La mort d’une grande cinéaste qui nous laisse un « goût amer » dans la bouche.
La documentariste Marina Goldovskaïa est décédée en Lettonie à l’âge de 80 ans. Elle avait fait ses études au célèbre Institut d’État russe pour la cinématographie (VGIK). Dans sa jeunesse, elle fut assistante opératrice pour Andreï Tarkovski. Elle fut la première femme en Russie (et peut-être au monde) à devenir à la fois réalisatrice, scénariste, directrice de la photographie et productrice. Elle a réalisé près d’une centaine de documentaires, dont beaucoup sont des portraits intimes de ses sujets. Son travail a été salué par la communauté internationale et a remporté pratiquement tous les prix décernés aux documentaires. Au milieu des années 1990, elle s’est installée en Californie et a enseigné à l’UCLA School of Film and Television de Los Angeles. Son autobiographie, A Woman With a Movie Camera, a été traduite en anglais par Antonina W. Bouis et publiée par University of Texas Press.
En 2011, elle a réalisé Le Goût amer de la liberté, sur la journaliste Anna Politkovskaïa. C’est un hommage émouvant à sa grande amie, l’intrépide journaliste d’investigation qui a été assassinée dans sa cage d’escalier par des tueurs à gages en 2006, vraisemblablement pour avoir critiqué ouvertement la guerre en Tchétchénie, la fascisation de la société russe et Poutine en personne. Les commanditaires de ce meurtre odieux n’ont jamais été retrouvés. Ce film mêle des extraits d’archives et des photos prises sur le terrain à des séquences de journal intime que la cinéaste a tournées au domicile d’Anna pendant leurs nombreuses années de conversations à cœur ouvert, à partir de 1990 et jusqu’à la mort de la journaliste. La personnalité charismatique d’Anna, à travers toute sa vie adulte, est admirablement filmée. Malgré les menaces quasi constantes qui pesaient sur sa vie, Anna y apparaît comme une mère attentive et dévouée, une femme rieuse, coquette, et surtout, une femme qui a un grand cœur. En filigrane, ce film montre la triste évolution de la société russe.
Comme disait Goldovskaïa, pendant le quart de siècle qu’elle a vécu sous le régime soviétique, comme pendant toute la période post-soviétique, elle n’a jamais fait de film qu’elle ne voulait pas faire. Le cinéaste Vitali Manski a écrit sur sa page Facebook : « Elle était pleine de vie et incroyablement talentueuse. C’était une femme documentariste, caméra à la main, à une époque où elle était l’exception à toutes les règles. Elle instaurait ses propres règles, et elle gagnait toujours la partie. » Marina aurait certainement voulu filmer le drame absolu qui s’est abattu sur l’Ukraine, mais elle n’est plus, nous laissant, à nous Européens, un « goût amer » dans la bouche. Et une profonde reconnaissance pour son héritage artistique. RIP.
Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.