Depuis plusieurs semaines, Éric Zemmour occupe le devant de la scène médiatique. S’agissant des rapports Est-Ouest et du sort de l’Europe, l’éditorialiste en congé du Figaro épouse, de façon systématique, les vues de Mélenchon-Le Pen, à tel point que Franz-Olivier Giesbert estime que « le souverainisme [de Zemmour], ce gaullisme des imbéciles, n’est pas digne de lui » (Le Figaro, 24 fév. 2011).
Poutine, cet « homme d’État »
Qualifié d’homme d’État, Poutine ne suscite jamais la moindre réserve chez Zemmour : il est auréolé, quoi qu’il fasse, d’une admiration absolue. Ainsi, Zemmour considère qu’« il a restauré l’État, […] se posant en dernier défenseur des chrétiens d’Orient », et que, contrairement à la France, il « exalte le caractère russe du pays […], défend la souveraineté nationale, la famille et la religion orthodoxe » (Le Figaro magazine, 30 août 2013).
En 2013, Zemmour proclame Poutine « homme de l’année », le seul à avoir donné l’asile politique à Edward Snowden, « l’homme qui révéla la folle réalité de l’espionnage américain » (Éric Zemmour, Un quinquennat pour rien, Albin Michel, 2013, p. 180). Pour le plausible candidat à la présidentielle, « Poutine, ne menace nullement la France et l’Angleterre » (ibid., p. 269). Et, bien sûr, il applaudit, à l’issue de la primaire de 2016, à la désignation de Fillon qui, lui, préférera « les charmes de l’alliance russe, et le dialogue avec l’Iran, la Syrie d’Assad » et saura « se désaligner de l’occidentalisme pro-américain »(Le Figaro magazine, 4 nov. 2016).
Comment, dans ces conditions, Zemmour pourrait-il ne pas consacrer, dans Le Figaro du 2 novembre 2017, un hommage appuyé au livre d’Oliver Stone, Conversations avec Poutine, alors que celui-ci est considéré comme un agent du pouvoir russe et que son fils est employé par la chaîne Russia Today (« Le scandaleux documentaire d’Oliver Stone sur Vladimir Poutine », Téléobs, 25 juin 2017) ? Il s’agit de ce même Stone, fervent admirateur d’Assange, de Snowden et, plus tôt, de Castro et Chavez, qui n’hésite d’ailleurs pas à qualifier l’Amérique d’« État le plus dangereux du monde » (Le Progrès, 19 sept. 2021) alors que « la Russie rend service, elle, au reste du monde » (Valeurs actuelles, 2 nov. 2017).
Zemmour célèbre Stone et son « analyse brillante et implacable d’une OTAN, qui n’a plus de légitimité depuis la chute de l’Union soviétique et se cherche un ennemi pour survivre et pérenniser l’hégémonie américaine ». Pour Zemmour, le livre de Stone « a des accents gaulliens » (Le Figaro, 2 nov. 2017).
Peu après l’annexion de la Crimée, Zemmour propose une « alliance russe, seule façon de tuer à la fois le mythe de l’Europe fédérale et de s’arracher enfin au protectorat américain » (Le Figaro magazine, 20 fév. 2015). Il se refuse par ailleurs à condamner les bombardements russes en Syrie puisque — on appréciera le parallèle — « les Américains n’ont pas fait autre chose pendant la Seconde Guerre mondiale pour vaincre l’Allemagne et le Japon » (ibid., 14 oct. 2016).
Comment s’étonner ensuite qu’il se qualifie lui-même non pas de marxiste mais de « marxien », « Marx ayant fait, d’après lui, l’analyse du capitalisme mondialisé la plus intelligente qui ait jamais été écrite » (Éric Brunet, L’Obsession gaulliste, Albin Michel, 2016, p. 266) ?
L’Amérique, mère de tous les vices
Contrairement à quelques-uns de sa mouvance, notre auteur à succès n’établit pas le faux parallèle entre Russie et Amérique, décrites comme deux États aux mêmes pratiques, aux mêmes visées, aux mêmes méthodes. Non, c’est l’Amérique seule qui est notre ennemie désignée, au point de justifier l’annexion de la Crimée, la CIA — étrange comparaison — ayant « fomenté de nombreux coups d’État en Amérique du Sud » (Le Figaro magazine, 14 mars 2014). À suivre son raisonnement, Moscou a le droit de se comporter mal dès l’instant où Washington en aurait fait autant.
Et de reprendre à son compte l’espèce de paranoïa de la Russie encerclée, « les Américains, insiste-t-il, poursuivent la même politique pour enfermer la Russie » (ibid.). Si l’Ukraine avait rejoint l’OTAN, c’eût été une grave menace pour Moscou (Le Figaro magazine, 20 fév. 2015).
Zemmour y va si fort dans son américanophobie que Franz-Olivier Giesbert s’étonne de nouveau, dans un éditorial, de son « antiaméricanisme compulsif qui l’amène à tout mettre sur le dos des États-Unis », espèce de « doxa maurrasso-gauchiste ou lepéno-marxiste » (Le Point, 13 nov. 2014).
En effet, après l’avoir accusée de financer les mouvements djihadistes, il déclare que « c’est l’Amérique qui, par l’action de ses services secrets et des ONG financées par les magnats de Wall Street — du vrai Marchais des années 80 ! —, a fomenté les révolutions de couleur de l’ancien empire soviétique, suscitant la fureur inexpiable de Pékin » : au fond, Zemmour va jusqu’à épouser le parti de Pékin contre Washington (Le Figaro, 12 mai 2016). Il va de surcroît déplorer la réunification allemande, qui, à le suivre, est le seul fait du président George H.W. Bush (Le Figaro magazine, 29 avril 2016), continuant à poursuivre de sa vindicte « l’OTAN, ce gendarme de l’Occident qui se mêle des affaires du monde » (Le Figaro magazine, 23 fév. 2018). Selon Zemmour, qui dénonce l’implication du l’OTAN lors de l’invasion du Koweït par l’Irak, l’Alliance aurait dû disparaître avec la chute de l’URSS.
Toujours d’après lui, « les services américains ont réinventé un ennemi russe en la personne de ce Poutine qui avait l’outrecuidance de ne pas se soumettre aux diktats américains » (ibid.). Il n’est guère un seul de ses papiers où il ne s’en prend à l’Amérique, à la seule Amérique, dont il se félicite que Régis Debray aurait révélé le véritable tréfonds, celui d’avoir fait de la France et de l’Europe « une colonie américaine » (Le Figaro, 22 nov. 2018), dont Zemmour nous apprend qu’elles ont été créées de toutes pièces par Washington au lendemain de la guerre (Le Figaro magazine, 17 mai 2019), allant jusqu’à faire grief, cette fois, à de Gaulle d’avoir contribué « à intégrer la France dans l’ordre européen instauré par les États-Unis et bientôt dominé par l’Allemagne » (Le Point, 30 sept. 2021).
Comment ne pas voir dans ces litanies d’étranges convergences avec les positions de la France insoumise ? Au vrai, Mélenchon a participé naguère au 50e anniversaire de Zemmour (Closer, 16 nov. 2018) et, lors du débat de septembre dernier, l’un et l’autre affichaient leurs convergences pour sortir de l’OTAN, ce qui amenait Le Figaro du 23 septembre à titrer sa pleine page « Mélenchon et Zemmour, des années d’estime républicaine partagée ». On ne saurait mieux dire. Et, quelques jours plus tard, Zemmour convergeait, là encore, avec Onfray, appelant tous deux à se rapprocher de la sainte Russie, dans « une grande Europe » allant de l’Atlantique à l’Oural (Le Monde, 6 oct. 2021)…
Giesbert paraît toujours aussi inspiré de s’étonner d’un Zemmour, « héraut de la droite extrême de plus en plus compatible avec la gauche extrême » (Le Point, 20 sept. 2018), rejoignant Pascal Bruckner pour lequel « il y a entre l’extrême droite et l’extrême gauche une même fascination pour Poutine, qui va du Monde diplomatique jusqu’à Marine Le Pen, en passant par Zemmour et Soral » (Le Point, 30 oct. 2014).
Enfin, Zemmour n’est-il pas frappé du syndrome de Stockholm lorsqu’il ose exonérer Pétain de son implication dans la persécution des Juifs, nullement gêné de déjeuner avec la fille de Ribbentrop, 88 ans, en présence du couple Jean-Marie Le Pen (Le Monde, 3-4 oct. 2021). Il est vrai que lorsqu’il déjeune avec Tariq Ramadan (Le Point, 24 oct. 2019) ou qu’il présente Robespierre non pas comme un monstre mais comme un saint (Jean-François Kahn, « Zemmour entre les lignes », Le Point, 30 sept. 2021), on peut s’interroger sur ses capacités de discernement…
Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.