Pourquoi l’Ukraine doit gagner la guerre au plus vite

Selon Mark Galeotti, politologue et spĂ©cialiste des affaires de sĂ©curitĂ© en Russie, KyĂŻv mène en rĂ©alitĂ© trois guerres en une : une guerre cinĂ©tique sur le champ de bataille, une guerre politique Ă  l’intĂ©rieur de la Russie et une autre guerre pour maintenir intacte l’alliance occidentale qui soutient l’Ukraine. Dans ces trois guerres, le temps semble jouer en faveur de Moscou, mĂŞme si la brève et Ă©trange mutinerie du chef des mercenaires de Wagner rappelle Ă  quel point ce qui se passe sur le terrain peut ĂŞtre imprĂ©visible.

Les forces ukrainiennes sont engagĂ©es sur un large front, elles obtiennent des gains territoriaux limitĂ©s. Il s’agit toutefois de la manière la moins adĂ©quate de mesurer le succès. Les guerres se gagnent en brisant la volontĂ© ou la capacitĂ© de l’autre partie Ă  poursuivre le combat, et les Ukrainiens essaient clairement de faire deux choses : ils tentent d’identifier les points faibles de la ligne de dĂ©fense russe et d’amener Moscou Ă  dĂ©ployer ses rĂ©serves, afin de rĂ©duire sa marge de manĹ“uvre opĂ©rationnelle pour la suite. Dans ce but, l’Ukraine a commencĂ© Ă  dĂ©ployer certaines de ses meilleures unitĂ©s. Ces dernières semaines, des images de vĂ©hicules blindĂ©s de combat d’infanterie M2A2 Bradley fournis par les États-Unis et de chars Leopard 2 de fabrication allemande ont Ă©tĂ© diffusĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux. Ă€ l’heure actuelle, seules deux des neuf brigades Ă©quipĂ©es de ces systèmes fournis par l’OTAN ont Ă©tĂ© dĂ©ployĂ©es, et la rĂ©serve opĂ©rationnelle de KyĂŻv est prĂŞte et en attente de dĂ©ploiement.

Les Ukrainiens comptent environ 500 000 soldats, dont des rĂ©servistes. Certains d’entre eux ont suivi une formation occidentale (notamment dans le cadre du programme britannique Operation Interflex), tandis que d’autres ont une expĂ©rience du combat durement acquise. Bien que certaines unitĂ©s ukrainiennes soient Ă©quipĂ©es de chars occidentaux et d’artillerie Ă  longue portĂ©e, le nombre brut d’attaquants et de dĂ©fenseurs, de mĂŞme que la comparaison de leurs Ă©quipements, ne sont pas des indices adĂ©quats de la puissance et de la capacitĂ©.

Jusqu’à prĂ©sent, les Ukrainiens ont dĂ©montrĂ© qu’ils Ă©taient capables d’anticiper sur leurs ennemis et, tout en conservant l’initiative, ils peuvent dĂ©cider oĂą concentrer leurs attaques. Ils ont l’avantage de disposer de lignes de communication intĂ©rieures : en combattant sur leur propre territoire, ils peuvent dĂ©placer leurs forces en quelques heures ou quelques jours, alors que pour les Russes, cela peut prendre des jours, voire des semaines. Deux axes nord-sud pourraient potentiellement devenir de plus en plus cruciaux. L’un d’eux passe par le centre de transport vital de Tokmak, puis va vers la ville de Melitopol occupĂ©e, l’autre va dans la direction de Marioupol, une ville qui est devenue le symbole de la rĂ©sistance ukrainienne après avoir Ă©tĂ© assiĂ©gĂ©e pendant trois mois l’annĂ©e dernière. Si les Russes dĂ©placent des troupes en provenance d’autres segments du front pour renforcer leurs dĂ©fenses le long de ces lignes, ils risquent de subir le mĂŞme sort que l’annĂ©e dernière. En septembre, les Ukrainiens avaient lancĂ© une attaque sur Kherson au sud et, alors que les Russes dĂ©pouillaient leurs autres lignes pour les repousser, les Ukrainiens avaient attaquĂ© Ă  partir de Kharkiv au nord. Face Ă  des dĂ©fenses Ă©parses et squelettiques, ils avaient pu reprendre plus de 10 000 kilomètres carrĂ©s de territoire occupĂ©.

Pour se battre contre les Ukrainiens, les Russes disposent d’au moins 300 000 soldats, un mĂ©lange de rĂ©servistes mobilisĂ©s et mĂ©contents, de chair Ă  canon enrĂ´lĂ©e, de mercenaires et de formations rĂ©gulières aguerries. Ils sont bien retranchĂ©s : Moscou savait que la contre-offensive Ă©tait imminente et s’est prĂ©parĂ©e au mieux pour affronter la tempĂŞte. Bien qu’ils ne profitent pleinement de cet avantage que depuis peu, les Russes contrĂ´lent largement le ciel et disposent en outre d’un avantage significatif en termes de puissance d’artillerie.

La Russie a également tiré des leçons de la guerre, même si elle n’a pas la souplesse et l’esprit d’initiative des Ukrainiens. Les attaques par vagues humaines et la volonté de raser des villes entières peuvent sembler être des tactiques très médiévales, mais elles ont leur propre logique impitoyable. Les commandants russes ont utilisé des recrues issues des colonies pénitentiaires pour épuiser les défenseurs de Bakhmout et les forcer à révéler leurs positions pour pouvoir mieux les bombarder ensuite.

Soutenues par l’artillerie lourde et les bombardiers, les troupes russes retranchĂ©es peuvent ĂŞtre dĂ©terminĂ©es Ă  dĂ©fendre, mais le seront-elles ? La grande inconnue est leur moral. Nombre de ces troupes ne sont pas convaincues par le discours selon lequel elles mènent une lutte existentielle pour la survie de la mère patrie face Ă  une AmĂ©rique hĂ©gĂ©monique qui utilise l’Ukraine comme mandataire de ses objectifs impĂ©rialistes. Bien que l’existence des « troupes de blocage Â» â€” des unitĂ©s dĂ©ployĂ©es Ă  l’arrière et chargĂ©es d’abattre tous ceux qui tenteraient de fuir ou de battre en retraite â€” n’ait pas encore Ă©tĂ© prouvĂ©e, la grande crainte des commandants russes est prĂ©cisĂ©ment que certaines unitĂ©s de combat se brisent et que la panique se propage le long de la ligne de front.

Tenir cette ligne autant que possible est clairement le principal objectif de guerre des Russes. Vladimir Poutine, malgrĂ© son refus apparent de regarder la rĂ©alitĂ© en face, doit se rendre compte qu’il ne peut plus rĂŞver de voir les troupes ukrainiennes fuir devant une avancĂ©e russe triomphante. Au lieu de cela, sa seule chance de succès est politique : il s’agit de survivre Ă  la capacitĂ© de combat des Ukrainiens et Ă  la volontĂ© de l’Occident de continuer Ă  fournir une assistance militaire et financière de plusieurs milliards de dollars chaque mois. Ă€ cette fin, Poutine pense qu’il gagne en ne perdant pas, pour peu qu’il maintienne ses positions sur le sol ukrainien.

En fin de compte, toutes les guerres sont des actes politiques. Cette guerre ne sera donc pas gagnĂ©e en tuant tous les soldats russes, ni en les chassant de chaque centimètre carrĂ© du territoire ukrainien occupĂ©. MĂŞme de tels succès ne feraient que dĂ©placer la ligne de front vers les frontières internationales. Tant que Poutine est dĂ©terminĂ© Ă  se battre, il peut continuer Ă  envoyer des missiles sur les villes ukrainiennes, Ă  lancer des cyberattaques sur les infrastructures nationales critiques de l’Ukraine et Ă  regrouper ses forces pour une nouvelle attaque dans un mois, un an ou â€” s’il est encore debout â€” une dĂ©cennie. MĂŞme si l’Ukraine est admise au sein de l’OTAN, cela n’empĂŞchera pas les agressions non militaires et, en tout Ă©tat de cause, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a prĂ©venu qu’aucune invitation Ă  adhĂ©rer ne serait adressĂ©e Ă  l’Ukraine lors du prochain sommet de l’alliance Ă  Vilnius.

Dans l’idĂ©al, il faudrait pour KyĂŻv que l’offensive de cet Ă©tĂ© soit « spectaculaire Â», c’est-Ă -dire qu’elle dĂ©bouche sur une victoire Ă©vidente et impressionnante. Il y a fort Ă  parier que cette victoire serait obtenue en passant par la rĂ©gion occupĂ©e de Zaporijjia, peut-ĂŞtre via Melitopol ou Marioupol, afin de couper le fameux « pont terrestre Â» russe, c’est-Ă -dire les liaisons routières et ferroviaires reliant la CrimĂ©e Ă  la Russie continentale, et d’assiĂ©ger ainsi la pĂ©ninsule. Bien que la CrimĂ©e soit reliĂ©e Ă  la Russie par le pont de Kertch, long de 18 kilomètres, la circulation a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© coupĂ©e une fois par l’explosion d’un camion piĂ©gĂ© et le pont serait dĂ©sormais vulnĂ©rable aux roquettes et aux missiles ukrainiens. Sans ce pont, Moscou dĂ©pendrait pour approvisionner la CrimĂ©e en nourriture et en renforts de navires et d’avions qui sont des cibles vulnĂ©rables. L’idĂ©e est que cela rendrait intenable une dĂ©fense Ă  long terme de la CrimĂ©e par la Russie.

Volodymyr Zelensky au sommet des donateurs de l’Ukraine, en mai 2023 // president.gov.ua
Volodymyr Zelensky au sommet des donateurs de l’Ukraine, en mai 2023 // president.gov.ua

La CrimĂ©e est plus importante pour les Russes que le reste de l’Ukraine occupĂ©e, malgrĂ© l’annexion plutĂ´t surrĂ©aliste par Poutine, en septembre dernier, de quatre rĂ©gions : Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijjia, des rĂ©gions qui, mĂŞme au moment de leur « annexion Â» n’étaient pas totalement contrĂ´lĂ©es par la Russie. On ne sait pas si le peuple russe considèrerait la perte de la pĂ©ninsule comme une raison de prendre d’assaut le Kremlin, mais il est permis d’en douter. Pourtant, Poutine, qui a vu s’effondrer autour de lui non pas un mais deux rĂ©gimes autoritaires (l’Allemagne de l’Est et l’Union soviĂ©tique), n’est sans doute pas prĂŞt Ă  prendre ce risque.

Bien entendu, Poutine refuse actuellement toute allusion au fait qu’il serait prĂŞt Ă  nĂ©gocier l’avenir de la CrimĂ©e. En effet, après que la propagandiste en chef Margarita Simonian a suggĂ©rĂ© de manière inattendue qu’ Â« il serait formidable de faire cesser l’effusion de sang, d’en rester lĂ , de geler le front et d’organiser des rĂ©fĂ©rendums Â» dans les territoires occupĂ©s, en se demandant si la Russie avait « besoin de territoires oĂą les gens ne veulent pas vivre avec elle Â», le porte-parole prĂ©sidentiel Dmitri Peskov a Ă©tĂ© contraint d’avertir qu’il « n’y avait pour le moment pas de base pour des accords Â» avec l’Ukraine, « pas le moindre fondement pour bâtir le moindre dialogue Â».

NĂ©anmoins, tant dans certaines capitales occidentales que dans certains milieux de l’élite politique ukrainienne, on garde l’espoir que, pour citer un fonctionnaire ukrainien optimiste, « Poutine pourrait considĂ©rer qu’un retrait nĂ©gociĂ© de la CrimĂ©e serait moins dangereux pour lui que d’en ĂŞtre chassĂ© par la force sans pouvoir prĂ©tendre que c’est Ă  la suite d’un accord Â». Ă€ ce stade, il faut dire qu’il est prĂ©maturĂ© de penser en ces termes. Il n’est pas encore certain que l’Ukraine soit en mesure de percer les lignes russes et de dĂ©ployer des forces susceptibles d’exploiter une telle brèche, et encore moins de pivoter vers la CrimĂ©e, qui sera une cible militaire très difficile Ă  atteindre. Il semble que seuls des succès ukrainiens substantiels sur le champ de bataille pourraient forcer Poutine Ă  entamer des pourparlers.

En fin de compte, l’objectif le plus important de Poutine est sa survie personnelle, aussi la stratĂ©gie Ă  long terme de KyĂŻv est de forcer le dirigeant russe Ă  nĂ©gocier, après avoir crĂ©Ă© une situation dans laquelle un scĂ©nario plausible serait qu’il perde le pouvoir. Poutine a biberonnĂ© une Ă©lite composĂ©e de kleptocrates impitoyables et opportunistes, qui n’ont Ă©tĂ© « poutinistes Â» que dans la mesure et aussi longtemps que cela servait leurs propres intĂ©rĂŞts. Ainsi, le dirigeant russe risque Ă  tout moment un coup de poignard dans le dos, une conspiration de l’ombre ou un refus pur et simple de le soutenir en cas de crise.

La dĂ©cision de KyĂŻv d’envoyer des Russes appartenant Ă  sa « LĂ©gion Ă©trangère Â» dans la ville russe de Belgorod, voisine de l’Ukraine, fait partie de cette guerre politique. Le Kremlin a alors Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  un dilemme : dĂ©placer des troupes de la ligne de front pour se dĂ©fendre contre cette menace ou refuser de se laisser entraĂ®ner dans le piège, en abandonnant Belgorod Ă  son sort. Le Kremlin a choisi la deuxième option, pragmatique et impitoyable, qui a du sens sur le plan militaire, mais pas sur le plan politique. Les frappes symboliques de drones sur le Kremlin, les incendies criminels qui ont touchĂ© des bureaux de vote, l’assassinat de partisans dĂ©clarĂ©s de la guerre n’ont en soi que peu d’impact pratique. Cependant, elles remettent en question le discours du Kremlin selon lequel tout est sous contrĂ´le, et soulignent Ă  quel point il ne veut pas ou ne peut pas protĂ©ger sa propre population des consĂ©quences de la guerre qu’il a dĂ©clenchĂ©e.

Ces petits accrocs ne suffiront probablement pas à inciter le peuple russe à se soulever contre le régime, surtout tant que Poutine sera en mesure de s’assurer la loyauté de l’appareil de sécurité. Il vaut mieux les considérer comme des grains de sable jetés dans les rouages de la machine d’État. Poutine doit soit consacrer du temps et des efforts à essayer d’enlever ces gravillons, soit continuer à faire marcher la machine à broyer, même si cela commence à endommager petit à petit l’appareil d’État.

Pour le moment, Poutine semble avoir choisi cette deuxième voie : broyer. Mais en cas de crise systĂ©mique, les faiblesses de la machine deviendront Ă©videntes et Poutine pourrait ĂŞtre confrontĂ© Ă  des choix difficiles quant Ă  la poursuite de la guerre. Il a, par exemple, Ă©vitĂ© de mobiliser davantage les rĂ©servistes, malgrĂ© la pression de l’armĂ©e, prĂ©cisĂ©ment parce que cela serait impopulaire. Lorsqu’il l’a fait pour la première fois, Ă  l’automne dernier, les Russes ont Ă©tĂ© deux fois plus nombreux Ă  fuir le pays qu’à prendre les armes. Pourtant, il aura besoin d’au moins 200 000 Ă  300 000 soldats supplĂ©mentaires pour compenser les pertes, et les tentatives de recrutement de volontaires et de mercenaires sont loin d’atteindre cet objectif. KyĂŻv espère que plus l’Ukraine frappera fort et rapidement, plus elle mettra de pression sur cette machine, et plus les chances seront grandes que Poutine soit confrontĂ© Ă  un choix entre la guerre et sa propre survie.

Une autre guerre politique est en cours, ou du moins une autre lutte : maintenir et motiver l’alliance occidentale dans son soutien Ă  l’Ukraine. Sans le flux constant non seulement d’armes mais aussi de munitions et, ce qui est tout aussi important, d’aide financière pour maintenir l’économie sous perfusion, il serait beaucoup plus difficile pour KyĂŻv de poursuivre la lutte. Un fonctionnaire ukrainien m’a rĂ©cemment indiquĂ© que « s’il le fallait, les Ukrainiens se battraient avec des cocktails Molotov ou Ă  mains nues Â». C’est vrai, mais ces armes seraient moins efficaces que les chars Abrams ou les HIMARS.

MalgrĂ© les mantras rĂ©pĂ©tĂ©s selon lesquels le soutien durera « aussi longtemps qu’il le faudra Â» et le rejet de la notion de « fatigue de l’Ukraine Â», la vĂ©ritĂ© est qu’il existe de rĂ©elles divisions en Occident sur la meilleure façon de gĂ©rer la guerre, sur l’état final souhaitĂ© et sur la durĂ©e pendant laquelle le chèque en blanc accordĂ© Ă  l’Ukraine peut et doit ĂŞtre reconduit. Jusqu’à prĂ©sent, cette guerre a Ă©tĂ© relativement abordable pour les États-Unis. L’abandon du gaz russe par l’Europe a ouvert de nouveaux marchĂ©s pour le GNL amĂ©ricain, et la plupart des dĂ©penses d’armement destinĂ©es Ă  compenser les transferts vers l’Ukraine vont aux producteurs nationaux. La situation est assez diffĂ©rente en Europe, qui est aux prises avec une rĂ©cession due aux difficultĂ©s Ă©conomiques de l’Allemagne. Il y a des pays faucons comme la Pologne et les États baltes, des pays mĂ©diterranĂ©ens qui considèrent que la plus grande menace vient du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, la France d’Emmanuel Macron, qui voit apparemment dans la crise une occasion d’affirmer le leadership continental français, et la Hongrie de Viktor Orban, qui tient Ă  rester en dehors de la mĂŞlĂ©e.

Ă€ maintes reprises, des fonctionnaires de Washington m’ont dit que l’Ukraine devait apporter les preuves d’un « retour sur investissement Â». Derrière cette phrase de mauvais goĂ»t se cache la conscience que la coalition pourrait commencer Ă  ĂŞtre mise sous pression si le conflit commençait Ă  s’enliser, qu’on ait l’impression d’une impasse, d’une « guerre sans fin Â» aspirant des ressources que les gouvernements nationaux auraient souhaitĂ© dĂ©penser dans d’autres domaines, de l’aide sociale aux rĂ©ductions d’impĂ´ts.

Les partisans de la cause ukrainienne, qui se sont empressĂ©s d’évoquer la probabilitĂ© de victoires rapides et spectaculaires, n’ont pas rendu service Ă  KyĂŻv, et le gouvernement ukrainien s’efforce depuis lors de modĂ©rer les attentes. MalgrĂ© cela, cette offensive estivale vise en partie Ă  dĂ©montrer que l’Ukraine a l’élan nĂ©cessaire pour rĂ©aliser de sĂ©rieuses avancĂ©es et aider ainsi ses amis occidentaux Ă  maintenir la coalition et Ă  l’étendre. Cela permettrait de couvrir les dĂ©penses liĂ©es aux nouveaux Ă©quipements nĂ©cessaires â€” notamment les avions F-16 dont la livraison se profile Ă  l’horizon â€” et de maintenir les niveaux de soutien existants.

Dans les trois guerres décrites, plus les succès de l’Ukraine seront rapides, meilleures seront ses perspectives. Le pays est sur le point d’être entièrement mobilisé. Or, il ne peut pas compenser ses pertes humaines aussi facilement que la Russie dont la population est trois fois plus importante numériquement. Une guerre d’usure est susceptible de jouer sur les forces de la Russie plutôt que sur ses faiblesses. Si la situation ne change pas radicalement, le peuple russe s’habituera probablement aux conditions de la guerre et, malgré les attentes occidentales prématurées (et excessivement optimistes) concernant un effondrement rapide de l’économie russe sous la pression des sanctions, la Russie bénéficiera des ressources financières pour mener cette guerre au minimum pendant encore un an ou deux. De fait, comme l’Iran et la Corée du Nord l’ont démontré au cours des deux dernières décennies, les régimes autoritaires peuvent faire peser presque indéfiniment le coût des sanctions sur leur population, en ayant recours à la coercition et la propagande pour que le système tienne. Plus la guerre durera, plus les pressions sur la coalition occidentale augmenteront, et plus la tentation sera grande d’essayer de faire pression sur l’Ukraine pour qu’elle conclue une paix abjecte avec Moscou.

Traduit de l’anglais par Desk Russie et relu par Clarisse Brossard

L’original a été publié dans Tablet. Desk Russie remercie l’auteur et l’éditeur pour l’autorisation de le traduire.

galeotti bio

Mark Galeotti est un historien et analyste, spécialiste de la Russie et de la criminalité transnationale. Il est auteur de nombreux ouvrages, dont The Weaponisation of Everything: A Field Guide to the New Way of War et Putin’s Wars: From Chechnya to Ukraine, publiés en 2022.

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