Sauver Roman ! Les dirigeants européens et américains seront-ils à la hauteur de l’histoire ?

Roman Protassevitch a été kidnappé par les services de sécurité du Bélarus dans le cadre d’un acte de piraterie aérienne qu’on doit assimiler à une action terroriste. Peu de temps après son arrestation, la télévision officielle du dictateur diffusait une première vidéo de Roman épuisé et qui avait été visiblement torturé, comme d’ailleurs la quasi-totalité des prisonniers des geôles du régime.

La semaine dernière, la télévision bélarusse diffusait un long entretien conduit par un prétendu journaliste où Roman notamment « avouait » ses crimes, faisait l’éloge des « c… d’acier » de Loukachenko et dénonçait la mainmise de l’étranger sur l’opposition en exil. Il avait été visiblement sévèrement torturé et en portait les stigmates. Le KGB bélarusse avait aussi exercé sur lui des pressions psychologiques insupportables dont on devine la teneur.

Cette vidéo insoutenable à regarder par toute personne normale rappelle les procès staliniens et les diffusions d’images d’otages par des groupes terroristes. Selon des informations de médias russes, il devrait prochainement être « interrogé » par des personnes de la soi-disant « République de Lougansk », territoire séparatiste du Donbass, de fait sous contrôle de Moscou. Le régime russe et les entités séparatistes ont d’ailleurs diffusé des campagnes odieuses contre Roman Protassevitch, l’accusant d’avoir été à la solde de groupes nazis ukrainiens, propagande reprise par certains de ses relais en Occident.

Nous pouvons craindre pour la vie de Roman.

Comme si cela n’était pas assez, la patronne de Russia Today, Margarita Simonian, avait légitimé son kidnapping et soutenu toutes les persécutions à son encontre en des termes d’une violence extrême qui n’épargnaient pas d’ailleurs les opposants russes à son maître. Quant à Poutine, loin de condamner l’acte de piraterie aérienne, il a non seulement confirmé son soutien au régime criminel du Bélarus, mais laissé planer l’ambiguïté sur ce qu’il ferait si un avion transportant un opposant survolait la Russie. Il semble très probable que le régime russe a été au moins informé de ce détournement.

Soyons clairs : Poutine et Loukachenko sont complices dans le crime, et l’un et l’autre n’en ont déjà commis que trop.

Certes, nos gouvernements doivent apporter un soutien beaucoup plus conséquent à l’opposition en exil, qui doit être reconnue comme le gouvernement légitime du Bélarus, à la société civile, et notamment aux médias et aux syndicats libres. Ils doivent accueillir les personnes de ce pays et, en particulier, accueillir les étudiants bélarusses dans nos universités. Comment aussi imaginer que de grandes compagnies européennes, pour certaines proches des États, continuent d’investir dans ces pays, et d’abord en Russie, dont ils développent ainsi la possibilité d’entreprendre des actes d’agression et de terreur ? Le gazoduc Nordstream 2, qui doit être arrêté, n’est que l’exemple extrême de cette complaisance et de cette cécité.

Mais il faut aller plus loin. La question n’est donc pas seulement celle des sanctions, aussi indispensables soient-elles — celles visant les personnalités et entités du régime bélarusse tardent d’ailleurs singulièrement à se mettre en place —, mais l’action déterminante qu’Européens et Américains porteront à l’encontre de ces régimes. Alors que beaucoup invoquent l’Europe-puissance et le retour des États-Unis sur la scène internationale, là est le test décisif.

C’est notre responsabilité historique. En aurons-nous l’intelligence ? Hic Rhodus, hic salta.

Analyste des questions internationales et de sécurité, ancien chef de service au Commissariat général du Plan, enseignant à Sciences-Po Paris, auteur de trois rapports officiels au gouvernement et de 22 ouvrages, notamment Quand la France disparaît du monde (Grasset, 2008), Le Monde à l'horizon 2030. La règle et le désordre (Perrin, 2011) et, avec R. Jahanbegloo, Resisting Despair in Confrontational Times (Har-Anand, 2019).

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