Le livre noir de Vladimir Poutine : l’introduction

Par Galia Ackerman et Stéphane Courtois

Desk Russie propose à ses lecteurs un large extrait de l’introduction du Livre noir de Vladimir Poutine, qui vient de paraître aux éditions Robert Laffont et Perrin. Galia Ackerman et Stéphane Courtois, les deux directeurs de l’ouvrage, y expliquent leur démarche et précisent en quoi consiste la nouveauté de cette publication, qui réunit les meilleurs spécialistes français et étrangers de la Russie contemporaine.

Pourquoi Vladimir Poutine occupe-t-il depuis une bonne dizaine d’années le devant de la scène internationale ? Certainement parce que son régime emploie des tactiques perverses contre lesquelles les démocraties sont parfois impuissantes. Rien qu’en vingt-deux ans, sous la direction de Poutine, la Russie dite « post-communiste » s’est transformée en une puissance de nuisance, et le principal produit qu’elle exporte est tout simplement la peur. C’est en nous menaçant de frappes nucléaires que la Russie essaie d’empêcher l’aide plus massive de l’Occident à l’Ukraine et de gagner sa guerre impérialiste. C’est en nous menaçant de pénuries alimentaires et énergétiques qu’elle essaie de nous faire plier afin que nous levions les sanctions qui font plonger son économie. C’est en déployant des réseaux de propagande et de désinformation dans le monde entier, et chez nous en particulier, qu’elle essaie de saper de l’intérieur l’unité occidentale, voire d’y semer la guerre civile. Cette politique de nuisance a été élaborée au sein du KGB, l’alma mater de Vladimir Poutine, sa véritable université, le lieu de sa vraie formation théorique et pratique. Les Russes disent qu’il n’y a pas d’anciens tchékistes et, en les paraphrasant à propos de Poutine, on peut affirmer : « Tchékiste un jour, tchékiste toujours. » Il est peut-être temps de se poser une question toute simple : comment se fait-il qu’une personne qui a opportunément démissionné du KGB le 20 août 1991 — au moment du putsch raté contre Mikhaïl Gorbatchev, alors que son chef, le maire de Saint-Pétersbourg Anatoli Sobtchak, s’était prononcé contre les putschistes — fût nommée, quelques années plus tard, en 1998, directeur de la nouvelle appellation du KGB, le FSB ? Il est inconcevable que quelqu’un qui avait « abandonné » le KGB dans un moment critique, et qui n’était qu’un lieutenant-colonel, non un général, eût pu accéder au poste suprême de cette organisation sans appartenir en réalité à la « réserve active », à savoir d’ex-membres du KGB devenus des collaborateurs du FSB chargés de noyauter l’appareil d’État issu de l’implosion de l’URSS en 1991. C’est ainsi qu’il faut comprendre sa fameuse « plaisanterie » lors d’une réunion de membres du FSB à l’occasion de la Journée du tchékiste de décembre 1999 : « Je tiens à signaler que le groupe d’officiers du FSB envoyé en mission d’infiltration au sein du gouvernement en a bien réussi la première étape. » Déjà, Poutine était le chef du gouvernement, et la prochaine étape, c’était la présidence, dont il s’empara en 2000 et qu’il conserve depuis vingt-deux ans — avec le bref interlude du vrai-faux président Dmitri Medvedev. La trajectoire de Poutine que nous explorons ici est celle d’un agent secret devenu tsar tout en conservant une fidélité indéfectible à ses racines d’Homo sovieticus et à sa vision du monde formée au sein du KGB, mais aussi une fidélité personnelle à ses vrais mentors demeurés anonymes. Comme aimait répéter le dissident Vladimir Boukovski, « Poutine est un colonel, mais au-dessus de lui il y a des généraux ».

Dans cet ouvrage qui rassemble les meilleurs spécialistes français et étrangers de la Russie — dont plusieurs sont originaires de l’ex-URSS — et du communisme, nous essayons de retracer le chemin de Poutine et de donner une vision de sa gouvernance en avançant la thèse que ses méthodes et sa tactique sont inspirées des valeurs du KGB, ce qui nous donne une approche unique. Nous avons évoqué plus haut la Russie dite « post-communiste ». Or nous contestons cette thèse du post-communisme, car nous observons amèrement que le communisme est certes une idéologie, mais qu’elle reste très souple, ce qui a notamment permis à Staline de tisser des liens d’amitié avec le régime nazi. Comme l’avait démontré Lénine, le communisme pratique fut surtout une technique de prise du pouvoir par un groupe de révolutionnaires professionnels. Il le légitima par une idéologie « de classe » — peu importe qu’il s’agisse d’un pseudo-groupe social ou ethnique —, créant une inégalité de principe en faveur du Parti qui asservit la majorité de la population. Et il imagina l’ensemble des mesures visant à éterniser ce pouvoir grâce à son idéologie de façade où l’appareil de répression et de terreur, la Tchéka — « le glaive du châtiment » —, joua le rôle central et décisif, y compris dans le contrôle de l’économie. Ce modèle de régime totalitaire a présidé et préside toujours tous les régimes communistes à travers le monde. Poutine est allé plus loin. Certes, l’idée communiste a été abolie et le Parti a perdu le pouvoir, mais il a préservé le système de gouvernance communiste dont les attributs les plus importants sont la verticalité et la non-alternance du pouvoir, garanties par les services secrets, dont en premier lieu le FSB, par l’existence d’un groupe social privilégié et par le contrôle de l’économie. De sorte que l’on peut parler de « soviétisme sans l’idée communiste ». La nouveauté de son système réside dans la fusion du régime avec des groupes mafieux et, partant, avec leurs pratiques de cruauté, ainsi que dans la corruption endémique, dans les hauts échelons du pouvoir en particulier. Tel est le régime qui sème le trouble sur la terre entière et dont les visées impérialistes vont bien plus loin que l’Ukraine.

En 1997, les éditions Robert Laffont — et le regretté Charles Ronsac — avaient publié Le Livre noir du communisme, qui révéla de manière documentée, grâce à l’ouverture des archives de Moscou, l’ampleur et le caractère intrinsèque des crimes du régime fondé par Lénine et systématisé par Staline. La diffusion de ce livre dans plus de vingt-cinq pays semblait alors avoir contribué à la ruine du prestige moral de l’URSS. Et l’échec du putsch de Moscou en 1991, suivi de la démission de Mikhaïl Gorbatchev, avait symbolisé pour la plupart des observateurs une sortie du communisme et un changement d’époque. Or nous montrons ici les étapes de la « reconquête » lancée par le KGB-FSB et sa créature, Vladimir Poutine, depuis l’ascension de celui-ci au pouvoir jusqu’à sa guerre d’agression lancée contre l’Ukraine. Nous chroniquons la somme des crimes de Poutine contre son propre peuple, asservi et abêti, et contre d’autres peuples — les Ukrainiens, les Tchétchènes, les Géorgiens, les Moldaves, les Syriens, les Vénézuéliens, etc. — dont ce régime empêche un développement normal en soutenant leurs gouvernants dictatoriaux ou en leur imposant la guerre et la destruction de leur économie. C’est la nuisance comme principe politique qui a fait connaître Poutine aux habitants de notre planète. Décortiquer son parcours et son action est une tâche essentielle.

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