Natacha Polony et consorts, auxiliaires de Moscou

Idéologue déguisée en journaliste, ni de droite ni de gauche, Natacha Polony est à l’Est. Son parcours révèle une constante, un anti-américanisme fanatique, qui la pousse à préférer Poutine à la vérité et à transformer l’Ukraine agressée en un simple prétexte à une guerre américaine.

Un journaliste, issu de l’hebdomadaire Marianne, confiait à Libération du 26 octobre 2018 qu’avec Natacha Polony, « ce n’est pas du journalisme, c’est de l’idéologie ». Le même quotidien se demandait, le 7 février 2020, si Marianne ne se faisait pas coloniser par celle-ci, après le départ de plumes de l’hebdomadaire, l’une d’entre elles déclarant qu’« avec Polony, l’idéologie écrase tout. C’est une idéologue, pas une journaliste. C’est un gros problème au quotidien. La prise de parti prime clairement sur le goût de la vérité ».

Cette affidée de Chevènement — auquel elle ouvre grand les colonnes de son journal — ne s’est jamais éloignée de celui-ci, dont elle fut la secrétaire nationale au Mouvement des citoyens (MDC). Elle en est la candidate, aux législatives de 2002 à Paris, obtenant le score de 2,24 %. En fait, autour de l’ex-ministre de la Défense, se concentre alors tout ce qui compte de la sphère souverainiste, estimant qu’une alliance avec Moscou nous prémunirait de l’Europe germano-américaine. On y dénombre, parmi d’autres, Zemmour, Paul-Marie Coûteaux, Houellebecq, Florian Philippot, Dupont-Aignan1. Ce dernier confiait que, s’il accédait à l’Elysée, il confierait le portefeuille de l’éducation à Madame Polony2, menace qui semble à jamais écartée.

Se situant, de son propre aveu, entre Mélenchon et Dupont-Aignan3, elle a longtemps assuré une chronique au Figaro, où lui succède un autre russophile de grande obédience, Renaud Girard.

Dans le quotidien du 30 juin 2016, elle appelle avec Chevènement, Onfray, Sapir et quelques diplomates russophiles, à « renouer le dialogue avec la Russie, pays indispensable pour l’établissement d’une sécurité dont toutes nos nations ont besoin ». L’annexion d’une partie de l’Ukraine, en 2014, n’a probablement jamais existé.

Déjà, elle s’indignait le 21 février 2015 contre cet « atlantisme béat qui nous ferme le marché russe, tellement indispensable dans certains secteurs vitaux pour notre économie pour complaire à des États-Unis qui savent si bien protéger leurs propres entreprises ». Son éditorial du 9 décembre 2016 dénonce l’impérialisme américain, regrettant que Russie et Chine soient « diabolisées ». Elle ne peut que s’en prendre, le 11 mars 2017, au Premier ministre polonais, Donald Tusk, décrit en « libéral, atlantiste et pourfendeur de l’ennemi russe », un ennemi imaginaire, à n’en pas douter…

Elle s’alarme, le 15 avril suivant, que l’on puisse « devenir une simple colonie de cet empire globalisé [l’Europe] qui utilise les États-Unis comme camp de base ». Heureusement, le fait que le chef de l’État, en recevant Poutine, « adopte une politique aux accents proches de ceux d’un Védrine, d’un Chevènement ou d’un Séguin est plutôt rassurant » (24 juin 2017). Sur la même lancée, elle se prononce pour que la France maîtrise sa défense, « sans dépendre des États-Unis » (22 juillet 2017). Pour mieux dépendre de Moscou ?

Le Monde du 18 octobre 2017 révèle qu’elle a été approchée par Russia Today, ce que résume à sa façon sa présidente, Xenia Fedorova : « C’était surtout pour apprendre à se connaître ». Ou à s’apprécier ? Peu après, Natacha Polony, dans Le Figaro du 6 janvier 2018, défend la chaîne de désinformation russe, « contre laquelle tant de médias bienveillants nous ont déjà mis en garde », faisant grief au président Macron de reprendre « sans le moindre recul l’obsession russe de l’establishment américain ».

Elle dénonce, le 28 avril suivant, l’alliance, qualifiée de « dangereuse », que noue l’Arabie saoudite avec Washington et Israël. Elle célèbre, le 12 mai, l’avènement de De Gaulle, en mai 1958, qui, selon elle, a rendu à la France sa souveraineté, alors qu’elle était, jusque là, « bien au chaud dans le camp américain, enferrée dans des traités qui devaient la museler ». Madame Polony révèle ainsi son ignorance, car De Gaulle devait alors en priorité régler l’insoluble problème algérien, le retrait du commandement militaire de l’OTAN intervenant en 1966.

Son américanophobie, qui se manifeste dans presque chacun de ses éditoriaux, va jusqu’à mettre en garde contre « les taupes du communautarisme américain » (11 août 2018) et « l’obsession anti-iranienne du Pentagone » (10 janvier 2020), préférant sans doute les pacifiques mollahs et la constance de leur sollicitude pour la gent féminine4… La couverture de Marianne du 4 janvier 2019 a pour titre « Comment les États-Unis infiltrent nos banlieues ? » ; nul doute, là encore, que le danger provient de ces affreux Yankees, d’aucune façon de l’emprise des islamistes sur l’immigration musulmane.

marianne biden
Couverture du n°1312 de Marianne, mai 2022

Cette orientation a contribué au départ d’une vingtaine de personnes de l’hebdomadaire, autour duquel elle réunit la France insoumise à travers Raquel Garrido et Alexis Corbière ainsi que, à l’autre extrême, François Asselineau5.

L’Ukraine, c’est à cause de Washington

Ce subtil esprit, la veille de l’agression russe de février 2022 contre l’Ukraine, se félicite que la France, résistant à la prétendue pression américaine, n’ait pas rappelé ses ressortissants, car « les Russes ne sont pas les seuls à participer à la manipulation » (17 février 2022), établissant, au lendemain de l’invasion, un fallacieux parallèle avec l’intervention au Kosovo et s’indignant des « exhortations enfiévrées de Bernard-Henri Lévy », s’attaquant aux « atlantistes forcenés », enjoignant le président français à ne pas suivre « aveuglément les décisions américaines », rendant hommage à Sarkozy qui propose, lui, de discuter avec les Russes (3 mars 2022).

Et, inlassablement, récitant son catéchisme incantatoire, elle annonce que « l’Europe sera encore un peu plus dépendante des États-Unis, sur les plans stratégique, économique et même idéologique » (17 mars 2022). La une de Marianne du 5 mai, s’intitule, en gros caractères, « La guerre des États-Unis », d’aucune façon celle de la Russie ! Madame Polony s’en prend au « jeu dangereux » des Américains, dont le but est « désormais d’imposer à Poutine le même traitement qu’à Saddam Hussein en 1991 » et qui « mènent une guerre par procuration » : il appartient, selon elle, aux médias français de le marteler avec force. Elle cite bien sûr Régis Le Sommier, grand reporter à Russia Today et aujourd’hui directeur d’Omerta, proche de Frédéric Chatillon comme de Dialogue franco-russe, admirateur de Bachar el-Assad, qu’il a maintes fois interviewé6.

À l’instar des Mélenchon-Le Pen, Natacha Polony s’élève contre les sanctions, qui visent, d’après elle, à nous inféoder à « la stratégie américaine de confinement, puis d’affaiblissement durable de la Russie, stratégie dont la conséquence est d’enrichir les États-Unis » (1er septembre 2022). Et voilà qu’elle poursuit de sa vindicte les affreux Yankees, émettant le vœu que les dirigeants européens mettent la main sur un esprit lucide parvenant « à calmer les ardeurs bellicistes des faucons démocrates. […] Pas de lobbying, pas de bases de l’OTAN ou de missiles tournés vers la Russie » (13 octobre 2022).

Comme il se doit, elle rend un hommage appuyé au discours de M. Galouzeau de Villepin de 2003 à la tribune des Nations Unies, dénonçant « les commentateurs français biberonnés à l’atlantisme » de l’époque, citant abondamment Maurice Gourdault-Montagne, dont on connaît les orientations (9 février 2023). Peu après, sous le titre « Un an d’escroquerie intellectuelle », elle continue de s’acharner non pas envers Poutine mais contre ces « zélés atlantistes » et « l’Amérique dont l’impérialisme s’exerce par l’économie, le droit, mais aussi par la déstabilisation des régimes. […] L’Europe est plus que jamais un satellite des États-Unis ». Elle plaide pour « une Europe débarrassée du messianisme américain, qui n’est que la caution morale de l’impérialisme. Et ce n’est pas parce que nous préférons l’impérialisme américain à l’impérialisme russe qu’il faut se soumettre au premier » (23 février). On appréciera le parallèle entre Washington et Moscou alors qu’à lire la prose « polonyste », sa préférence verse à coup sûr du côté russe.

Son langage diffère-t-il de celui des récents entretiens Poutine-Xi, accusant les États-Unis de « saper » la sécurité internationale ?

Rappelons qu’elle avait trouvé moyen d’exonérer la France de toute implication dans le génocide rwandais de 1994, façon de protéger Védrine, dont on connaît le rôle à l’époque, n’en déplaise à ses dénégations, et qu’elle accueille volontiers dans son journal. Rappelons également qu’elle s’insurgeait que l’on puisse traiter Sapir d’extrême-droite7 alors que lui-même ne s’en offusque pas.

Un journal militant pour Moscou

Comme Valeurs actuelles, soutien farouche de Moscou et pas seulement à travers les réactions de son lectorat, la publication des lettres de lecteurs de Marianne est édifiante : c’est l’hostilité permanente contre l’Amérique et, dans une moindre mesure, l’Europe, allant jusqu’à dénoncer Zelensky (17 mars 2022). Un lecteur critique « l’obsession des États-Unis qui, après la chute du mur de Berlin, est d’isoler la Russie et de la rabaisser » (10 mars 2022). Un autre place à égalité la domination russe, chinoise, islamiste, américaine ! Un autre dénonce « la propagande antirusse, une honte, une insulte » (31 mars 2022). Un autre condamne la russophobie et avance que, en matière de criminels de guerre, l’Amérique sait de quoi elle relève, pas moins (ibid.).

Plus significative est la large place accordée à tous les russophiles de service, à commencer par l’idole de Polony, Chevènement, qui y occupe une part inversement proportionnelle à sa représentativité : s’il ne peut pas approuver la guerre contre l’Ukraine, il bénéficie de plusieurs pages ici ou là, notamment le 10 mars 2022, où il écrit que, tout compte fait, la réaction de Moscou s’explique par la menace que fait peser l’OTAN, à travers « le mépris et l’arrogance de beaucoup de dirigeants occidentaux, notamment américains » ou encore trois pages le 22 septembre suivant, s’en prenant à l’emprise de Washington sur l’Europe. « Ce Lénine provincial et béat », selon Revel8, s’était déjà montré reconnaissant de l’accueil de l’hebdomadaire, appréciant « l’anticonformisme de Marianne quand il est marqué au coin de la rigueur et non quand il donne la parole à Bernard-Henri Lévy » (10 juin 2016).

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Jean-Pierre Chevènement décoré par Vladimir Poutine le 4 novembre 2017 // kremlin.ru« 

Peut-on comprendre que MM. Ciotti et Retailleau fassent partie des admirateurs de l’ex-ministre de la Défense qui, ès qualités, institua, en bon défenseur de la laïcité qu’il prétend être, les salles de prière et les menus halal9 ?

Périco Légasse, époux de Mme Polony, membre de la rédaction en chef de Marianne — deux salaires valent mieux qu’un —, a co-signé un livre avec une nostalgique de l’Union soviétique10, Danièle Sallenave, et ne dédaigne pas d’écrire dans L’Humanité (21 février 2019) ou bien dénonce « l’atlantisme idéologique » de cette Amérique qui « ne nous veut aucun bien »11. Dans Marianne du 10 novembre 2022, Légasse se déchaîne contre « l’horreur Halloween, laideur globalisée de l’Amérique barbare ».

Le général Vincent Desportes, aujourd’hui plus prudent, dénonçait en l’OTAN « une menace pour la sécurité de la France et l’Europe », dans les deux pleines pages du 28 août 2020. Il revient le 16 mars 2023, occupant toujours autant de place, à des positions plus mesurées, dont la clarté n’est pas évidente, rappelant au passage les accords de 1973 sur le Vietnam, se gardant de préciser qu’ils furent assez vite violés par le Nord communiste…

Instrumente aussi, à la dernière page de Marianne, Benoît Duteurtre, ex-plumitif du Monde diplomatique, où il distille, dans presque chaque éditorial, sa haine de l’Amérique, prônant, en pleine offensive russe, le retrait de l’OTAN (25 mai 2022), s’insurgeant contre « la pression exercée pendant des années par l’OTAN, les États-Unis, la Pologne, les Pays baltes, aux frontières de la Russie, mais aussi le ton si désagréable de nos échanges avec Moscou » (17 mars 2022). Et l’on en passe…

Plus significative est la prose d’un ex-journaliste du quotidien communiste, Jack Dion, qui s’y croit encore, auquel il faudrait accorder tout un chapitre tant tout ce qui n’est pas inféodé à Moscou (et à l’islam) constitue pour lui un véritable ennemi. Il va même jusqu’à déplorer que les Américains aient bien maltraité Ben Laden en l’éliminant12 ou soutenant Poutine dans l’Ukraine de 201413, qualifiant, noir sur blanc, la Russie d’ennemi qui n’existe plus14, s’insurgeant contre les sanctions 15, hostile à Zelensky et « son engrenage pervers »16, défendant inlassablement Julian Assange17 ou les terroristes palestiniens18, favorable au droit de vote des étrangers19

Il n’est guère de numéro qui ne s’en prenne à l’OTAN ou aux États-Unis et pas seulement sous la plume de leurs contempteurs comme Polony, Duteurtre ou Dion. On y trouve aussi un Emmanuel Lévy, qui se loue d’un Védrine, affligé du boycott du monde russe20. Les trois pages du 5 juin 2022 mettent surtout en accusation le président américain.

Marianne du 16 mars 2023 va jusqu’à recommander, sous la plume d’un conseiller municipal communiste de Montreuil, l’exposition consacrée à Marx au musée de la ville. Cet hebdomadaire est vraiment devenu, sous la férule de Mme Polony, un journal d’opinion, proche, tout compte fait, du Monde diplomatique ou de L’Humanité. Qu’en pense l’éminent éditorialiste Jacques Julliard, le seul à faire exception au sein de la rédaction ?

Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

Notes

  1. « Les enfants du « Che » », M magazine du Monde, 5 mars 2022.
  2. L’Evénement magazine, été 2017.
  3. Eric Brunet, L’obsession gaulliste, Albin Michel, 2016, p. 161.
  4. Rokhaya Diallo bénéficiait d’une pleine page dans chaque livraison de Marianne. Le 17 novembre 2021, elle considérait que traiter les talibans de misogynes ne reposait sur aucune donnée tangible !
  5. Le Monde, 11 octobre 2019.
  6. Libération, 20 mai 2022.
  7. Le Figaro, 8 février 2014.
  8. Jean-François Revel, Le voleur dans la maison vide, Plon, 1997, p. 580.
  9. Le Monde, 19 juillet 1990.
  10. « La disparition de l’Union soviétique aurait dû d’abord nous porter aux souvenirs, au recueillement, à la piété », cité in Jean-François Revel, La grande parade, Plon, 2000, p. 27.
  11. Le Figaro, 5 avril 2016
  12. Marianne, 7 mai 2011.
  13. Ibid., 15 août 2014.
  14. Ibid., 27 janvier 2017.
  15. Ibid., 9 juin 2022.
  16. Ibid., 9 février 2023.
  17. Ibid., 15 novembre 2019, 26 novembre 2021, 23 juin et 15 septembre 2022.
  18. Ibid., 13 avril 2022.
  19. Ibid., 1er septembre 2022.
  20. Ibid., 31 mars 2022.

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