Comment l’étiquette de fascisme contribue à la compréhension de la guerre en Russie
Les analogies historiques sont par définition incomplètes et inexactes. Cependant, selon l’auteur, le fascisme classique offre des parallèles saisissants avec la politique de Poutine à l’égard de l’Ukraine et avec sa doctrine nationaliste et impérialiste. Pour les Ukrainiens eux-mêmes, le fascisme poutinien est évident : l’Ukraine a déjà été une « terre de sang », selon Timothy Snyder, pendant la Seconde Guerre mondiale et après la réoccupation soviétique.
L’utilisation du terme « fascisme » en relation avec les actions de l’État russe actuel a au moins trois dimensions. La première est qu’il s’agit d’une analogie historique utilisée pour guider l’interprétation publique des événements actuels à la lumière des développements bien connus du passé récent. En deuxième lieu, il s’agit d’un terme codé ukrainien pour exprimer l’expérience vécue par des millions d’Ukrainiens aujourd’hui. Il est utilisé par Kyïv dans le but, entre autres, de susciter la sympathie de la communauté internationale pour les victimes de la terreur de masse russe en Ukraine. Et en troisième lieu, le « fascisme » est une notion générique académique qui sert de classification scientifique, permet des comparaisons dans le temps et l’espace, et met en évidence les différences et les similitudes entre le fascisme historique d’une part et le poutinisme d’aujourd’hui d’autre part.
Le fascisme comme analogie historique
La plupart des caractérisations publiques du régime de Poutine en tant que régime fasciste ont comme fonction d’établir une analogie diachronique ou une classification métaphorique pour mieux comprendre les développements actuels en Russie et dans les territoires occupés. L’équation historique et la visualisation verbale d’un phénomène actuel avec des événements et des images du passé aident à reconnaître les caractéristiques et les défis cruciaux de la Russie d’aujourd’hui. Attribuer le « fascisme » au régime de Poutine permet d’illustrer pour le grand public ce qui se passe en Russie et dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie.
Cette comparaison est justifiée dans la mesure où il existe de nombreux parallèles entre la rhétorique et les actions politiques intérieures et extérieures de la Russie de Poutine, d’une part, et de l’Italie de Mussolini et de l’Allemagne d’Hitler, d’autre part. À la fin de l’année 2024, on constate un certain nombre de similitudes politiques, sociales, idéologiques et institutionnelles. Elles vont des caractéristiques de plus en plus dictatoriales et, à certains égards, totalitaires du régime russe aux caractéristiques revanchardes et de plus en plus génocidaires du Kremlin dans son attitude extérieure. L’influent historien américain Timothy Snyder a également souligné que la mémoire historique officielle et l’iconographie politique de la Russie sont devenues, sous une forme codée, pro-fascistes.
En 2018 par exemple, Snyder a attiré l’attention sur un intellectuel de droite de l’émigration russe de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre qui est devenu à la mode sous Poutine — Ivan Iline (1883-1954), un admirateur de Mussolini et d’Hitler. Dans ses réflexions sur une Russie post-communiste, dictatoriale et nationaliste, Iline, selon les termes de Snyder, « a fourni une justification métaphysique et morale au totalitarisme politique, qu’il a exprimée dans les grandes lignes pratiques d’un État fasciste. Aujourd’hui, ses idées ont été ravivées et célébrées par Vladimir Poutine. » En 2018, le politologue russe Anton Barbachine a ajouté : « Ivan Iline est cité et mentionné non seulement par le président de la Russie, mais aussi par le Premier ministre [de l’époque] Medvedev, le ministre des Affaires étrangères Lavrov, plusieurs gouverneurs de Russie, le patriarche Kirill, divers dirigeants du parti [au pouvoir] Russie Unie et bien d’autres encore. »
Fin septembre 2022, Poutine a conclu son discours à l’occasion de l’annexion officielle (illégale) par la Russie des oblasts ukrainiens de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson par la citation suivante d’Iline : « Si je considère la Russie comme ma patrie, cela signifie que j’aime, que je réfléchis et que je pense, que je chante et que je parle en russe ; que je crois en la force spirituelle du peuple russe. Son esprit est mon esprit ; son destin est mon destin ; sa souffrance est mon chagrin ; son épanouissement est ma joie. »
La politique intérieure et extérieure de la Russie d’aujourd’hui présente un certain nombre de similitudes avec celle de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie. Par conséquent, l’utilisation du terme « fascisme » pour expliquer de manière analogique et métaphorique le caractère du régime de Poutine permet d’éclairer les débats politiques dans les médias, la société civile, l’éducation civique et le discours public. Au vu de certaines références démonstratives de Poutine et de son entourage au protofascisme ou au pro-fascisme historique russe, telles que les idées d’Iline, il semble heuristiquement utile de parler de fascisme russe aujourd’hui.
Le fascisme en tant qu’expérience vécue
L’application du terme « fascisme » au régime de Poutine par des commentateurs extérieurs vise à donner à des publics extérieurs à la Russie et à l’Ukraine un regard sur les affaires intérieures et étrangères russes actuelles. En revanche, l’utilisation par les Ukrainiens du terme « fascisme » et du néologisme « ruscisme », une combinaison de « Russie » et de « fascisme », est avant tout un acte expressif [en ukrainien, le mot sonne à peu près comme « rascisme » et est donc un mot valise combinant russisme, racisme et fascisme, NDLR]. En Ukraine, qualifier la Russie de fasciste depuis 2014 exprime le choc collectif, la profonde tristesse et le désespoir permanent face au cynisme morbide du Kremlin à l’égard des Ukrainiens ordinaires, en particulier au cours de ces 1000 derniers jours de guerre.
Le gouvernement et la société ukrainiens utilisent également les termes « fascisme » et « ruscisme » comme des cris de guerre pour mobiliser le soutien national et étranger à la résistance contre l’agression russe. Ces termes sont destinés à alerter le monde extérieur sur les graves implications de la guerre d’extermination menée par la Russie contre l’Ukraine. Les adjectifs « fasciste » et « rusciste » indiquent que l’expansion militaire de la Russie ne se limite pas à la conquête du territoire ukrainien. L’aventure revancharde de la Russie, surtout depuis 2022, vise à détruire l’Ukraine en tant qu’État-nation indépendant et communauté culturelle distincte de la Russie. Les paroles et les actes du gouvernement russe concordent largement à cet égard. Même avant le 24 février 2022, les déclarations des fonctionnaires, des parlementaires et des propagandistes russes indiquaient que les intentions de la Russie à l’égard de l’Ukraine allaient au-delà d’un simple redécoupage des frontières de l’État, de la restauration de l’hégémonie régionale et de la défense contre l’occidentalisation de l’Europe de l’Est. Depuis 2014 au moins, Moscou nie impitoyablement l’identité, la culture et le sentiment nationaux ukrainiens.
Ce serait aller trop loin que d’assimiler l’ukrainophobie russe à l’antisémitisme biologique et éliminationniste des nazis. La guerre irrédentiste de Moscou vise « seulement » à détruire la nation ukrainienne en tant qu’entité politique consciente d’elle-même et en tant que société civile indépendante ; le Kremlin ne cherche pas à anéantir physiquement tous les Ukrainiens, comme les nazis l’ont fait avec les Juifs. Néanmoins, le programme russe va au-delà de la « simple » expulsion, du harcèlement, de la déportation, de la rééducation et du lavage de cerveau des résidents ukrainiens. Il comprend également l’expropriation, l’emprisonnement, la torture et le meurtre des Ukrainiens (ainsi que de certains Russes) qui s’opposent à l’expansion militaire de la Russie, à son règne de terreur politique et à sa domination culturelle en Ukraine, que ce soit en paroles ou en actes.
Il n’est donc pas surprenant que de nombreux Ukrainiens, ainsi que certains observateurs russes, qualifient spontanément le comportement génocidaire de la Russie de « fasciste ». Des millions d’Ukrainiens qui sont restés en Ukraine en 2022 ou qui sont rentrés chez eux après avoir fui à l’étranger font l’expérience directe de la vilénie de Moscou sous la forme de frappes aériennes hebdomadaires, voire quotidiennes, dans tout le pays. De nombreuses frappes de missiles, de bombes et de drones russes dans l’arrière-pays ukrainien ne visent pas des objets militaires ou des usines d’armement. Au contraire, elles sont délibérément dirigées vers des bâtiments civils sans lien direct avec l’effort de défense de l’Ukraine, notamment des maisons d’habitation, des supermarchés, des hôpitaux et des établissements d’enseignement.
Les historiens militaires peuvent affirmer que les attaques délibérées contre des civils et des infrastructures non militaires ne sont pas propres à la guerre fasciste. Néanmoins, pour la plupart des Ukrainiens, c’est le terme de fascisme qui vient en premier à l’esprit pour décrire leurs expériences, car leur histoire familiale a connu le fascisme historique, en particulier le nazisme allemand, y compris les raids aériens de la Luftwaffe d’Hitler. Certains Ukrainiens plus âgés se souviennent encore de la guerre allemande contre l’URSS.
Le fascisme en tant que concept scientifique
Un nombre croissant d’éminents spécialistes de l’Europe centrale et orientale qualifient aujourd’hui la Russie de Poutine de fasciste. En revanche, de nombreux historiens comparatistes et politologues évitent d’utiliser le terme de fascisme pour catégoriser le poutinisme. Cela s’explique par les définitions étroites du fascisme générique que nombre de ces universitaires utilisent. Selon eux, la caractéristique qui distingue les fascistes des autres radicaux de droite est leur objectif de renaissance politique, sociale, culturelle et anthropologique.
Les fascistes se réfèrent souvent à un supposé âge d’or dans l’histoire lointaine de leur nation et utilisent des idées et des symboles de ce passé mythifié. Cependant, ils ne cherchent pas à préserver ou à restaurer une époque passée, mais à créer une nouvelle communauté nationale. Les fascistes sont d’extrême droite, mais ils sont révolutionnaires plutôt qu’ultraconservateurs ou réactionnaires. Aujourd’hui, de nombreux comparatistes hésiteraient à appliquer le terme de fascisme au poutinisme, car celui-ci cherche à restaurer les empires tsariste et soviétique plutôt qu’à créer un État et un peuple russes entièrement nouveaux.
D’autre part, le poutinisme s’est développé au cours des 25 dernières années, tant au niveau de ses objectifs ultimes et de sa rhétorique quotidienne qu’au niveau de ses politiques et de ses actions spontanées. M. Poutine a commencé sa carrière politique au service des deux plus grands démocrates pro-occidentaux de la Russie des années 1990, en travaillant pour le premier maire de Saint-Pétersbourg post-soviétique, Anatoly Sobtchak, et le premier président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine. Après que Poutine est devenu Premier ministre en 1999 et président en 2000, le poutinisme a également montré des traits libéraux et pro-européens pendant plusieurs années. Sous Poutine, la Russie est restée membre du Conseil de l’Europe, du Conseil OTAN-Russie et du groupe G8 dans les années 2000 et au début des années 2010. Moscou a même négocié un accord de partenariat global avec l’Union européenne jusqu’en 2014.
La régression politique intérieure de la Russie, d’une protodémocratie à une autocratie, a commencé avec l’arrivée au pouvoir de Poutine en 1999. Mais ce n’est que huit ans plus tard, lors de son tristement célèbre discours à la conférence sur la sécurité de Munich en 2007, que Poutine a annoncé que la Russie se détournait de l’Occident. Depuis lors, le poutinisme est devenu chaque année plus illibéral, anti-occidental, nationaliste, impérialiste et belliqueux, avec quelques fluctuations pendant la « présidence palliative » de Dmitri Medvedev de 2008 à 2012. Progressivement, la pseudo-fédération russe s’est transformée d’un État semi-autoritaire en un État semi-totalitaire. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022 et le virage simultané vers des États asiatiques autoritaires ou totalitaires s’inscrivent davantage dans la continuité que dans l’inversion des tendances antérieures.
Pour la plupart des comparatistes, ces changements et d’autres similaires survenus au cours du dernier quart de siècle de l’histoire russe seraient encore trop peu nombreux pour classer le poutinisme dans la catégorie du fascisme. Mais la transformation de la politique intérieure et extérieure de la Russie opérée par Poutine au cours des 25 dernières années a pris une direction claire et s’approfondit chaque jour un peu plus. La transformation de la Russie a signifié et continue de signifier l’augmentation continue de l’agression rhétorique, de la répression interne, de l’escalade externe et de la radicalisation générale, qui culmine maintenant dans les menaces régulières russes d’une guerre nucléaire mondiale.
En outre, la politique de la Russie dans les territoires ukrainiens occupés pourrait être qualifiée de quasi-fasciste dans un sens plus direct. La campagne de russification impitoyable que l’État russe mène dans les parties occupées de l’Ukraine par une terreur ciblée, une rééducation forcée et des incitations matérielles vise à réaliser une transformation socioculturelle profonde de ces régions. Bien que ces politiques irrédentistes, colonisatrices et homogénéisantes ne soient pas considérées comme fascistes en tant que telles dans la recherche comparative sur l’impérialisme, les instruments utilisés par le Kremlin pour mettre en Å“uvre sa politique en Ukraine et les résultats qu’il cherche à obtenir sont, à certains égards, similaires à ceux des révolutions intérieures fascistes, telles que celles qui ont été appliqués ou tentées dans l’Italie de Mussolini et dans l’Allemagne d’Hitler.
Moscou veut transformer fondamentalement les communautés ukrainiennes conquises et en faire des cellules d’un peuple russe culturellement et idéologiquement standardisé (rousski narod). Les ultranationalistes impériaux russes considèrent de grandes parties de l’Ukraine comme des terres originellement russes et les appellent la « Nouvelle » et la « Petite Russie » (Novorossia, Malorossia). Les Ukrainiens — si tant est que ce terme soit accepté — ne sont donc qu’un sous-ensemble ethnique du grand peuple russe, parlant un dialecte russe et possédant davantage un folklore régional qu’une culture nationale.
Les personnes qui vivent « na Ukraine » — c’est-à -dire « dans une région appelée Ukraine » — sont considérées dans le nationalisme impérial russe comme des habitants de territoires « à la limite » (okraïna) du grand empire et non d’un pays indépendant. Ces habitants de la frontière de la Russie occidentale, selon le récit irrédentiste russe, ont été induits en erreur par les forces anti-russes pour former une nation artificielle, « les Ukrainiens ». Des acteurs étrangers tels que l’Église catholique, l’Allemagne impériale, les bolcheviks des années 1920 et/ou l’Occident d’aujourd’hui ont divisé le peuple panrusse et aliéné les « Petits Russes » (malorossy) d’Ukraine des « Grands Russes » (velikorossy) de la Fédération de Russie.
La politique d’occupation de l’Ukraine menée par Moscou pour inverser la scission de la civilisation russe, prétendument causée par une influence étrangère, pourrait être considérée comme une tentative de créer une nouvelle « Petite Russie ». L’objectif du Kremlin est de provoquer une révolution politique, sociale, culturelle et anthropologique locale dans les régions de l’Ukraine annexées par la Russie. Si les campagnes d’homogénéisation de la population ont été courantes dans l’histoire et ne sont pas l’apanage du fascisme, la politique de russification de l’Ukraine est similaire aux politiques d’occupation et aux politiques intérieures fascistes classiques, de sorte que les objectifs de transformation de Moscou à l’égard des « frères » ukrainiens de la Russie pourraient être considérés comme quasi-fascistes.
Conclusion
Le développement de la Russie elle-même est encore loin du fascisme dans la mesure où Poutine et son entourage ne sont pas des révolutionnaires nationaux, mais plutôt des représentants de l’ancien régime d’avant 1991. Ils cherchent à restaurer à la fois l’ordre tsariste et soviétique dans la mesure du possible, plutôt que de donner naissance à un tout nouvel empire. Poutine est moins un Hitler russe qu’un personnage comparable, à certains égards, au dernier président du Reich allemand, Paul von Hindenburg, qui a nommé Hitler chancelier du Reich le 30 janvier 1933.
D’autre part, dans le nationalisme impérial russe, l’Ukraine n’est pas un pays étranger, mais la zone frontalière occidentale de la Grande Russie. Si la plupart des observateurs non russes considèrent la politique ukrainienne du Kremlin comme l’expression des priorités étrangères de Moscou, de nombreux Russes considèrent qu’il s’agit d’une affaire intérieure russe. L’agressivité de Moscou à l’égard des Ukrainiens s’explique en grande partie par le fait que de nombreux Russes considèrent qu’il s’agit d’une affaire familiale à laquelle les règles juridiques internationales et les conventions humanitaires ne s’appliquent pas.
Pour de nombreuses victimes ukrainiennes et de nombreux opposants non ukrainiens à ce que Moscou fait en Ukraine, le refus de la plupart des comparatistes de qualifier la Russie de Poutine de fasciste semble inapproprié, voire fallacieux ou même amoral. Les forces russes et l’administration d’occupation en Ukraine, en particulier depuis 2022, se comportent de manière terroriste, génocidaire et parfois sadique. Dans ce contexte, il semble étrange d’insister sur le fait que les politiques de Moscou et les idées qui les sous-tendent sont sans équivoque, absolument et exclusivement non fascistes.
Certes, il n’y a pas d’équivalent russe aux chambres à gaz nazies, pas plus qu’il n’y a d’équivalent italo-fasciste à ce crime allemand. Mais comment classer les intentions de Moscou derrière les meurtres de masse à Boutcha ou Marioupol en 2022, l’explosion du barrage de Kakhovka en 2023, la déportation de milliers d’enfants non accompagnés, la torture massive de prisonniers de guerre ukrainiens ou les frappes aériennes russes sur les civils ukrainiens ? Ces crimes ne sont ni de simples dommages collatéraux d’opérations militaires, ni des variantes ordinaires de la politique néocoloniale, que l’on trouve dans tous les régimes d’occupation. Une classification prudente de l’idéologie qui sous-tend la guerre d’extermination de la Russie comme « illibérale », « conservatrice » ou « traditionaliste » semble insuffisante. De nombreux observateurs connaissant les détails horribles de la politique de Moscou en Ukraine trouveraient ces termes inadéquats, voire trompeurs.
D’un autre côté, réduire le poutinisme exclusivement au fascisme n’est pas non plus très utile. Une explication des motivations de Moscou pour son agression militaire qui ne met l’accent que sur le fanatisme ultra-nationaliste est incomplète. S’il existe de nombreux fascistes dans la Russie d’aujourd’hui, y compris au sein de l’élite politique et intellectuelle, la majorité des principaux décideurs politiques russes sont des cyniques plutôt que des fanatiques. Un facteur important — sinon décisif — des aventures de politique étrangère de la Russie avant 2022 était leur facilité politique, leur prévisibilité stratégique, leur caractère victorieux sur le plan militaire, leur caractère économiquement abordable et leur popularité sociétale.
Les interventions militaires de la Russie en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014 et en Syrie en 2015 n’ont pas seulement été couronnées de succès en tant que telles. Elles ont également eu un effet stabilisateur sur le pouvoir de Poutine au sein de la politique intérieure rudimentaire et de la société conformiste de la Russie. Il aurait été quelque peu irrationnel de ne pas retenter le même coup au début de l’année 2022, alors que la cote de popularité de Poutine était à nouveau en baisse relative, compte tenu des expériences positives en matière de politique étrangère et intérieure que Poutine avait tirées de ses précédentes aventures militaires.
Traduit de l’anglais par Desk Russie
Andreas Umland est analyste au Centre de Stockholm pour les études sur l'Europe de l'Est, qui fait partie de l'Institut suédois des affaires internationales (UI), professeur associé de sciences politiques à l'Académie de Kyiv-Mohyla, et directeur de la collection « Soviet and Post-Soviet Politics and Society » publiée par Ibidem Press à Stuttgart. Son livre le plus connu est Russia’s Spreading Nationalist Infection (2012).