Ancienne diplomate, Rina Bassist est une journaliste israélienne qui travaille au sein de l’équipe éditoriale d’Al-Monitor Israel Pulse. Depuis de nombreuses années, elle est correspondante internationale pour l’Autorité de radiodiffusion israélienne. Dans l’entretien qu’elle a accordé à Desk Russie, elle analyse la situation au Mali et l’accord possible entre Bamako et la compagnie militaire privée Wagner.
Propos recueillis par Natalia Kanevsky.
Le moment de la récente visite de la ministre des Armées Florence Parly au Mali [le 20 septembre] n’a pas été choisi par hasard : pour Paris, l’accord entre la junte malienne et la compagnie militaire privée russe dite Wagner est une sorte de ligne rouge. Peut-on dire que la visite a été un succès ?
Florence Parly a rencontré les autorités maliennes pour notifier la position de la France concernant les négociations maliennes avec Wagner. Le message de Paris est clair : la présence des Wagner sur le sol malien est inadmissible. Les échos qu’on entend pour le moment ne sont pas très positifs. Les autorités maliennes ne sont pas très réceptives aux messages de Paris, et cela génère une grande inquiétude de la France. La France a prévenu ces derniers jours que le déploiement des mercenaires russes au Mali pourrait entraîner le retrait des troupes françaises. Pour Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, la présence des Wagner exclut non seulement la présence de l’armée française, mais elle est également incompatible avec l’action des partenaires sahéliens et internationaux du Mali. D’après le ministre des affaires étrangères, les mercenaires de Wagner se sont illustrés par le passé en Syrie et en Centrafrique par des exactions, des prédations, des violations de tout genre.. On entend donc des mots très durs et explicites de la part de Paris. Les Européens soutiennent la position française. Dès son arrivée à New-York pour l’Assemblée générale de l’ONU, le Haut représentant européen Josep Borrell s’est exprimé contre l’implication de ce groupe russe au Mali, suggérant que cela nuirait gravement aux relations entre Bruxelles et Bamako.
Bien avant l’arrivée de la junte au pouvoir à l’issue du coup d’État au Mali en août 2020, le président désormais déchu Ibrahim Boubacar Keïta a eu l’idée d’un rapprochement avec la Russie. Au sommet Russie-Afrique d’octobre 2019 à Sotchi il s’est directement adressé à Vladimir Poutine et l’a appelé à démontrer, sur le sol malien, les compétences de la Russie en matière de lutte antiterroriste. Peut-on dire qu’un éventuel accord entre le Mali et la compagnie Wagner constituerait la suite logique de cette stratégie de rapprochement entre les deux pays ?
Ce qui se passe actuellement fait d’abord penser à la continuation d’une campagne de désinformation antifrançaise. Cela fait déjà quelques années que des forces au Mali mènent une campagne contre la présence française dans la région. La présence russe au Mali risque d’aggraver ce sentiment antifrançais, et les mercenaires vont éloigner toute perspective de stabilisation du pays. Les enjeux pour la France sont considérables, surtout après des années d’efforts, d’investissements militaires, diplomatiques et financiers pour stabiliser le gouvernement de Bamako. Les intentions russes ne vont pas dans le sens d’une stabilisation du Mali ni de la lutte contre les djihadistes. Les Russes tentent plutôt de rétablir leur influence d’autrefois, mais aussi d’obtenir des contrats miniers. Du point de vue français, Moscou a repéré un vide éventuel, une opportunité, et tente de la saisir. Les soupçons de Paris sont bien justifiés, dès lors qu’une situation similaire s’est déjà produite en Centrafrique il y a trois ans. Ce fut également le cas en Libye, et selon plusieurs informations, même au Soudan et au Mozambique. La présence des mercenaires de Wagner dans ces pays a assuré à la Russie son grand retour sur la scène africaine après des années d’absence. Ce retour s’accompagne d’une violente campagne de désinformation contre la France.
Cette campagne de désinformation antifrançaise est-elle menée directement par la Russie ?
Même si on ne voit pas la main directe de Moscou, il y a sûrement une certaine implication. Ce n’est pas un hasard qu’au moment même où la France prépare le retrait d’une grande partie de ses forces du Mali, et que les pays voisins s’apprêtent à prendre le relais, les autorités maliennes se mettent à négocier avec la compagnie Wagner.
Née à Sébastopol, elle a construit sa carrière en Israël et en France, en tant que journaliste et traductrice. Installée en France depuis 2013, elle était la correspondante de Radio Free Europe / Radio Liberty à Paris. Elle est à présent la correspondante en France de la radio publique d’Israël, ainsi que traductrice et interprète assermentée près la Cour d'Appel d'Amiens.