Plongée dans ce que les russes lisent et écoutent dans les médias sous contrôle

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Pour les Russes ordinaires dépourvus d’accès à des sources d’information fiables et qui continuent de regarder la télévision d’État et de consulter des médias en ligne ou imprimés entièrement alignés sur la propagande officielle, il est quasiment impossible de se faire une idée de la réalité de la guerre menée par Vladimir Poutine en leur nom. Depuis des années, les Russes sont nourris d’une propagande ouvertement impérialiste et revancharde, qui concentre sa haine sur l’Ukraine. Nous vous proposons une sélection de textes relevant de cette propagande, pour mieux comprendre ce qui s’apparente à une guerre de civilisation : une force brute rétrograde déployée contre la démocratie et la liberté.

« Eh bien, fiston, est-ce que les Yankees t’ont aidé ? »

Publié le 26 février, par Guevorg Mirzaïan, politologue influent qui apparaît régulièrement dans les talk shows de la télévision russe d’État.

Les Ukrainiens espéraient sincèrement que les États-Unis les protégeraient des ripostes russes. Que l’Ukraine est une partie intégrante de l’Occident, un avant-poste du monde occidental, « protégeant la civilisation de la horde ». On leur a dit que l’Occident les considérait comme faisant partie de la famille (et qu’ils seraient acceptés dans l’OTAN et l’UE), que l’Occident ne les laisserait pas tomber, qu’il les défendrait des agressions extérieures. […] Cependant, lorsque la Fédération de Russie (fatiguée de toutes ces années de provocations, ayant essayé par tous les moyens de résoudre le problème par la négociation) a lancé une opération spéciale pour crever l’abcès ukrainien, il devint évident que les contes de fées n’ont aidé en rien.

Non seulement Washington n’a pas envoyé de troupes pour protéger le régime ukrainien, mais il n’a pas non plus levé le petit doigt pour aider d’une manière ou d’une autre les forces armées ukrainiennes à résister face à l’avancée des unités russes. Au lieu de cela, les généraux américains ont déclaré que tout le monde devait accepter la chute imminente de Kiev — après tout, à la fin du deuxième jour de l’opération, les dératiseurs russes encerclaient déjà la capitale de cette structure devenue un foyer du nazisme dans l’espace post-soviétique. […] L’Amérique leur avait promis des sanctions dures, « infernales ». Elle a assuré que si la Russie tentait d’envahir l’Ukraine, l’économie russe serait détruite et la Russie elle-même deviendrait un paria international.

Que voit-on vraiment ? Oui, des sanctions ont été imposées par les Américains, oui, elles sont lourdes — mais leur ampleur est loin d’être « infernale ». Nous parlons de sanctions personnelles contre des responsables et des hommes d’affaires russes, un certain nombre de banques russes, des sanctions concernant la dette souveraine, ainsi que l’interdiction d’exporter un certain nombre de produits de haute technologie vers la Fédération de Russie. À cela, l’Europe a ajouté des restrictions sur la délivrance de visas aux Russes, une interdiction d’exporter des avions de constructeurs européens et la suspension de la participation de la Russie au Conseil de l’Europe. Peut-être de nouvelles mesures restrictives seront-elles prises — par exemple, déconnectant la Fédération de Russie du système SWIFT. Mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Alors pourquoi les sanctions ne sont-elles pas totales et semblent même quelque peu chaotiques ? Parce que, lorsque le moment est venu de passer des paroles aux actes, les États-Unis ont réalisé que la Russie n’était pas la Corée du Nord ni même l’Iran. C’est une chose que de menacer de sanctions totales, c’en est une autre de les adopter.

L’aggravation de la confrontation avec la Russie, l’incapacité des États-Unis à soutenir cette confrontation par de véritables mesures militaro-économiques de crainte d’en subir les conséquences commencent à conduire un certain nombre de vassaux américains ainsi que les États sous leur contrôle à tirer les conclusions qui s’imposent. C’est le cas de la Géorgie, que beaucoup en Russie considèrent comme le satellite par excellence des États-Unis. Le Premier ministre Irakli Garibachvili a publiquement refusé de suivre ses partenaires occidentaux dans l’imposition de sanctions antirusses. […] C’est pourquoi Washington a vite compris qu’il valait mieux négocier. Rappelons qu’immédiatement après le début de l’opération spéciale russe, les États-Unis et l’UE ont annulé toutes les négociations de haut niveau avec la Russie (c’est-à-dire avec Sergueï Lavrov et Vladimir Poutine) et leur ont également imposé des sanctions personnelles. Cependant, dès le 25 février, la sous-secrétaire d’État Victoria Nuland déclarait que *« si la Russie est prête à s’arrêter, si la Russie est prête à revenir à la table des négociations, les États-Unis seront naturellement prêts à rencontrer des représentants russes, à essayer de mettre en œuvre une désescalade ».

Moscou ne s’y opposera probablement pas — l’opération va s’arrêter dans les prochains jours, lorsqu’on aura nettoyé Kiev des nazis, libéré le territoire ukrainien et commencé le processus de transit politique là-bas. Après cela, la Russie sera prête à s’asseoir à la table des négociations avec les Américains et à reparler des garanties de sécurité et d’autres questions que les États-Unis ont prises à la légère en janvier et dans la première quinzaine de février.

Cette fois, Moscou ne demandera plus la mise en œuvre des accords de Minsk et la neutralité de l’Ukraine — le premier point n’est plus à l’ordre du jour, et la Russie a imposé le second par ses propres moyens. Il s’agira de savoir comment Moscou et Washington peuvent coexister dans le nouveau monde qui a surgi en raison de la réticence des États-Unis à corriger le vieux monde injuste. Il s’agit de prendre acte d’une nouvelle réalité, où l’espace de l’ex-URSS (à l’exception des États baltes) est désormais la zone de responsabilité de la Russie.

« Dénazification complète et définitive de l’Ukraine : la Russie aidera de nouveau l’Europe »

Publié le 26 février, par Elena Karaieva, journaliste de l’agence officielle RIA Novosti. Avant 2014, elle travaillait pour la chaîne Euronews à Lyon.

Notre pays, qui a assumé pour la deuxième fois — après la Grande Guerre patriotique — la lourde responsabilité de libérer l’Ukraine du nazisme sous sa forme actuelle, non moins terrible que la précédente, n’attend pas et ne va attendre ni un soutien international pour ses actions, ni l’approbation d’un public européen « libéral » et « progressiste ». De même que l’Europe, unie ou non, avait observé passivement la montée du sentiment nazi en Allemagne sans y réagir d’aucune façon, à la fin des années 1930 comme au début des années 1940, de même elle a regardé avec indifférence ce qui s’est passé depuis trois décennies en Ukraine. Le nazisme, ayant à peine camouflé la croix gammée avec du fond de teint et une poudre de grande qualité, a été le principal outil et la principale méthode de construction de l’État ukrainien. […]

Aujourd’hui encore, les responsables européens, les dirigeants des pays européens, introduisent des restrictions (dont notre pays, dans l’ensemble, se fiche complètement : nous en avons vu d’autres au long de notre histoire récente) afin d’empêcher la Russie de procéder à la dénazification.

La dénazification d’aujourd’hui, bien qu’imposée de force par la Russie à l’Ukraine, se fait dans l’intérêt de toute l’Europe, même si celle-ci n’en a pas encore conscience. Nous ne faisons que mettre les points sur les « i » dans une situation qui apparemment a échappé à tous les autres Européens éclairés, lesquels nous ont laissé la lourde tâche de la dénazification.

Et cette fois, rassurez-vous, nous allons procéder au curetage définitif de ce ventre, qui s’est avéré encore capable de « porter un reptile » après le premier curetage.

Une fois pour toutes. Dans le cadre de la dénazification complète et finale — et pas seulement de l’Ukraine, mais de toute l’Europe.

« Crever les abcès occidentaux sur le corps de la Russie »

Publié le 26 février, par Mikhaïl Demourine, ancien diplomate, devenu politologue et journaliste de conviction nationaliste et traditionaliste.

L’opération militaire que notre pays mène contre le régime fasciste qui s’est emparé de Kiev en 2014 prend de plus en plus le caractère d’une opération politique d’épuration interne. Elle crève un à un les abcès qui se sont formés sur le corps de la Russie grâce aux efforts de l’Occident dans les années 1990 et qui n’ont pas été nettoyés dans les années 2000.

J’ai la conviction que le résultat positif des actions entreprises pour dénazifier, démilitariser et démocratiser l’Ukraine, pour l’arracher de l’orbite de l’OTAN, donnera l’impulsion au nettoyage de la Russie elle-même. Après tout, nous aussi avons beaucoup de marionnettes de l’Ouest et elles sont une nuisance !

« Pas un pas en arrière — sur les trois fronts »

Publié le 1er mars, par Piotr Akopov, commentateur nationaliste en vue à Moscou.

Nous avons trois fronts sur lesquels nous ne devons pas reculer d’un pas [référence à l’ordre n° 227 que donna Staline en juillet 1942 pour interdire tout repli aux soldats soviétiques engagés dans des combats, NDLR].

Le premier front est militaire. Tout est simple ici : les objectifs de l’opération militaire seront remplis. Pas à n’importe quel prix, car de l’autre côté il y a aussi notre peuple, et pas seulement des civils (que personne ne va bombarder). Mais les autorités de Kiev n’ont pas d’autre choix que la capitulation de l’Ukraine, c’est-à-dire donner l’ordre d’arrêter la résistance. […]

Le deuxième front est interne. La Russie aura à entreprendre d’énormes changements qui n’ont que trop tardé dans l’économie, la vie sociale et surtout dans le domaine spirituel et moral. Mais maintenant, nous parlons d’autre chose : on ne saurait tolérer les coups de poignard dans le dos, on ne saurait souhaiter la défaite de sa propre armée, on ne saurait déblatérer contre les autorités et l’État, ni faire pression sur les dirigeants de notre pays. Même pas parce que l’Occident et Kiev nous y invitent, mais parce que Vladimir Poutine a assumé la responsabilité la plus lourde : non seulement pour la Russie, mais aussi pour l’Ukraine. Oui, pour l’Ukraine — car c’est de cela qu’il s’agit : nous sommes responsables de l’intégralité de notre terre et de notre histoire. Et de notre avenir commun.

Bien sûr, on peut être catégoriquement en désaccord avec cela et même crier : « Non à la guerre ! », mais il faut savoir que la majorité comprend et soutient le président. Par conséquent, on ne doit pas essayer de faire passer son désaccord avec la politique du président pour la voix du peuple : ça ne prendra pas. […]

Nos concitoyens n’ont plus le droit de rentrer dans le jeu de la propagande occidentale, même quand ils se croient animés de nobles convictions pacifistes.

Non que cela puisse saper la société de l’intérieur, provoquer des manifestations de masse (comme le voudraient nos adversaires) — non, cela ne marchera pas, quoi qu’il arrive. Ils n’obtiendront qu’une chose : la majorité se retournera contre eux, les accusera d’être des traîtres au service de la cinquième colonne, de nos ennemis […]. Nos occidentalistes et « l’élite culturelle » en ont-ils besoin ? Après tout, ils n’aimeront de toute façon pas les changements à venir en Russie, alors pourquoi aggraver leur situation, renforcer l’attitude déjà hostile de la majorité « silencieuse », mais écrasante ? […]

Le troisième front est celui de l’Ouest. Bien que l’Occident ait déjà compris qu’il ne serait pas en mesure de maintenir l’Ukraine dans sa sphère d’influence, il montre maintenant sa pleine détermination à punir la Russie. […] L’ordre mondial atlantique, ou plutôt ce qu’il en reste, s’effondrera encore plus vite. L’Occident a encore un avantage technologique (et pas seulement financier) impressionnant sur les autres, et même sa puissance militaire globale surpasse le reste du monde. Oui, il a reculé, mais il semblait à beaucoup que sa capacité à contrôler différentes régions était toujours grande. Cependant les événements actuels — la perte de l’Ukraine, que l’Occident a déclarée très imprudemment, à la légère, pratiquement sienne — montrent que ce n’est nullement le cas.

Les Anglo-Saxons quittent le Moyen-Orient. À moyen terme, ils ne pourront pas contenir la Chine dans la région du Pacifique. Ils sont évincés en Amérique latine et ne résistent pas à la concurrence en Afrique. Le rideau de fer ne descend pas devant la Russie, malgré l’ampleur des épreuves infligées à notre économie. L’isolement géopolitique menace l’Occident.

« C’est l’Ukraine qui bombarde Kharkov et Kiev »

Publié le 1er mars, par Elena Leksina et Rafael Fakhroutdinov, journalistes.

Les médias occidentaux et ukrainiens diffusent un autre fake sur la frappe présumée des forces armées russes sur le centre de Kharkov, publiant des images de destruction. Plus tôt, Moscou avait déjà réfuté un mythe semblable à propos de « l’arrivée d’un missile russe » dans un immeuble résidentiel de Kiev.

« L’Occident poursuit en Ukraine l’œuvre de Lénine »

Publié le 28 février, par Dmitri Iouriev, commentateur de la chaîne ultra-réactionnaire Tsargrad.

L’Ukraine n’a plus rien à proposer, si ce n’est qu’elle n’est pas la Russie. Elle est l’héritière en droite ligne de la cause de Lénine et de sa lutte sans merci contre la « fierté nationale des Grands-Russes », et sa seule tâche est de briser le projet russe, sans rien négliger, de réfuter Spengler une fois pour toutes, Spengler qui prédisait qu’au début du IIIe millénaire, le crépuscule de l’Occident serait suivi d’une aube russe.

L’Occident — son esprit moderne, son idéologie, sa pratique, sa psychologie de masse — est ce qui incarne et prolonge aujourd’hui l’œuvre de Lénine : totalitarisme idéologique, asservissement intellectuel, racisme social, contre-réalisme agressif (haine de tout ce qui est réel — que ce soit la foi, que ce soit l’amour, que ce soit la nature biologique, que ce soit l’identité culturelle). L’Occident est une énorme Anti-Russie qui a transformé l’État ukrainien perfide en son avatar maléfique.

« L’objectif de l’ennemi est de vaincre, soumettre et démembrer la Russie »

Publié le 1er mars, par Alexandre Saveliev, orientaliste, et Lev Verchiline, blogueur.

La Fédération de Russie n’a qu’une chance de survivre : ne pas battre en retraite, en faisant monter les enchères non pas en paroles, mais en actes si nécessaire.

La Russie a-t-elle besoin de Kiev et d’autres grandes villes d’Ukraine, où la russophobie est cultivée depuis des décennies ? Est-il possible de restaurer un pays ami de la Russie en un temps historiquement court ? Les dirigeants russes ne doivent pas se leurrer à ce sujet — des repaires de banderovtsy [partisans de Stepan Bandera (1909-1959), dirigeant de l’Organisation des nationalistes ukrainiens, NDLR] existent aujourd’hui non seulement dans les sous-sols des Ukrainiens de l’Ouest, mais aussi dans l’esprit de la jeune génération. Les enfants qui manifestaient sur le Maïdan en 2004 sont eux-mêmes depuis longtemps pères et mères et élèvent leurs enfants conformément à leurs propres idées, largement racistes. La Russie a trop tardé, elle a complètement perdu son « soft power », de sorte que les problèmes de sécurité ne peuvent maintenant plus être résolus facilement et sans effusion de sang.

« Les traîtres ne seront ni oubliés ni pardonnés »

Publiée le 1er mars, par le journal en ligne Vzgliad.

Le projet patriotique « Comité pour la défense des intérêts nationaux » [une ONG créée en 2020 pour rassembler des informations sur les prétendus « agents de l’étranger », NDLR] vient de publier une liste de « traîtres à la Patrie ». La liste comprend des personnes qui, de l’avis de l’organisation, s’opposent à « la prospérité et à la sécurité » de la Russie.

« Nous, les forces patriotiques de Russie, croyons qu’aujourd’hui, plus que jamais, il est important pour nous d’être unis devant les défis et les menaces auxquels nous sommes tous confrontés. Néanmoins, nous remarquons l’activité de certains individus qui s’opposent à la prospérité et à la sécurité de notre Patrie. Dans leur rhétorique, ces traîtres vont jusqu’à exprimer ouvertement leur soutien aux sanctions antirusses et à la pression politique sur notre Patrie, ainsi que leur volonté de lutter contre elle dans l’intérêt d’autres pays », peut-on lire dans la description sur le site internet de cette organisation. Sont inscrits sur cette liste les noms de traîtres qui « ne seront jamais oubliés ni pardonnés », et l’organisation indique que tout sera fait pour qu’« ils répondent de leurs actes ». La liste comprend Gueorgui Albourov, un membre de l’organisation extrémiste interdite FBK [Fondation de lutte contre la corruption d’Alexeï Navalny, NDLR], l’écrivain Dmitri Gloukhovski, l’écrivain Dmitri Bykov, le journaliste Iouri Doud, le consultant politique Maxime Katz, les militants de l’opposition Guennadi et Dmitri Goudkov, le leader du mouvement « Pour les droits de l’homme » Lev Ponomarev et d’autres.

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