Navalny, journal de prison (suite)

Le sort d’Alexeï Navalny reste, peu ou prou, inchangé, à un détail près, qu’il révèle dans ses dernières publications : de nouvelles charges auraient encore été retenues contre lui. Il risquerait une peine supplémentaire, qui viendrait, invariablement, s’additionner aux précédentes. Mais l’opposant russe n° 1 s’en amuse en échafaudant une théorie impertinente.

31 mai

Je ne sais pas. Peut-être bien que Poutine ne me déteste pas, peut-être qu’il m’adore en secret. C’est pour ça qu’il veut que je sois, tout comme lui, caché dans un bunker souterrain, sous la garde de gens de confiance.

Comment expliquer autrement que, même pas huit jours après que ma condamnation [en appel, NDT] à neuf ans de régime sévère est entrée en vigueur, le juge d’instruction soit déjà revenu au galop aujourd’hui pour m’inculper dans une nouvelle affaire ?

Il s’avère que j’ai fondé un groupe extrémiste pour inciter à la haine à l’encontre des fonctionnaires et des oligarques. Et quand on m’a emprisonné, j’ai osé être mécontent (oui, c’était bien moi) et j’ai appelé à des rassemblements.

Ça, ça me vaudra jusqu’à quinze ans de plus.

Vous voyez, encore quinze ans de bunker solide et sûr, à l’abri des aléas et des revers de fortune de votre « liberté », là où c’est un tel bordel que dans les rues circulent des gens ordinaires, et pas des agents du FSO [service fédéral de protection, NDT] et du FSIN [service fédéral d’application des peines, NDT].

Mes parents sont venus me rendre visite ; ils vivent dans une ville militaire. Pour plaisanter, nous nous sommes dit que, lorsque Poutine finira par déclencher une guerre nucléaire, ils recevront l’un des premiers missiles. Tandis que moi je suis peinard, qui ira bombarder une colonie dans un marécage ?

Alors quand le béton fondra chez vous, je regarderai de mon baraquement le coucher de soleil, qui sera particulièrement beau. Merci à Poutine 😉

4 juin

Aujourd’hui, j’ai 46 ans.

Et je vais parfaitement bien.

Je veux dire, certaines choses pourraient être améliorées, soit. Mais c’est pareil pour tout le monde.

Le principal, c’est que je suis très content.

J’ai une famille que j’aime.

J’ai des collègues super qui poursuivent notre travail commun (extrémiste, ha ! ha !).

Et vous, des millions de gens honnêtes, qui œuvrez pour la liberté de notre pays et souhaitez à notre peuple le bonheur et la paix. Je fais partie de ceux qui reçoivent votre soutien et le sentent à chaque instant.

J’ai enfin un immense privilège, rare dans la Russie d’aujourd’hui : je dis ce que je crois juste et je fais ce que je pense nécessaire. Les escrocs malfaisants du Kremlin n’ont aucun pouvoir sur moi, même s’ils m’ont enfermé dans un trou.

Ce serait peu, vraiment ? À mon avis, cette liste en impose !

Je ne suis donc pas du tout découragé et je vais manger une boîte de petits pois de fête le cœur léger.

Merci à toutes les bonnes personnes que j’ai croisées sur cette route.

Je vous aime tous ❤️

Traduit du russe par Ève Sorin

© Desk Russie

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