Comment le Kremlin relaie la propagande chinoise

Dernièrement, la télévision russe a montré, en prime time, plusieurs reportages sur la Chine communiste qui portent l’empreinte non déguisée de la propagande chinoise. Parallèlement au soutien diplomatique, la propagande du Kremlin ne ménage pas ses efforts pour défendre la Chine contre les « attaques » occidentales, qu’il s’agisse du coronavirus, de Hong Kong ou du génocide au Xinjiang. Plus les appels se multiplient pour de nouvelles sanctions contre la Chine et un boycottage des JO d’hiver de 2022 à Pékin, plus les médias officiels russes font du zèle pour servir la cause chinoise.

À les écouter, les propagandistes russes sont particulièrement inspirés par les capacités du régime communiste chinois à organiser la surveillance de masse, à contrôler Internet et à obtenir la docilité de sa population, notamment grâce au lavage de cerveau et à un astucieux système de points comptabilisant la bonne ou la mauvaise conduite de chacun — sans oublier le recours au travail forcé. Le Kremlin est également inspiré par le rapport du régime chinois à l’histoire : on vante le passé de l’Empire du Milieu, tout en glorifiant le Parti communiste dont on approuve les réalisations, malgré quelques « erreurs », comme la Révolution culturelle. Sur un ton à la fois admiratif, nostalgique et jaloux, la télévision russe relate les succès du pouvoir de Pékin et savoure ses images au style totalitaire. Les manifestations à Hong Kong réprimées dans le sang, le tabou sur les critiques du passé, l’unité infaillible du peuple, les jeunes bien encadrés et endoctrinés — tout semble réjouir les reporters et les commentateurs officiels à Moscou, dont le travail consiste à ériger le modèle sociétal chinois en exemple pour la Russie.

Cette collaboration a été officialisée il y a quelques années déjà. En 2017, la Russie et la Chine officialisaient leur partenariat médiatique en lançant une application d’info, « Russie – Chine : l’essentiel ». L’année suivante, Rossiya Segodnia et China Media Group, deux organismes officiels de communication à l’international, signaient un accord de « collaboration stratégique », en présence des chefs d’État Xi Jinping et Vladimir Poutine. Le Kremlin s’est donc engagé directement dans la guerre d’information menée par la Chine contre l’Occident. Dans le cadre de cet accord entre deux machines de propagande, China Media Group publie régulièrement ses contenus dans divers médias russes.

La propagande russe ne ménage pas ses efforts pour « démentir » les révélations occidentales sur le calvaire des Ouïghours au Xinjiang. Le quotidien officiel Rossiïskaïa Gazeta reproduit sans la moindre gêne des œuvres de la propagande chinoise. Début mai, le journal titrait « Le masque de l’hypocrisie a été arraché aux calomniateurs occidentaux ». Le papier consacré aux travailleurs du Xinjiang se terminait ainsi : « Les rêves ne peuvent se réaliser que par un travail honnête ! À l’occasion de la fête internationale du travail, le peuple du Xinjiang et tous les travailleurs méritent le respect du monde entier. Les clameurs de certaines forces antichinoises des États-Unis et de l’Occident n’arrêteront en aucun cas le développement et la prospérité du Xinjiang. »

La télévision russe recourt à une langue de bois similaire, même si les reportages télévisés modèrent quelque peu la novlangue de la presse écrite. On y voit des Ouïghours heureux qui travaillent, dansent et prient, même si avant toute prière il faut hisser le drapeau national chinois devant la mosquée et chanter l’hymne national. On y voit un imam enthousiaste (qui apparaît d’un reportage à l’autre) étudiant les œuvres de Mao parallèlement au Coran. On y découvre même un « centre de rééducation » pour jeunes Ouïghours envoyés là par les autorités, « les uns pour avoir regardé des vidéos extrémistes sur Internet, les autres pour les avoir publiées ». Malgré les barreaux, les jeunes y sont contents : leurs dortoirs sont propres et les cours qui leur « changent les idées » sont tellement intéressants !

Voici quelques images parlantes tirées de ces reportages (Rossiïa 1, captures d’écran) :

Reportage de Rossiïa 1, capture d’écran. Éloge du communisme chinois. Les habitants du Xinjiang dansent

Reportage de Rossiïa 1, capture d’écran. Éloge du communisme chinois. L’imam qui s’instruit en lisant Mao

Reportage de Rossiïa 1, capture d’écran. Éloge du communisme chinois. Un centre de rééducation ressemblant à une école ordinaire

Reportage de Rossiïa 1, capture d’écran. Éloge du communisme chinois. Et les dortoirs si sympathiques

On sait que le partenariat économique avec la Chine est peu avantageux pour la Russie. Il s’avère que la collaboration médiatique l’est encore moins. Les Russes sont soumis à la censure et obligés de respecter les sensibilités chinoises : impossible, par exemple, de vanter l’occupation de la Crimée dans les grands médias d’État, comme le note un expert interrogé par le média indépendant russe Meduza. Selon Meduza, l’année dernière les autorités chinoises ont même bloqué l’accès au fameux article sur la Seconde Guerre mondiale signé par Vladimir Poutine et publié notamment sur le site chinois de Sputnik. On ne sait pas ce qui a provoqué cette réaction : peut-être le rôle que conférait Poutine à la Chine n’était-il pas suffisamment important aux yeux du régime de Pékin. Toujours est-il que, dans cette collaboration idéologique, la Russie fait office de petit frère prenant le grand pour modèle. Certains analystes, comme Hubert Védrine, ont prétendu qu’en menant une « croisade antirusse », « nous poussons à coups de sanctions Moscou dans les bras de Pékin ». Mauvaise nouvelle pour eux : l’entente cordiale entre les deux régimes est depuis des années un fait accompli.

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