ces « complaisantes et inopérantes génuflexions face à un régime qui ne connaît que le rapport de force. Négliger ces règles élémentaires du droit international est la pire des manières de régler les conflits ».

Comme il se doit, il approuve l’annexion de la Crimée et lorsqu’il s’y rend, en 2015, il se braque devant la question d’un journaliste ukrainien qui se risque à lui demander combien il est payé par le gouvernement russe pour sa visite… C’est alors qu’Alexis Bachelay, député socialiste, interpelle : « Chaque année, onze guignols pro-Poutine vont chercher leur chèque en Crimée. Espérons pour eux qu’il est libellé en euros et non en roubles » (2 août 2016, Paul Véronique sur RTL). Mariani avait annoncé une plainte qu’il a finalement retirée.

Toujours est-il que, d’après le journal d’affaires russes Vedomosti du 13 novembre 2014, Mariani ferait partie du conseil de CFG Capital, société créée par Konstantin Malofeev, oligarque proche de Poutine ; Mariani a démenti et, après les révélations de Vedomosti, son nom a disparu du générique de celle-ci. Le Canard enchaîné du 11 avril 2018, dans le portrait qu’il dresse de lui, évoque les confidences d’un proche de Marine Le Pen constatant « un train de vie très supérieur à ce qu’il devrait être », ce que L’Express du 24 octobre suivant traduit pudiquement en « soupçons d’affairisme, jamais démontrés, qui lui collent à la peau », car, en effet, impossibles à prouver.

Quand Poutine se voit obligé d’annuler sa visite à Paris, en octobre 2016, Mariani le déplore et estime que la France s’est placée « au niveau des laquais de la politique américaine » (cité par Le Monde, 12 octobre 2016). Sur RT, la « chaîne de propagande russe », ainsi que l’avait qualifiée le président Macron devant Poutine lors de leur rencontre à Versailles en 2017, où il instrumente souvent, il va jusqu’à dénoncer « un copier-coller de la politique étrangère belliciste américaine » (RT France, 11 octobre 2016). Est-ce vraiment le sujet ?

Depuis 2012, il co-préside, un temps avec Vladimir Iakounine, homme d’affaires richissime (Le Monde l’appelle « roi du rail russe, du feu sacré et de la pelisse »), figure importante du renseignement russe et un proche de Poutine, le Dialogue franco-russe, « vitrine française des poutinolâtres », selon leparisien.fr du 17 mars 2018. Nicolas Dhuicq, Jean-Pierre Thomas, qui fut proche de Giscard, ou Michel Voisin, ancien député de l’Ain, appartiennent au bureau de cette organisation, tandis que le défunt Giscard d’Estaing était membre d’honneur, lui qui, en 1975, déclarait qu’il ne fallait pas évoquer l’idée de défense européenne pour ne pas inquiéter les Soviétiques, ce que Raymond Aron et Jean-François Revel, entre autres, définissaient comme un premier pas vers les dispositions à la finlandisation du chef de l’Etat d’alors. Actuellement, Mariani le co-préside avec Sergeï Katasonov, député de la Douma et membre du parti d’extrême droite, le Parti Libéral démocrate de Russie (LDPR) présidé par Vladimir Jirinovski.

L’admirateur d’Assad

De novembre 2015 à août 2019, Mariani a été reçu six fois, à Damas, par le sanguinaire Assad, parfois en compagnie de Nicolas Dhuicq, de la députée Valérie Boyer, de Jacques Myard et du singulier Jean Lassalle. Il trouve que les rues de la capitale sont plus propres que celles de Paris et sans doute le régime d’Assad plus « propre » que le gouvernement français. Il célèbre « le charme des souks de Damas, l’odeur des épices, les couleurs, la chaleur, le sourire des commerçants ». Anne-Sophie Mercier, dans Le Canard enchaîné précité, est fondée à rappeler que l’enivrante odeur du sarin et du chlore, déversés à haute dose sur les civils, « aurait gâché cette belle description ». Il est vrai que Mariani va jusqu’à mettre en doute ces attaques chimiques, ce qui le fait qualifier par le Huffington Post de « premier VRP français du dictateur syrien ».

Déjà, en septembre 2002, il avait été accueilli en Irak, avec deux autres députés UMP, par des proches de Saddam Hussein, initiative unanimement condamnée, François Bayrou considérant pour sa part que « chaque fois qu’on conforte un dictateur, on rend un mauvais service à ceux qu’il écrase et aux valeurs démocratiques ».

Si Marine Le Pen arrivait à ses fins, L’Obs du 27 mai 2021 le voit s’emparer du Quai d’Orsay. Ce que décrivait Alain Besançon dans Commentaire du printemps 2015 reste d’actualité : « Il se constitue un parti russe qui (…) a des partisans à l’extrême gauche mais le plus grand nombre est à droite (…), [ce qui] fait ressembler le parti russe au parti collaborateur de la Deuxième Guerre mondiale. »

Voir également : Voyage organisé en Crimée pour Thierry Mariani et ses copains du RN

Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

Abonnez-vous pour recevoir notre prochaine édition

Toutes les deux semaines

Voir également

Ne pas céder un pouce du territoire ukrainien !

Deux ans de guerre totale, c’est un sinistre anniversaire pour les Ukrainiens. Certes, ils ont repoussé l’assaut russe...

Pourquoi la diplomatie ne peut pas mettre fin à la guerre russo-ukrainienne

Il existe plusieurs raisons empêchant un compromis : les Constitutions ukrainienne et russe actuelles, les paysages politiques nationaux, les besoins particuliers de la Crimée et son rôle pour la Russie, ainsi que la mémoire historique de l'Europe centrale et orientale.

Les plus lus

Le deuxième front : comment la Russie veut saper le soutien occidental à l’Ukraine

La Russie mène un travail de sape auprès des Ukrainiens eux-mêmes, mais aussi en infiltrant les cercles de décision occidentaux, à Washington et dans les capitales européennes. Empêcher le soutien occidental à une victoire finale de l’Ukraine et décourager les Ukrainiens de se battre jusqu’à la victoire, tels sont les objectifs russes qu’analyse et dénonce notre autrice.

Réflexions sur l’attentat de Krasnogorsk

L’ampleur et l’atrocité de l’attentat de Krasnogorsk ont secoué le monde, en faisant ressurgir des images sanglantes d’autres...