Marine Le Pen, « la bonne amie des ennemis de la France »

Le titre est emprunté à Bernard-Henri Lévy, qui nous semble avoir bien saisi les positions de la dirigeante du Rassemblement national en matière de politique étrangère, précisant que « Mme Le Pen ne perd jamais une occasion de préférer à la France les ennemis de la France1Le Point, 25 sept. 2014.».

Les sources sont en notes de bas de page.

La Russie figure en tête des préférences de Marine Le Pen, de même qu’elle avait été parée aussi de toutes les vertus par son père, lequel, en 1958, estimait que « le danger américain est plus proche que le danger soviétique »2, pour dénoncer, en novembre 2002, sur LCI, avant la guerre d’Irak, l’« impérialiste Bush », pire qu’Hitler, selon lui3 ; il est vrai que ses troubles liens avec Saddam Hussein remontaient bien avant la guerre du Golfe de 1991, où le leader du Front national lui apporta son soutien lorsqu’il entreprit d’annexer le Koweït, en violation du droit international.

À la commémoration du dix-neuvième anniversaire de la révolution islamique iranienne, il est l’invité d’honneur de l’ambassade à Paris4. Ne qualifiera-t-il pas plus tard les attentats du 11-Septembre de simple « incident »5, prolongeant ainsi le « point de détail » des chambres à gaz d’Hitler ? Et l’on se souvient ou pas de son adhésion, à la présidentielle russe de 1996, aux thèses de Jirinovski, le candidat ultra-nationaliste et antisémite, partisan de bombarder la Tchétchénie au napalm.

« J’admire Poutine, dans une certaine mesure »6

Quoi que fasse Poutine, Marine Le Pen prend toujours fait et cause pour lui. Avant la présidentielle de 2012, elle accorde une interview au journal russe Kommersant, où elle se prononce pour une rupture de nos alliances traditionnelles, à savoir européennes et au sein de l’OTAN, en vue de nouer un véritable partenariat avec la Russie et non plus avec les États-Unis, estimant que « la France a plus d’intérêts communs sur les plans culturels et stratégiques avec la Russie qu’avec les États-Unis », ce qui passe par un retrait de l’Alliance atlantique7. Elle dénonce alors la « diabolisation de la Russie », à laquelle la France doit s’interdire, dans le domaine de la démocratie, de donner des leçons : « Rien ne permet d’affirmer, souligne-t-elle, du point de vue constitutionnel qu’elle ne l’est pas [une démocratie]. […] Si vous lisez la presse russe, vous verrez, insiste-t-elle, que le ton de la presse d’opposition y est bien plus libre et virulent à l’encontre de Poutine qu’elle ne l’est en France à l’égard de Sarkozy8L’Obs, 19 avril 2012.. »

Tel Mélenchon — nombre de positions les rapprochent —, l’OTAN est, pour Mme Le Pen, la mère de tous les vices, épousant ainsi, de façon systématique, les vues de Moscou, qui, dans une sorte de paranoïa permanente, se voit encerclée par l’organisation. Elle va même jusqu’à proposer de la remplacer par une alliance militaire avec la Russie9. Dans sa circulaire officielle de 2012, elle écrit noir sur blanc que la France « sortira de la tutelle des États-Unis » pour mieux asseoir une mainmise d’une autre dimension, celle de la Russie…

Elle pense alors — mais le pense-t-elle vraiment ? — que le programme nucléaire iranien est purement civil, qu’il faut donc ne pas en exagérer la menace10. Toujours et encore du côté des adversaires de l’Occident, notamment quand elle préconise le maintien d’Al-Assad, au motif qu’il est « une solution bien plus rassurante pour la France »11 et, sans doute aussi, à n’en pas douter, pour le peuple syrien martyr et ses centaines de milliers de morts ou victimes restées gravement handicapées, notamment des enfants amputés à jamais. Elle allait jusqu’à « tirer son chapeau à Poutine qui […] apparaît comme celui capable d’apporter une solution diplomatique et pacifique à cette crise »12. Elle va féliciter, sur la chaîne officielle Rossia 1, « la Russie [qui] a sauvé la Syrie »13.

Invitée officielle à la Douma au printemps 2013, Moscou lui déroule le tapis rouge. Mme Le Pen y continue à réciter son catéchisme, dénonçant l’espèce de guerre froide, de diabolisation menée par l’Union européenne contre la sainte Russie14. Au moment où Douguine, conseiller occulte du Kremlin, proclame que « la Russie peut devenir le fer de lance de la résistance politique et culturelle au bloc euro-atlantique »15.

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Marine Le Pen au Kremlin en mars 2017. Photo : kremlin.ru

Comment, en 2014, ne pas approuver l’annexion de la Crimée ? La violation du droit international, c’est probablement un autre « détail » ou un simple « incident »… Peu après l’opération, Mme Le Pen se rend de nouveau à Moscou, apportant ainsi sa caution à celle-ci, déplorant les sanctions occidentales16, étonnée qu’« une guerre froide ait été déclarée contre la Russie »17 alors que ce bon « M. Poutine est un patriote. Il défend les intérêts de son pays »18, « c’est un homme attaché aux valeurs »19. De surcroît, l’occupation russe de la Crimée, elle l’impute — un comble — à la seule Union européenne, qui « porte une très lourde responsabilité dans la situation »20. À la signature du traité d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, en septembre, les élus du Front national et deux Verts votent contre21. Et bien sûr, à l’instar de Mélenchon, elle condamne la décision française d’annuler la livraison de deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie, « décision très grave parce qu’elle révèle notre soumission à la diplomatie américaine »22.

La récompense

Ce soutien inconditionnel vaut reconnaissance : est alors révélé, en novembre 2014, par le site Mediapart, le prêt de 9 millions d’euros par la banque russe FRCB, dont Cécile Vaissié pose la question de savoir si cet établissement n’est pas une sorte de couverture du Kremlin23.

Un cadre du Kremlin, Rykov, dont les messages sont interceptés, révèle que le soutien de Marine Le Pen à l’annexion de la Crimée nécessite d’être remercié car « elle n’a pas trahi nos attentes »24. Un nouveau prêt, de 30 millions de dollars, est consenti à la fin 2016 par une autre banque russe, ce qui pose la question de l’ingérence de la Russie dans le fonctionnement d’un parti français25.

Au congrès de son parti, à Lyon, fin novembre 2014, assistent deux hauts responsables russes, dont le vice-président de la Douma, Andreï Issaïev ; à la tribune, il diffuse la bonne parole, s’en prenant à l’Union européenne, qualifiée de « marionnette des États-Unis, qui veut diluer la souveraineté dans l’intégration atlantique », dénonçant l’axe Washington-Bruxelles26. Poursuivant sur sa lancée, Marine Le Pen est de nouveau l’hôte de marque de la Douma au printemps 2015, où elle est reçue avec tous les égards dus à ses positions, célébrant une « vision similaire » avec Moscou27.

Dans son éditorial du 6 décembre 2014, Le Monde paraît y voir clair : « M. Poutine soutient des partis qui partagent l’un de ses objectifs stratégiques prioritaires : affaiblir au maximum l’Union européenne, la diviser, la démanteler, empêcher qu’elle ne séduise les pays de l’étranger proches de la Russie, comme l’Ukraine. […] Mais s’aligner [comme Marine Le Pen] sur un régime autoritaire, étranger, qui entretient une nouvelle guerre froide, est pour le moins paradoxal. Surtout quand on brandit du matin au soir l’étendard de la patrie et de la souveraineté nationale. »

La dirigeante du désormais Rassemblement national effectue sa quatrième visite à Moscou, en mars 2017, où accueillie, cette fois, par Poutine lui-même, elle fait assaut de complaisance, dénonçant « une diplomatie de menaces, de sanctions ou une diplomatie de chantage que l’Union européenne, malheureusement, applique de plus en plus contre la Fédération de Russie. […] J’essaie de lutter pour que la France retrouve sa politique étrangère harmonieuse et stratégiquement défendue par de Gaulle »28, auquel elle ne cesse de rendre hommage par ailleurs, se proclamant non pas gaulliste mais « gaullienne ». Et, à la faveur d’un meeting de son parti, peu après sa réception par Poutine, elle faisait acclamer son nom par ses militants tandis que des milliers de militants russes manifestaient à Moscou contre la corruption, nombre d’entre eux se faisant arrêter ou bastonner29.

S’agissant d’Edward Snowden, elle prône, s’alignant sur l’extrême gauche de Mélenchon ou le parti communiste, sa libération et que lui soit accordé l’asile en France30.

L’entourage

Nombre de transfuges du Rassemblement national sont issus du parti communiste ou de l’extrême gauche, tel Doriot devenu pétainiste, la démarche inverse étant plus rare (Mitterrand passa lui de l’extrême droite à la gauche). Florian Philippot a été proche du courant Chevènement, qui ne diffère guère desdits Rassemblement ou PC. Philippot définissait le FN comme « un parti gaulliste », car attaché à l’indépendance nationale et à la grandeur de la France31. La tombe du Général est devenue le dernier salon où l’on cause de cette singulière coalition des extrêmes, qui idolâtre aujourd’hui ce qu’elle haïssait hier, tant les vivants sont rarement à la hauteur des morts qu’ils seront…

De la mouvance chevènementiste est également issu Christophe Bay, un ancien préfet qui fut directeur de cabinet de Chevènement à l’Intérieur, pressenti pour diriger la campagne de Mme Le Pen pour la présidentielle de 2022.

Un autre membre de l’entourage immédiat de Mme Le Pen, le comte Bertrand Dutheil de La Rochère, a appartenu au cabinet de Georges Sarre, communisant déguisé en socialiste, puis à celui de Chevènement (même remarque) : cet ancien permanent du comité central du parti communiste, coordonnateur de la campagne du candidat communiste à la présidentielle de 1988, Pierre Juquin, a rallié le Front national en 2011. L’Humanité du 13 mars 2014, qui occulte sa défunte appartenance au parti stalinien, s’en prend à sa fille, attachée parlementaire de Philippot au Parlement européen ; elle figurait sur la liste de ce dernier aux européennes de 2019. Pour l’anecdote, sa nièce, Agnès de La Rochère, a épousé Olivier de Boysson, neveu de Guy, ancien député communiste et qui fut l’inamovible président de la BCEN, la banque soviétique par laquelle transitait l’or de Moscou destiné au parti communiste, dont Jean Montaldo a révélé la véritable nature32. Guy ne répugnait pas pour autant à figurer dans le Bottin mondain. Bertrand de La Rochère, qui se recueille sur la tombe de De Gaulle en 2014, avec une délégation du Front national33, se définit comme « maurrasso-janséniste. […] Ma famille n’a jamais oublié ni pardonné la condamnation de l’Action française »34.

Dans son entourage figurent nombre d’inconditionnels de Moscou comme Thierry Mariani, Aymeric Chauprade (pour ce proche d’Alain Soral puis rallié à Fillon35, « le 11-Septembre est une conspiration américano-sioniste »36), David Rachline. Ou de la Syrie comme Frédéric Chatillon, ami de Dieudonné et supporter du Hezbollah37. Et parmi les transfuges, on peut citer — liste non exhaustive — Fabien Engelmann et David Bannier, issus de la CGT, Aurélien Legrand, qui milita dans les rangs du Nouveau parti anticapitaliste et de la Ligue communiste révolutionnaire38 ou Andréa Kotarac, ancien conseiller régional de la France insoumise…

La bibliothèque de Mme Le Pen est composée des œuvres de De Gaulle, de Chevènement, de Todd39. Certes, l’on peut détenir des livres de tel ou tel sans pour autant en épouser les idées. Or, dans son ouvrage, Pour que vive la France, publié en 2012, elle se refère à Karl Marx ou à Serge Halimi, l’actuel directeur du Monde diplomatique, organe presque officiel de l’américanophobie de combat. Ce qui lui vaut ce commentaire lucide de Christian Millau : « Plus la campagne avance, plus Marine est folle de Karl Marx. […] L’oncle Karl se retournera de bonheur dans sa caisse de bois quand lui tombera sous les yeux ce certificat d’appellation d’origine : “L’internationalisme de Marx ne consiste pas en une détestation des nations mais, en réalité, en une coordination des luttes menées par les classes populaires dans leur cadre national“ »40. Ce qui lui vaut aussi ce commentaire de Guy Konopnicki, à savoir qu’« il y a du Georges Marchais sous Mme Le Pen »41.

Éric Zemmour n’a-t-il pas vu clair quand il estimait que « Marine Le Pen a toujours été de gauche. Elle est complètement endoctrinée par Florian Philippot, qui est une espèce de cheval de Troie chevènementiste »42 ? Et ce qu’écrivait l’universitaire Raoul Girardet ne demeure-t-il pas d’actualité ? En 1982, il considérait que « entre un certain national-neutralisme français des années 1980 et un autre national-neutralisme français des années 1940, l’établissement d’un lien de filiation ne relève en aucune façon des roueries d’une inutile polémique. La confrontation des textes témoigne de trop de similitudes de fond et de forme, et jusque dans l’aspect répétitif du vocabulaire le plus couramment employé, pour qu’il s’agisse d’un rapprochement fortuit »43. On peut simplifier en relevant que, aux extrêmes, le parti de l’étranger reste encore et toujours à l’œuvre et à la manœuvre.

Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

Notes

  1. Le Monde, 17 avril 1958.
  2. Ibid., 16 nov. 2002.
  3. Ibid., 13 fév. 1998.
  4. Ibid., 22 fév. 2007.
  5. JDD, 16 oct. 2011.
  6. Cf. également Cécile Vaissié, Les Réseaux du Kremlin en France, Les Petits Matins, 2016, p. 181.
  7. Vincent Jauvert, « Les réseaux russes du Kremlin », L’Obs, 23 oct. 2014.
  8. L’Obs, 19 avril 2012.
  9. Le Monde, 22 fév. 2017.
  10. M le magazine du Monde, 29 mars 2014.
  11. Vincent Jauvert, L’Obs, 29 mai 2014.
  12. Libération, 19 juin 2013.
  13. Vincent Jauvert, art. cit.
  14. Cécile Vaissié, op. cit., p. 188.
  15. Le Monde, 15 avril 2014.
  16. M le magazine du Monde, 29 mars 2014.
  17. Nouvelles de Tchétchénie, juin 2014
  18. Causeur, avril 2015.
  19. Le Monde, 18 sept. 2014.
  20. Ibid., 4 sept. 2014.
  21. Cécile Vaissié, op. cit., p. 206.
  22. Le Monde, 4 avril 2015 ; Cécile Vaissié, op. cit., p. 205-216.
  23. Libération, 22 déc. 2016.
  24. L’Humanité, 4 déc. 2014.
  25. Le Monde, 28 mai 2015.
  26. Ibid., 26-27 mars 2017.
  27. L’Obs, 6 avril 2017.
  28. Le Monde, 12 juin 2013.
  29. Le Figaro, 12 déc. 2013.
  30. Jean Montaldo, Les secrets de la banque soviétique en France, Albin Michel, 1979, 288 p.
  31. Le Monde, 19 avril 2017 (cliché de 2014 de La Rochère à Colombey).
  32. François de Coustin, Gens de noblesse aujourd’hui, Flammarion, 1989, p. 144.
  33. Le Monde, 30 mars 2017.
  34. 20 Minutes, 23 janv. 2014.
  35. Le Monde, 31 janv. 2015.
  36. Libération, 14 sept. 2016.
  37. Le Point, 10 déc. 2015.
  38. Christian Millau, Journal d’un mauvais Français, Le Rocher, 2012, p. 320-321.
  39. Marianne, 6-12 mars 2015.
  40. Libération, 22 sept. 2016.
  41. Raoul Girardet, « Tradition nationaliste et tentation neutraliste en France, aujourd’hui », France forum, juil.-août 1982, p. 23.

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