Benoît Hardy, un entrepreneur français auprès de la résistance armée ukrainienne

Benoît Hardy n’est pas seulement un ardent défenseur de l’Ukraine. Marié à une Ukrainienne, il a activement participé à la révolution de Maïdan (2013-2014) et a soutenu les troupes ukrainiennes dans le Donbass. Il a vu le courage du soulèvement et l’horreur de la guerre. Depuis, revenu en France, il continue son combat : il a créé FUSA, association qui fournit bénévolement des équipements à de nombreux soldats ukrainiens. Dans un entretien accordé à Desk Russie, il livre un témoignage unique.

Propos recueillis par Pascal Avot

Comment a débuté votre aventure en Ukraine ?

Après mes études d’histoire, je me suis lancé dans le commerce du vin. C’est totalement par hasard que, lors de salons parisiens où se rassemblent vignerons et importateurs, j’ai rencontré ceux qui allaient devenir mes clients ukrainiens. J’ai donc découvert l’Ukraine en 2010, dans le cadre de mon métier. Je m’y suis très vite installé, en y nouant des liens commerciaux, d’abord à Kyïv, puis à Donetsk. À vrai dire, je connais très bien la partie orientale de l’Ukraine, que j’ai beaucoup fréquentée : Kharkiv, Dnipro, Louhansk. Et je connais Odessa. J’y ai rencontré celle qui est devenue ma femme : son père était l’un de mes clients. Être basé en Ukraine m’a permis d’étendre mon activité dans une bonne partie de l’espace post-soviétique, notamment en Géorgie et au Kazakhstan.

J’ai ensuite vécu à Moscou jusqu’en 2014. J’ai voyagé en Russie, notamment vers Tcheliabinsk ou Khabarovsk. Mais l’ambiance pesante, et surtout le conflit qui a éclaté dans le Donbass dès mai 2014, nous a amenés à quitter ce pays pour aller à Donetsk, afin d’y assister nos proches dans cette épreuve. 

Qu’est-ce qui vous a marqué en premier dans l’univers ukrainien ?

D’abord, le caractère très « paysan » des gens — cela n’a rien de péjoratif, au contraire. Je veux dire par là : l’attachement à la famille et au clan. Il y a, de plus, une immense résilience chez la plupart des gens, car les conditions de vie y sont généralement dures. L’art de la débrouille est omniprésent. J’ai vite eu la sensation que rien ne pouvait briser les Ukrainiens. Et puis, il y a l’esprit cosaque : c’est un peuple épris de liberté, parfois turbulent quand il juge que celle-ci est menacée. C’est aussi un peuple au courage exceptionnel : les Ukrainiens méprisent la plupart du temps le danger. C’est d’ailleurs à double tranchant, car cela a provoqué des pertes militaires stupides. 

Pourquoi vous êtes-vous impliqué dans le conflit russo-ukrainien ?

Je suis dégoûté de la fuite peu glorieuse d’expatriés à chaque crise. Dans mon cas, la reconnaissance du ventre a joué : c’est l’Ukraine qui a fait de moi un homme. Je lui dois tant ! J’y avais construit ma vie, je m’y étais fait nombre d’amis et de proches, et j’accorde beaucoup d’importance à la loyauté. Dès lors, pourquoi fuir et laisser derrière moi ceux que je considère comme les miens ? Ç’aurait été profondément lâche. Je savais que les choses allaient mal tourner dès le Maïdan : la Russie n’allait pas lâcher le morceau. L’Ukraine était trop importante pour elle, d’autant qu’il y avait eu le précédent de la Révolution orange en 2004-2005. Quiconque ayant vécu cette période en Ukraine comprenait que la scission entre les deux pays était actée. 

Mon implication a donc commencé en 2013, à la vue de la formidable lame de fond du Maïdan. J’assistais à l’émergence de la conscience d’un peuple qui voulait prendre son destin en main et qui en avait assez de la corruption endémique qu’avait apportée Ianoukovitch. J’ai apporté une aide financière et logistique en permettant aux leaders du Maïdan de se loger de façon permanente à Kyïv lors de l’occupation de la place Maïdan. Ici aussi, il convient de revenir au commencement : la révolution ne s’est pas effectuée du jour au lendemain, et elle ne fut pas aussi « pacifique » qu’on aime parfois à le souligner. Car on ne parle pas ici d’occuper un rond-point tous les samedis et d’y griller des saucisses ! On parle d’occuper la place centrale de la capitale pour en finir avec un pouvoir corrompu. Et ce régime, il entendait bien se défendre pour survivre. Il y avait donc les « Berkout », sorte de CRS à la solde du pouvoir et formés par les Russes. Si les week-ends étaient plutôt calmes, car beaucoup d’étudiants et d’habitants de Kyïv venaient occuper la place en famille, c’était une toute autre histoire en semaine. Les « Berkout » voulaient reprendre la place par tous les moyens, et c’était très violent. Ils suivaient ceux qui quittaient la place et les tabassaient. Beaucoup de personnes ont disparu à cette époque. Il fallait donc tenir les barricades, et ça ne s’est pas fait à coup de bougies, croyez-moi !

Ensuite, lors de l’annexion de la Crimée, on savait que les Russes allaient pousser leur avantage car, il faut bien le dire, ce fut une opération brillamment exécutée. L’État ukrainien s’était littéralement évaporé à ce moment, et le pays ne tenait que par l’action des volontaires qui émergeaient partout. C’est d’ailleurs ce qui sauva le pays : des dizaines de milliers de volontaires qui, par leur abnégation, ont sauvé l’Ukraine de la catastrophe. À l’époque, il n’y avait pour ainsi dire pas d’armée ukrainienne, elle était fantomatique : à peine 10 000 hommes en état de combattre pour un si grand pays ! J’ai donc commencé à évacuer mes proches et ma belle-famille. Puis, mes amis et moi, nous nous sommes promis de rester quoi qu’il arrive. J’ai donc participé au financement du bataillon Donbass. Mes trois amis les plus proches, tous pères de famille et sans expérience militaire, s’y sont engagés — ils étaient natifs du Donbass. Je ne devais plus jamais les revoir : tous ont été tués à Ilovaïsk. De mon côté, je n’avais pas davantage d’expérience militaire, mais j’ai toujours eu le talent d’organiser une chaîne logistique à partir de rien. Par la force des choses, gravitant du côté de Louhansk, et une rencontre en amenant une autre, j’ai donc été versé à la logistique du tout nouveau bataillon Aidar, à l’époque où il opérait dans l’oblast, avant qu’il ne soit par la suite absorbé par la 92e brigade. Ma mission consistait à équiper et approvisionner avec les moyens du bord ce bataillon qui était envoyé en première ligne sur les points les plus chauds de l’oblast.

Quels sont vos souvenirs les plus marquants de cette guerre ?

À cause d’un stress permanent, très sévère, J’ai mis huit ans à faire le tri dans mes souvenirs de cette période. C’était un conflit extrêmement mouvant, il n’y avait pas encore de ligne fixe et bien déterminée comme ce fut le cas après les accords de Minsk. Le danger pouvait venir de partout. Notre base arrière était à Izioum et les convois dont j’avais la charge pouvaient être composés de quelques véhicules improvisés comme de dizaines de camionnettes. 

Nos moyens de communication à l’époque étaient rudimentaires. Les Russes écoutaient tout et brouillaient tout : ils nous lisaient comme un livre ouvert et pouvaient aisément choisir où et quand nous frapper. Mes opérateurs se sont rendu peu à peu compte que s’ils parlaient ukrainien, les Russes n’y comprenaient rien. Durant la campagne d’été 2014, de mai à octobre, soit six mois, nous n’avons croisé aucun « séparatiste » ukrainien. Tous les opérateurs étaient originaires de l’Est de l’Ukraine et prenaient conscience de l’intérêt qu’ils avaient à pratiquer l’ukrainien et à délaisser le russe. 

Je me souviens du peu d’encadrement de l’armée régulière. À tel point que, parfois, des hélicoptères d’attaque Hind nous ont ciblés, car personne ne savait qui était qui. C’est une horrible sensation, de se dire que l’on peut périr d’un tir fratricide. La guerre, c’est avant tout une attente. Usante et interminable, pleine d’incertitude et d’ennui, en attendant le signal de départ. 

J’étais entouré de gens très divers. Il y avait quelques chefs d’entreprise de Kharkiv — je suis devenu très proche d’eux, nous organisions tout ensemble. Nombre de mes opérateurs réguliers étaient issus du milieu du hooliganisme. Il convient de mettre de côté ses idées reçues : la plupart de ces gens étaient jeunes et aventureux. Ils aimaient en découdre, mais j’ai vraiment assisté à leur transformation progressive, de bandes désorganisées à une organisation disciplinée. 

Tout cela s’est fait dans la douleur. Sur les soi-disant 15 000 russophones morts durant cette campagne, que les pro-russes aiment tant à évoquer, la moitié au moins était en réalité des nôtres. Car des raclées, on en a pris, beaucoup. Bien que nous ayons réussi à reprendre Sloviansk et Kramatorsk, les défaites de Ilovaïsk et de Debaltseve ont sonné le glas de notre campagne : notre défaite était consommée. 

J’ai vu aussi à quel point les femmes ukrainiennes avaient « tenu la baraque » en l’absence d’État ukrainien. Si le pays et les services publics ne se sont pas effondrés, c’est grandement grâce à leur abnégation et à leur force de caractère. Je n’ai jamais vu de femmes aussi solides. Elles nous requinquaient à chaque retour de rotation, et le fait de les voir tenir l’arrière faisait un bien fou aux soldats. 

Les souvenirs des combats, leur cruauté et leur violence, je ne veux pas m’y attarder. Le pire dans la guerre moderne, c’est l’artillerie qui frappe aveuglément. Les célèbres Grad sont des armes démoniaques, ces lance-roquettes multiples, mais peu précis, qui fonctionnent par saturation. Une salve couvre l’étendue de trois terrains de football. Vous pouvez en réchapper par chance, mais le véhicule de devant ou de derrière de votre convoi, non. Psychologiquement, c’est réellement ce qu’il y a de plus dur avec la disparition violente des proches. 

Les locaux nous ont toujours bien reçu. Nous logions la majeure partie du temps chez l’habitant, dans des fermes, chez des gens modestes qui partageaient tout avec nous. Nous avions pour habitude de leur fournir des médicaments et des consultations avec les médecins qui nous accompagnaient. On vivait chaque instant à 100 %, car tout pouvait s’arrêter d’un coup. 

Comment avez-vous vécu votre retour en France ?

Après la signature des accords de Minsk et la débâcle de Debaltseve et d’Ilovaïsk, il a fallu digérer notre défaite et les traumatismes que j’avais accumulés. L’attitude des Français à mon retour m’a convaincu qu’ils n’allaient pas comprendre, car la propagande russe était très présente en France, et la croyance que « l’armée ukrainienne persécutait de braves russophones à l’aide de néonazis » était très répandue. Je me considère comme étant de droite libérale, mais l’attitude de la droite française m’a sidéré. Cela fut une réelle blessure pour moi, surtout après avoir fait le deuil de mes trois amis et vu la souffrance de leurs familles et leurs enfants, dont je suis resté très proche. La ritournelle des « 15 000 morts du Donbass massacrés par Kyïv » me tordait les tripes, car elle salissait la mémoire de milliers de soldats ukrainiens, en majeure partie de l’Est russophone, tués dans leur résistance à l’invasion ! C’était comme si on les tuait une seconde fois. Je ne peux pardonner aux figures politiques françaises de recracher le narratif russe sans aucun recul. L’anti-américanisme rabique d’une partie des Français m’a sauté aux yeux. À vrai dire, je ne me reconnais plus du tout dans la droite actuelle, je la considère comme dangereuse, car largement acquise à l’influence russe. Le « Au moins, les Russes ne sont pas gays ! » m’a convaincu de la vacuité intellectuelle de ces gens. 

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Membres du nouveau bataillon que FUSA a contribué à équiper

Qu’est-ce que FUSA ? 

En 2015, j’ai voulu continuer à aider les soldats ukrainiens qui avaient toujours, et gravement, besoin de matériel. C’est ainsi que nous avons créé FUSA, French & Ukrainians Supporting Army, avec des Ukrainiens résidant en France et des Français vivants en Ukraine. Nous avons commencé à envoyer du matériel dit « de confort » : uniformes, sacs de couchage, matériel d’intendance, chaussures… Puis le conflit est passé d’une guerre de volontaires à une guerre de professionnels. Les besoins ont changé et nous avons évolué avec eux. La technicité du matériel aussi. Des uniformes anti-infrarouges, des protections balistiques, des lunettes de vision nocturne de qualité militaire, des caméras infrarouges, des pickups aménagés, des thermoviseurs et des drones. Tout cela, dès 2015.

Historiquement, nous aidons beaucoup les forces spéciales et les brigades régulières, car ce sont des relations de longue date. Mais, depuis février 2022 et la mobilisation, nous aidons aussi beaucoup la Teroborona, la garde territoriale composée de mobilisés, avec des casques, des vêtements thermiques pour l’hiver et des plaques balistiques notamment. Ensuite, nous aidons les unités de reconnaissance d’Azov, de Kraken, les ex-DUK qui sont devenus des unités régulières, les fusiliers marins, tout en privilégiant les groupes qui sont en première ligne. 

Que vous interdisez-vous ?

En 2015, nous nous étions limités à fournir de l’équipement « non létal ». Mais, avec la sauvagerie de l’invasion de 2022, un verrou a sauté. Nous nous sommes mis, tout en respectant les législations en vigueur, à fournir les munitions et des fusils adaptés aux snipers ukrainiens. Pour nous, le débat sur la létalité était obsolète : il fallait résister, c’était une question de vie ou de mort. Nous avons donc équipé de la tête aux pieds des snipers et des forces spéciales, armement et munitions compris. Tout cela s’est fait sous le contrôle du SBU (services secrets ukrainiens) et de l’armée ukrainienne. On n’équipe pas n’importe qui et on a la main sur l’ensemble de la chaîne logistique : tout est tracé. Nous ne cachons pas non plus aux autorités françaises ce que l’on fait, ni comment on le fait. Notre seul interdit est de fournir ce genre de matériel sensible à des bataillons qui ne seraient pas reconnus par l’armée ukrainienne. Quant aux finances, nous avons tout un réseau de donateurs qui nous font confiance dans le temps. Le réseau est largement international : des Anglo-Américains, des Français, des Italiens…

Qui sont vos partenaires à l’Ouest ?

Dès 2014, la plupart des volontaires étrangers que j’ai croisés sur le terrain étaient des Américains. Des ex-Marines, des ex-Seals ou des ex-EOD (démineurs). Ce sont des gens fiables et très exigeants. Avec eux, j’ai pu aider à créer ce qui est devenu l’épine dorsale de l’armée ukrainienne, dont tout le monde reconnaît aujourd’hui les compétences. C’est une grande fierté pour moi, bien plus que les médailles qu’on m’a décernées. 

Après leur retour aux USA, j’ai gardé le contact avec eux et, de fil en aiguille, nous avons été mis en relation avec des groupes de volontaires américano-ukrainiens et, surtout, canadiens. La diaspora ukrainienne est très puissante et bien implantée au Canada. Les Anglo-Américains ont cette culture de la charité et ils ont des moyens financiers bien supérieurs — non parce qu’ils sont plus riches, mais parce qu’un conflit d’émancipation face à une ancienne puissance coloniale les touche profondément. Nous réalisons donc pour leur compte énormément de projets car, depuis 2022, nous sommes devenus incontournables : une sorte de base arrière. Notre réseau s’étend également à la Grande-Bretagne et à l’Italie — où il y a beaucoup d’Ukrainiens —, jusqu’à l’Australie. 

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Drone pour la 92ᵉ brigade

Quels sont vos résultats les plus marquants ?

Savoir que les soldats qui utilisent notre matériel sont toujours vivants. Par exemple, un soldat que nous avons entièrement équipé et qui a participé à la bataille de Severodonetsk a subi 2 coups au but avec des armes de gros calibre, l’un de face et le second de dos. Nos plaques lui ont sauvé la vie. Un autre soldat qui était en première ligne à Zaporijjia s’est retrouvé sous un barrage d’artillerie et a survécu grâce à notre casque qui a supporté l’impact de plusieurs éclats d’obus. Là, on ne parle pas d’une paire de chaussettes chaudes pour l’hiver : c’est une question de vie ou de mort, et personne ne veut prendre de risque d’avoir un mort sur la conscience. À ce jour, nous avons offert aux combattants ukrainiens — pardonnez la longueur de cette liste, mais elle démontre notre efficacité :

  • 30 caméras infrarouges,
  • 25 groupes électrogènes,
  • 15 lunettes de vision nocturne militaire,
  • 50 télémètres d’artillerie,
  • 30 jumelles numériques,
  • 100 viseurs point rouge et leurs « magnifiers »,
  • 50 thermoviseurs pour gros calibre,
  • 3 drones militaires Leleka,
  • 20 drones DJ,
  • 35 optiques de visées pour sniper,
  • 400 kg de munitions pour sniper 
  • des fusils d’assaut et de précision (SBU m’interdit d’en révéler le nombre exact) 
  • des milliers de tenues anti IR,
  • des centaines de sac à dos Eberlestock,
  • 2 tonnes de vêtements thermiques,
  • 1 200 casques NIJ3A,
  • 2 000 plaques NIJ4,
  • et 3 000 gilets pare-balles tactiques.

Nous ne nous félicitons jamais que les armes que nous fournissons puissent tuer des Russes : seuls des gens n’ayant rien connu de la guerre peuvent s’en réjouir. Ce que nous voulons, c’est la survie du peuple ukrainien et l’affirmation de la nation ukrainienne. 

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Forces spéciales dans la forêt de Kreminna, entièrement équipées par FUSA

Subissez-vous des pressions ?

Nous avons de très bons rapports avec les autorités françaises qui sont au courant de ce que nous faisons. Nous leur avons fourni toutes les garanties permettant d’éviter que tout ou partie des équipements ne reviennent ici en de mauvaises mains. La hantise de l’État français est qu’un équipage de police se retrouve, en France, face à des criminels ou des terroristes équipés de nos protections.

Il y a eu aussi des préoccupations quant au fait de fournir de l’équipement à des unités réputées plus sulfureuses. Mais 2023 n’est pas 2014. Le régiment Aidar, par exemple, n’existe plus, et ses meilleurs éléments ont rejoint la 92e brigade. Azov aussi a beaucoup changé et ils ont payé le prix du sang. Le problème, c’est la propagande russe qui, répétée ad nauseam, finit par pénétrer les esprits. Dire que je n’ai jamais rencontré de gens au profil « problématique » sur le front serait mentir, mais les idéaux résistent assez peu aux balles et aux obus. Les exaltés ne font pas long feu, d’un côté comme de l’autre. 

Il y a enfin les pro-russes, ou des gens gravitant autour de l’ambassade russe, qui cherchent à tout prix à connaître nos identités. Non pas pour nous faire du mal, mais pour faire du mal à nos proches et à nos familles. Nous avons eu des précédents de ce type, et cela révèle encore les méthodes peu courageuses du camp d’en face : chercher à blesser nos femmes ou nos familles, plutôt que nous. Il faut vraiment être mentalement dérangé pour ne pas oser venir s’en prendre directement à nous, mais plutôt à nos proches, et penser que cela va nous décourager ! Nous cherchons à être le plus discrets possible. Nous ne postons jamais de photos personnelles sur les réseaux sociaux. Moi-même, j’agis en mon nom, mais mon patronyme est heureusement assez commun. 

Quelle est votre analyse de la situation en Ukraine ?

Je suis persuadé que l’Ukraine sera victorieuse, mais le prix à payer pour voir la victoire sera énorme. Les Russes veulent nous saigner à blanc afin que l’on ne puisse plus représenter de menace. Je ne pense pas qu’ils soient sérieusement convaincus de pouvoir gouverner l’Ukraine un jour ou l’autre comme ils ont pu le faire par le passé. C’est une stratégie de la terre brûlée comme ils en ont l’habitude : s’ils ne peuvent pas exploiter un pays, alors, autant le détruire.

Si la situation sur le front a l’air de se figer pour quiconque ne suit pas quotidiennement le conflit, il n’en est rien. Mais il faut être réaliste, la dernière contre-offensive ukrainienne n’a pas rempli les objectifs fixés, c’est-à-dire la reprise de Tokmak qui aurait été un réel coup dur pour la logistique russe. Car si des hommes ou des machines peuvent permettre de remporter des batailles, c’est bien la logistique qui permet de remporter des guerres. Et les Américains l’ont très bien réalisé en 1945. Leur matériel n’était pas toujours le meilleur, mais leur logistique était de loin supérieure à celles des autres belligérants. 

Il faut aussi analyser cette contre-offensive en demi-teinte : les Ukrainiens gardent beaucoup de brigades en réserve, ils ne peuvent pas se permettre d’injecter dans la bataille toutes leurs forces. Pourquoi? Parce qu’ils savent que ce sera très long et, surtout, parce qu’ils doutent de l’engagement de l’Occident sur le long terme. Ils sont réalistes : ce sont leurs vies qui sont en jeu, pas les nôtres. Enfin, il ne faut pas prendre les Russes pour plus abrutis qu’ils ne le sont : ils font beaucoup d’erreurs et n’ont aucune considération pour la vie de leurs hommes, certes, mais la ligne Sourovikine a été efficace, composée de centaines de kilomètres carrés de mines et de zones fortifiées. Il n’y a aucun génie là-dedans, juste une organisation suffisante. 

Je pense aussi que les Occidentaux en font trop peu. Nous ne sommes pas assez nombreux à réaliser ce qui se joue en Ukraine : l’avenir de l’Occident pour les vingt-cinq prochaines années. Si l’Ukraine tombe, c’est l’Occident tout entier qui se fera passer dessus. Les Russes ont récupéré, par exemple, de quoi faire parler leur artillerie pendant trois mois avec l’aide nord-coréenne et avec la complicité chinoise. De l’autre côté, la production d’obus d’un pays comme la France n’excède pas 3 000 pièces par mois. C’est ridicule : la production annuelle de la France équivaut à 10 jours de consommation de l’artillerie ukrainienne ! Toutes nos décisions sont prises avec énormément de retard. Les avions occidentaux n’arriveront que deux ans après le début de l’invasion à grande échelle et c’est un scandale.

Enfin, à mon avis, l’Occident doit repenser sa doctrine de guerre. L’avènement d’un conflit de haute intensité au cœur de l’Europe en 2023 fut un choc pour beaucoup. Nos armées sont actuellement conçues pour faire de la contre-insurrection face à un ennemi asymétrique. Nos effectifs ont fondu comme neige au soleil, seuls des groupes de forces spéciales subsistent. Nous avons pris l’habitude de produire des armes high-tech beaucoup trop chères et en très petites quantités. Aujourd’hui, nous sommes face à une révolution : les drones. Pour quelques milliers d’euros, on peut acquérir un drone capable de porter une charge explosive de plusieurs dizaines de kilos et de traverser les lignes ennemies sur des centaines de kilomètres. Face à cela, nos zincs high-tech et nos satellites à plusieurs centaines de millions d’euros ne peuvent absolument rien. Et puis il y a le principe de la saturation : utiliser plusieurs machines rustiques pour saturer des appareils de haute technologie. C’est ce que font les drones iraniens face à la DCA ukrainienne. 

Comment aider l’Ukraine ?

Il y a le volet financier certes, et c’est toujours le nerf de la guerre. Aujourd’hui, nous avons besoin, par exemple, de drones, de pickups et d’amplificateurs d’onde pour augmenter la portée des drones. Si vous voulez apporter une aide concrète, directe, aux combattants ukrainiens, augmenter leurs chances de survie et les renforcer dans leur lutte pour la liberté, vous pouvez faire un don à FUSA.

Il faut aussi rappeler inlassablement que l’ennemi, c’est la Russie, et que cette dernière se comporte de manière criminelle. Il faut maintenir la pression sur nos gouvernements pour faire respecter de façon draconienne les sanctions, car celles-ci sont encore trop souvent contournées, avec parfois la complicité goguenarde des sociétés commerciales. 

L’ennemi compte sur notre égoïsme et notre lassitude pour faire main basse sur l’Ukraine. Et, chose aussi importante, il est nécessaire de dénoncer le fait que beaucoup de personnalités russes sous sanction envoient leurs familles en Occident y couler des jours paisibles, alors même que le régime poutinien saigne un pays européen. Tout comme il est nécessaire de faire pression pour liquider tous les biens et avoirs russes gelés et en donner les bénéfices à l’Ukraine. 

Enfin, je pense qu’il faudrait aussi s’occuper sérieusement du cas de tous ces oligarques ukrainiens véreux qui ont des résidences de luxe, dans le Sud de la France notamment, alors qu’ils ont ruiné leur pays pendant des décennies. 

FUSA sur Facebook et Instagram

avot p

Conseil en stratégies de communication indépendant : communications grand public, RP, interne, et de crise. Il écrit régulièrement pour le journal en ligne Contrepoints.

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