France-Russie : pas de trêve hivernale pour les médias poutinophiles

Par J.C.

Dans ce texte qui fait suite à sa première publication dans Desk Russie, consacrée aux « idiots utiles » du Kremlin, J.C. continue à explorer l’univers des poutinolâtres français. Ce deuxième volet s’intéresse plus particulièrement aux médias pro-russes en France et à leurs collaborateurs.

Les médias pro-russes en VF ont ceci de commun avec la résistance ukrainienne qu’ils ne désarment pas. Pour preuve, l’irruption de la plate-forme digitale Omerta, animée par Régis Le Sommier, ancien directeur adjoint de Paris-Match passé en juin 2021 à Russia Today France, chaîne furieusement poutinolâtre désormais interdite.

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Régis Le Sommier et André Bercoff. // Sud-Radio, capture d’écran

Annoncée au Grand Rex puis au Théâtre du Gymnase, la soirée de lancement d’Omerta — emprunt cocasse au lexique mafieux — a finalement réuni le 16 novembre à la Palmeraie, salle de réception à l’exotisme clinquant du 15e arrondissement, un parterre de figures de l’extrême droite russophile, identitaire ou complotiste. Dont Geoffroy Lejeune, le patron de la rédaction de Valeurs actuelles, et André Bercoff, le bonimenteur qui a converti Sud-Radio en chambre d’écho des conspirationnistes.

Les documentaires projetés ce soir-là en avant-première reflètent le parti pris éditorial de ce « média 100 % indépendant ». À commencer par Front russe, tourné exclusivement du côté des séparatistes du Donbass inféodés au Kremlin. Un autre film à charge, consacré à la transidentité sexuelle, aura retenu l’attention. Intitulé Trans, la confusion des genres, il est l’œuvre de « l’éditorialiste » Amélie Menu. En fait d’éditorialiste, une youtubeuse plus connue pour ses anathèmes ultra-conservateurs que pour son sens de l’éthique : comme l’a révélé le site Arrêt sur images (16/11), elle a sollicité divers interlocuteurs, dont une psychologue et un médecin, sous une fausse… identité. Mue à l’en croire par le désir de « comprendre l’offensive réactionnaire qui s’attaque aux droits des trans », Amélie-mélo leur a certifié qu’elle œuvrait pour la web TV Blast, sans la moindre allusion à Omerta. La loi du silence ?

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Amélie Menu. // Sa chaîne YouTube, capture d’écran

Dans le rôle du mécène, un sacré lascar. Carrure de catcheur, barbe drue et crâne poli, Charles d’Anjou a posé ses valises à Moscou en 2006. Jadis pilier du parti Les Républicains en Seine-Maritime, il doit en partie sa fortune à sa mission, délaissée voilà peu, de conseiller d’une société russe de sécurité privée, dirigée par un ex du FSB. D’Anjou officie par ailleurs volontiers comme « fixeur » auprès d’envoyés spéciaux dépêchés dans les régions d’Ukraine sous contrôle des forces russes et de leurs supplétifs locaux. Peu avare de ses deniers, le bienfaiteur d’Omerta a aussi volé au secours de Livre Noir, média en ligne « libre et indépendant », un temps menacé par une guérilla interne entre zélotes et repentis du « zemmourisme » (La Lettre A du 14 novembre), aujourd’hui fragilisé par un cocktail toxique de querelles d’ego et de divergences doctrinales.

Guère de doute en revanche quant à la ligne éditoriale, dessinée dès la page d’accueil par le casting des invités. Charité bien ordonnée… Les deux premières têtes d’affiche ? Gérald Autier, enseignant à l’Académie russe de l’économie nationale de Moscou, et Charles d’Anjou lui-même, présenté comme « fixeur-interprète dans le Donbass pour TF1 ». Trop modeste, et un rien schizophrène. Au terme d’un entretien-fleuve, l’intéressé salue le « travail impressionnant » abattu dans le Donbass par « vos équipes de Livre Noir ». Sur place, glisse-t-il, « on [ne] devait pas être très loin les uns des autres ». Pas loin du tout, et même très proches, comme l’atteste ce reportage maison sur « La bataille de Marioupol, au cœur des forces russes », proposé juste au-dessus d’une rubrique à l’intitulé évocateur : « Grand remplacement ».

La propagande sauce Kremlin peut compter dans l’Hexagone sur d’autres relais, tels l’éditorialiste du Figaro Renaud Girard ou le dénommé Mériadec Raffray, auteur dans Valeurs actuelles du 3 novembre d’un papier tout en nuances. Ce visionnaire y dénonce la « guerre par procuration » déclenchée par des Occidentaux « allant jusqu’à torpiller à deux reprises des négociations bilatérales quasi abouties ». Quant aux « forces vives de son empire », Poutine sera ravi d’apprendre qu’elles sont « à peine ébranlées ». Choyé par CNews et Sud-Radio, ledit Raffray se prévaut via son profil LinkedIn du statut de journaliste à L’Opinion — il lui arrive d’y collaborer à des suppléments promotionnels — et de « correspondant parisien » du Télégramme de Brest, où il n’est que pigiste occasionnel. Quant au titre revendiqué de « professeur associé à la Sorbonne », il n’a laissé nulle trace sur la toile. Une certitude : cet officier de réserve a vainement intrigué voilà peu pour accéder à la présidence de l’Association des journalistes de défense (AJD).

Deux satellites de la planète Rossia, épinglés dans un récent rapport de l’Institut pour le dialogue stratégique, méritent un accessit. « Reporter de guerre, directrice de projets audiovisuels et photojournaliste », Anne-Laure Bonnel est l’auteure de Donbass (2015), docu réalisé entre Donetsk et Louhansk avec le concours actif de cornacs séparatistes. Tellement actif qu’il leur arrive de poser eux-mêmes les questions aux témoins et victimes d’exactions ukrainiennes, seules jugées dignes d’intérêt. Depuis, la camarade Bonnel, dont le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a louangé le travail, cultive une posture de franc-tireuse en butte au conformisme ambiant. Notamment quand elle pérore à la tribune de l’association Dialogue franco-russe, le lobby du député européen RN Thierry Mariani, au micro de Bercoff, sur CNews ou chez Cyril Hanouna. Quant à Christelle Néant, elle a fondé en 2016 la chaîne YouTube « Donbass Insider ». Dans une vidéo diffusée en juillet, cette égérie du séparatisme pro-russe, coiffée d’une casquette siglée « Z », se réjouit de « l’effondrement des défenses ukrainiennes » et des « pertes record » de l’ennemi, accusé d’envoyer au casse-pipe femmes et handicapés, assimilant cette débâcle fantasmée à la chute du IIIe Reich. Puis invite sa « communauté » à déjouer la censure en basculant à sa suite sur les plates-formes « alternatives » Odyssee et Rumble. Communauté généreuse, puisque ses dons ont permis à la baroudeuse militante d’acquérir une nouvelle voiture, la sienne ayant été « détruite par l’artillerie ukrainienne ». En route donc pour l’info réduite à Néant.

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Christelle Néant. // Donbass Insider, capture d’écran

Une version courte de cet article a été publiée par Le Canard enchaîné le 23 novembre.

J.C. est un pseudonyme.

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