Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février, la presse écrite et audiovisuelle a pu considérer que les « agents de Moscou », selon la définition de la maire de Paris, avaient infléchi voire corrigé leur soutien inconditionnel à Poutine. Il faut reconnaître aux candidats Hidalgo et Jadot d’avoir été parmi les rares à insister sur la compromission des candidats des extrêmes avec le régime poutinien (et celui de Maduro ou le cubain voire le syrien pour Mélenchon).
À la lecture de leurs prises de position respectives, les Mélenchon – Le Pen – Zemmour ont parfois nuancé celles-ci mais ne les ont d’aucune façon changées sur le fond, estimant que la guerre russe constitue une réponse à « l’agression » de l’OTAN contre la Russie.
Tous — dont Dupont-Aignan1 et le candidat officiel du Parti communiste — ont continué à prôner la sortie de la France de l’OTAN, un cadeau inespéré pour Poutine, qui n’a jamais cherché qu’à diviser, pour l’affaiblir, le monde occidental. Tous, cela fait quand même huit candidats sur douze, à savoir, dans l’ordre des voix, Le Pen, Mélenchon, Zemmour, Lassalle, Roussel, Dupont-Aignan, Poutou, Arthaud.
Ajoutons qu’un certain nombre d’éditorialistes demeurent sur la même lancée, on songe à Natacha Polony dans Marianne, dont les éditoriaux et l’orientation de l’hebdomadaire, comme ceux de Valeurs actuelles, sont toujours hostiles à l’OTAN. Les Carrère d’Encausse, Renaud Girard, Ivan Rioufol et même un Luc Ferry sont tellement frappés d’américanophobie que, tout compte fait, la guerre en Ukraine est peut-être explicable voire excusable.
Et faut-il évoquer la sottise d’une Ségolène Royal — son tweet remonte au 21 janvier, il est vrai — pour laquelle « il faudrait un nouveau général de Gaulle qui se faisait respecter de nos amis américains en leur disant de retirer leurs troupes. La Russie n’a-t-elle pas droit au respect des accords sur la sécurité à ses frontières ? Les sanctions économiques pénalisent bien plus l’Europe ». De cette admiratrice de Cuba, ralliée à Mélenchon, doit-on s’en étonner ?
S’agissant d’un autre ex-présidentiable, François Fillon, on notera que celui-ci déplorait le refus des Occidentaux d’entendre les revendications russes à propos de l’OTAN, ne condamnant qu’à moitié l’intervention engagée le 24 février2.
La bienveillance de Marine Le Pen
Le 11 février, la candidate du Rassemblement national insiste sur, selon elle, « l’organisation belliciste qu’est l’OTAN […], qui vise à l’encerclement de la Russie3 ». Une fois de plus, elle épouse la paranoïa russe, faisant passer le coupable pour la victime.
Il faut se rappeler que, peu auparavant, dans le cadre d’une réunion des partis d’extrême droite européens organisée à Madrid, Mme Le Pen avait été la seule à refuser de condamner la Russie. Qui plus est, les eurodéputés de son parti s’étaient opposés à apporter une aide d’urgence à l’Ukraine, votée par le Parlement européen.
Une fois les sanctions adoptées, elle les qualifie d’« injustes4 » et s’emploie à se démarquer du président américain pour qui Poutine est un criminel de guerre, dont elle réprouve l’appellation : « Certains se font plaisir en multipliant les propos les plus injurieux et les plus agressifs, mais ça, ça fait durer la guerre5. » Elle s’empresse d’ajouter, sur France Info, qu’elle ne porte aucune admiration particulière à l’héroïque président ukrainien. Mais au fond, ne partagerait-elle pas l’opinion d’un autre poutinolâtre, ex-candidat à la présidentielle de 2017, l’extrémiste Asselineau, qui a qualifié le président Zelensky d’« escroc, en cheville avec la pègre6 » ? Concernant les crimes de guerre commis par l’armée russe, Mme Le Pen s’emploie, là aussi, à les mettre en doute : il faut « déterminer qui sont les responsables, deux belligérants qui s’accusent mutuellement7 ». Voilà qui rejoint presque la thèse de Poutine, à savoir que ces massacres sont une mise en scène des Ukrainiens !
Et quand on l’interroge sur la position à adopter envers la Russie après la guerre, elle estime qu’elle doit rester notre alliée8 ; en somme, il faut pratiquer sans délai le pardon, l’oubli et rendre à la Russie sa respectabilité et sa place à l’international.
Raphaël Enthoven n’est-il pas inspiré d’affirmer, dans son éditorial de Franc-Tireur du 30 mars, que « Marine Le Pen se présente comme “gaulliste”, tout en reprenant à la lettre l’argumentaire munichois qui consiste à donner à Poutine ce qu’il réclame » ?
Mélenchon, « féal d’un ordre russe9 »
Le candidat kremlinophile, arrivé en troisième position le 10 avril, n’aura modifié qu’à la marge sa fascination pour Poutine, considérant, quinze jours avant l’agression russe, que le principal responsable, c’est « l’OTAN, sans aucun doute. Les États-Unis ont décidé d’annexer l’Ukraine dans l’OTAN et la Russie se sent humiliée, menacée, agressée10 ». Ce fin stratège n’annonçait-il pas, le 30 janvier, que « la menace russe n’existe pas11 » ?
Si, comme on l’a relevé plus haut, les députés d’extrême droite ont voté à Bruxelles contre une aide financière à l’Ukraine, ceux de la France Insoumise s’abstiennent.
Bien entendu, Mélenchon est hostile aux sanctions et plus encore à la livraison d’armes à l’Ukraine en ce que « cette décision ferait de nous des cobelligérants12 », proclamant plus tard que, si elle est finalement décidée, « cela n’a de sens que si une possibilité de victoire ukrainienne existe13 ». À suivre ce subtil raisonnement, il ne faut armer que si le pays parvient à vaincre la Russie, mais pour gagner ne convient-il pas précisément de commencer par lui livrer des armes ?
Comme toujours, la culpabilité n’est pas tant du côté de la Russie que de l’Occident, Mélenchon osant affirmer au Progrès du 31 mars que « la menace devra être abaissée des deux côtés », c’est-à-dire, précise-t-il, qu’il faut démanteler les batteries antimissiles installées en Pologne. Lors de son déplacement à La Réunion, au lendemain du 24 février, il qualifie encore et toujours l’OTAN de principal agresseur, ayant humilié la Russie14.
Anne Hidalgo est inspirée de dénoncer en Mélenchon « l’allié et le soutien de Poutine. C’est lui qui a dit que Poutine était un héros pour la Syrie, aux côtés de Bachar el-Assad12 ».
Et Yannick Jadot de déplorer qu’il reprenne à son compte « les arguments de la propagande russe selon lesquels, au fond, Poutine aurait été poussé par l’OTAN à agresser militairement l’Ukraine15 ».
Zemmour et le « patriote Poutine »
Le candidat arrivé en quatrième position à la présidentielle définit sur France Inter, au début de février, le président russe en ces termes : « Poutine défend ses intérêts. C’est un patriote. Il est légitime qu’il défende les intérêts de la Russie. […] Les Américains ont beaucoup fait pour provoquer Poutine16. »
Toujours aussi inspiré, il se prononce pour une « finlandisation » de l’Ukraine, au moment même où la Finlande — qui a subi des décennies durant ce droit de regard soviétique — envisage un rapprochement voire une adhésion à l’OTAN.
Pour Zemmour, la responsabilité incombe, au lendemain de l’agression, aux seuls Occidentaux : « Nous sommes tous responsables : France, Europe, OTAN », lance-t-il au Progrès le 26 février, admettant que « le coupable, c’est Poutine, les responsables, c’est l’OTAN17 », se faisant une fois de plus le porte-parole du Kremlin aux fins d’« exiger de l’OTAN que l’Ukraine n’entre jamais dans l’OTAN18 ».
Il va plus loin encore en s’opposant à l’accueil de réfugiés ukrainiens, position qui entamera son image de marque. Et, s’agissant des crimes de guerre russes, il rejoint la candidate Le Pen quand il affirme qu’il « faut être prudent. Il faut être sûr que ces massacres sont le fait des troupes russes7 ».
S’enfonçant davantage, il déclare que « le problème avec Poutine, c’est que Macron n’est pas entendu car il n’est pas considéré comme quelqu’un d’indépendant mais comme le petit télégraphiste des Américains19Le Progrès, 19 mars 2022. ».
Faut-il s’étonner de ces outrances quand l’on sait que son inspiratrice pour la Russie n’est autre que Caroline Galactéros, inconditionnelle de Moscou, qui s’en prenait à « l’ingérence » de l’Occident dans l’un des procès d’Alexeï Navalny20 ? Sans parler de Marion Maréchal-Le Pen, elle aussi complètement pénétrée par la propagande du Kremlin.
Peut-être convient-il enfin de rappeler que Zemmour avait été invité à rencontrer le ministre russe des Affaires étrangères, l’inquiétant Lavrov, à l’ambassade de Russie à Paris, en novembre 2019. Son livre Le Suicide français trônait sur la table de chevet de l’ex-ambassadeur russe à Paris, Alexandre Orlov21, dont on sait que les souvenirs ont été rédigés par Renaud Girard, le poutinophile plumitif du Figaro.
La conclusion appartient à Anne Hidalgo au sujet de ces trois inconditionnels de Poutine : « La réalité, c’est qu’ils ont été des agents ayant servi les intérêts de Poutine plutôt que ceux de la France22. » Ainsi qu’au champion Garry Kasparov : « Je suis très critique par rapport à la classe politique française, qui a permis à la propagande russe de polluer les esprits. Fillon était rémunéré par les Russes […] et 40 % de l’électorat vote pour Le Pen, Zemmour, Mélenchon, des amis de Moscou23. » Hélas, les chiffres donnés par Kasparov sont en dessous de la réalité : le résultat des urnes le 10 avril a donné 52 % aux trois extrêmes, plus Arthaud, Poutou… Soit plus de 55 % des suffrages exprimés !
Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.
Notes
- Fin mars, il accuse l’Ukraine de vouloir « entraîner la France dans la guerre » (Le Monde, 25 mars 2022).
- Le Figaro, 25 février 2022 ; Le Monde, 26 février 2022.
- Le Monde, 5 avril 2022.
- Ibid., 12 mars 2022.
- Le Figaro, 21 mars 2022.
- Le Monde, 17 mars 2022.
- Ibid., 7 avril 2022.
- Ibid., 3 avril 2022.
- Raphaël Enthoven, Franc-Tireur, 23 mars 2022.
- Le Figaro, 25 février 2022.
- Franc-Tireur, 9 mars 2022.
- Le Figaro, 2 mars 2022
- Le Journal du dimanche, 18 mars 2022.
- Libération, 28 février 2022.
- Le Monde, 3 mars 2022.
- Ibid., 9 février 2022.
- Le Figaro, 1er mars 2022.
- Le Monde, 26 février 2022.
- Le Canard enchaîné, 16 février 2022.
- Le Monde, 6 mars 2022.
- Le Journal du dimanche, 6 mars 2022.
- Paris-Match, 3 mars 2022.