Le 5 mai 2021, l’unique journal d’opposition en Russie, Novaïa Gazeta, a publié les résultats de son enquête sur le voyage d’un groupe d’ « experts » occidentaux en Crimée annexée et dans quelques villes russes afin de « valider » la bonne tenue du référendum constitutionnel qui s’est déroulé du 25 juin au 1 juillet 2020. Selon le journal, « on a amené des étrangers en Russie par un vol affrété pour démontrer une reconnaissance internationale. C’est rapide, peu cher et fait dans l’anonymat ». Parmi ces « experts », un groupe important de français dont Thierry Mariani.
Novaïa Gazeta (Друзья России оптом) considère que la venue d’« experts » qui ont abondamment commenté dans les médias russes « le processus constitutionnel brillamment organisé » n’avait qu’un seul objectif : donner un lustre à un vote (organisé avec d’innombrables violations de la procédure) qui allait transformer durablement la Russie en Etat autocratique et donner à Vladimir Poutine la possibilité légale de rester aux commandes jusqu’à 2036, en dépassant tous les dirigeants soviétiques, y compris Staline, en longévité politique.
Le journal a réussi à identifier les 60 passagers du vol qui est arrivé de Minsk (où se trouvait le point de rassemblement) à Moscou, le 29 juin 2020. De la capitale russe, les « experts » ont été dispatchés qui en Crimée, qui ailleurs, avec un emploi du temps minuté qui comprenait de brèves visites de quelques bureaux de vote présélectionnés. Ce qui nous intéresse, c’est cette présence importante de français parmi les hôtes du pouvoir russe : à elle seule la délégation française formait un quart du groupe. Parmi ces personnalités : Aurélia Beigneux, Virginie Joron, Jean-Lin Lacapelle, Philippe Olivier, Hélène Laporte, Catherine Griset, Hervé Juvin, Julie Lechanteux, tous députés du Parlement Européen (RN), ainsi que deux assistantes parlementaires du Parlement européen, Sophie Guil et Roxana Christea (RN). Mais le « poids lourds » de ce groupe, connu pour son soutien indéfectible au régime de Poutine, est Thierry Mariani, lui aussi membre du Parlement européen, actuellement candidat à la présidence de la région PACA sous l’étiquette RN.
Cette surreprésentation française est frappante. Les Allemands, par exemple, n’étaient qu’au nombre de trois, tous de l’extrême droite. Les autres nations représentées étaient : la Serbie (6 personnes), l’Afghanistan (5), l’Arménie, l’Italie, l’Autriche (une ou deux personnes par pays). Mais ce n’est pas là l’unique surprise. Officiellement, les « experts » internationaux étaient invités par la Chambre civique russe, institution consultative mise en place par le Kremlin, dont la fonction est d’analyser les projets de loi et de suivre les activités du Parlement et du gouvernement. Cette Chambre n’a aucune prérogative réelle et obéit aux injonctions du pouvoir. Mais voilà que Novaïa Gazeta fait une découverte intéressante : la déclaration de Thierry Mariani qui, en tant qu’eurodéputé, est obligé de faire état de ses déplacements et des instances qui les financent. Selon sa déclaration, tous ses frais dont l’avion et l’hôtel avaient été pris en charge par la Chambre civique. Interrogée par Novaïa Gazeta, ladite Chambre dement toutefois avoir contribué : « La question du financement du voyage d’experts étrangers n’a pas été examinée », déclare-t-elle. Le journal a appris de plusieurs sources que tous les visas avaient été délivrés par le consulat russe au Bélarus – mais on ne sait ni qui a réellement sélectionné ces soi-disant experts, ni qui a financé leurs déplacements.
Thierry Mariani s’est depuis longtemps distingué par son soutien au régime de Bachar el-Assad en Syrie, dont les forces armées se livrent depuis 2011 à des exactions de masse contre des civils. En 2019, il a conduit une délégation du RN pour rencontrer les hauts responsables du pays – son sixième voyage de ce genre. Parallèlement à l’Association du Dialogue franco-russe dont il est co-président, Mariani a exprimé l’intention de créer une association franco-syrienne. Poutine peut semble-t-il compter sur son soutien en toutes circonstances. Voici la réponse apportée en janvier par Mariani au très officiel journal russe Rossiïskaïa Gazeta concernant Alexeï Navalny : « Dans toute cette histoire du retour de Navalny en Russie, on aperçoit des motifs cachés. En 1917, l’Allemagne exsangue a organisé un train pour envoyer Lénine en Russie en vue de la déstabiliser. En 2021, l’Alliance atlantique épuisée a suivi le retour de Navalny de l’Allemagne avec un espoir identique. 104 ans ont passé, mais les motifs restent les mêmes » (Зачем « берлинский пациент » разыгрывает роль жертвы — Российская газета).
« Voter Mariani, c’est voter Poutine », constatait récemment sur sa page Facebook le politologue français Philippe de Lara. Si Mariani devait remporter l’élection en région PACA, il y a fort à parier que le sort des réfugiés politiques et demandeurs d’asile russes (Tchétchènes en particulier) ainsi que ceux originaires de Syrie, ne sera guère enviable. Tandis que oligarques de tout poil, sbires du régime syrien et « nouvelle noblesse russe » (expression par laquelle de nombreux Russes désignent les services secrets de leur pays), pourront se presser sans la moindre difficulté sur la Côte d’Azur.
À lire également : L’article du chercheur Anton Shekhovtsov : Moscow using far right to infiltrate EU Parliament ainsi que l’article de Benoît Vitkine dans Le Monde du 6 mai 2021 : « L‘étonnant charter des « observateurs » français d’extrême droite pour le référendum de Poutine ».
Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.