Riposte laïque, aux ordres de Poutine

Dans cet article, notre auteur reprend sa croisade contre les poutinolâtres français. Cette fois, c’est Riposte laïque, un site conspirationniste français fondé en 2007, et quelques-uns de ses auteurs qui se trouvent dans sa ligne de mire. En particulier, Jacques Guillemain, un lieutenant-colonel de réserve, inféodé à Moscou.

Ce site de la droite extrême a été fondé par Pierre Cassen, qui fut adhérent de la CGT, du parti communiste et de la Ligue communiste révolutionnaire, décrit comme « pas idiot », par Jack Dion, le permanent de L’Humanité recasé à Marianne1. C’est un cas parmi d’autres d’un stalinien rallié au Rassemblement national, tant les convergences entre ces extrêmes sont patentes ; en revanche, on cherche en vain un militant de Le Pen adhérant à la gauche jusqu’au-boutiste.

Si, comme son titre le laisse entendre, le site avait vocation à dénoncer l’omniprésence de l’islam en France, il est vite devenu une émanation de Poutine, auquel il apporte un soutien inconditionnel.

On sait combien les armées sont pénétrées par cette influence, qu’il s’agisse d’officiers en activité ou appartenant au cadre de réserve.

Parmi eux, un véritable inconditionnel des Russes officie sur le site, fasciné par ceux-ci, déversant sa haine contre ce qui n’est pas inféodé à Moscou : il s’agit d’un certain Jacques Guillemain, ci-devant lieutenant-colonel, que l’on affuble parfois du titre de général.

Guillemain, l’adorateur des Russes

Avant la création de Riposte laïque, on le voit inonder de ses remarques le courrier des lecteurs de journaux comme 20 minutes, le Figaro, le Monde et plus encore Marianne, devenu plus tard, sous la houlette de Natacha Polony, une officine souverainiste.

Dans 20 minutes du 11 janvier 2006, Guillemain s’étonne que l’on puisse se préoccuper que la Corée du Nord et l’Iran envisagent de se doter de l’arme nucléaire dès l’instant où Israël la détient, établissant ainsi une sorte de parallèle entre les deux pires dictatures et la seule démocratie du Proche-Orient. Si l’Iran déclare vouloir rayer de la carte Israël, il n’est pas dans les intentions de l’État hébreu d’en faire autant envers Téhéran.

Inlassablement, Guillemain se fait le porte-voix du Kremlin : si Moscou est intervenu en Ukraine, c’est en réponse à l’ « agression » des Américains et de son bras armé, l’OTAN, afin de combattre le régime de Kyïv, qualifié systématiquement de « nazi ». Chacun des éditoriaux de cet auteur, frappé d’une sorte de logorrhée répétitive, reprend inlassablement ses obsessions. Faut-il accorder de l’importance à ces outrances ? Oui, au regard du nombre élevé des commentaires approbateurs qu’elles suscitent, dans le style Thierry Meyssan.

Ainsi, le 7 mai 2022, sur le site de l’éditeur Godefroy, Guillemain dénonce « la diabolisation outrancière d’un ennemi » et l’OTAN, « un outil défensif aux ordres de Washington pour régenter le monde. C’est toujours l’OTAN l’agresseur […] avec des pays qui arment l’Ukraine et attisent les braises. […] Il est temps que les Européens ne se comportent plus en vassaux des États-Unis, qui ont tout fait pour enflammer la région. […] Souhaiter le naufrage économique de la Russie, c’est criminel. […] Voilà trente années que l’Occident trompe et humilie la Russie », […] voir la France de Macron considérer les Russes comme des ennemis est infiniment triste », la sainte Russie, modèle de démocratie et de paix, sans laquelle les Américains, selon notre auteur, n’auraient jamais pu débarquer le 6 juin 1944 ! « En Ukraine, soutient-il le 21 août 20232, les Américains ont préparé et déclenché une guerre contre la Russie […]. Comme Hitler en son temps, les fous furieux de Washington et les valets européens ont cru ne faire qu’une bouchée de la Russie ». « Il n’y a pas pays plus belliqueux que l’Amérique, qui sème la guerre partout dans le monde, des criminels de guerre » (29 avril 2023).

Ce discours n’est-il pas aussi celui, dans une moindre mesure et plus modéré dans la forme, des Le Pen-Mariani-Zemmour-Fillon-Chevènement-Védrine-Mélenchon et leurs affidés ?

Le point de vue de Guillemain du 2 juin 2023 a pour titre « CPI pour Poutine ? Et si on reparlait des crimes de guerre de l’Amérique ». À l’appui de sa thèse, le « musée des atrocités de guerre américaines », inauguré en… Corée du Nord, un modèle, là encore, en matière de droits de l’Homme, ou Amnesty international, soutien, entre autres, du Hamas. « L’Amérique nous asservit et nous entraîne dans toutes ses guerres. […] Nous défendons le pays [l’Ukraine] le plus pourri de la planète, coupable d’exactions sans nom à l’encontre des populations russophones. […] Les dirigeants sans foi ni loi qui gouvernent l’Occident ont fait de Poutine l’agresseur pour justifier leur croisade antirusse. C’est évidemment un mensonge infâme. Leur haine viscérale [celle des Américains] des Russes les conduit à mener une guerre contre Moscou ». « L’histoire jugera ces criminels de guerre, qui renversent la responsabilité de ce carnage et rêvent de traîner Poutine devant la CPI » (21 août 2023), « qui est certainement le plus sage et le plus lucide des dirigeants actuels » (4 septembre 2023).

Si, dans sa chronique du 13 septembre 2023, il daigne qualifier le dirigeant nord-coréen de « dictateur », il défend Pyongyang « qui n’a agressé aucun pays ni déclenché aucune guerre, contrairement à Washington, qui sème la mort sur toute la planète. […] Munitions, lance-roquettes multiples ou missiles nord-coréens sont les bienvenus pour conserver l’essentiel du potentiel russe et pour permettre à Moscou d’axer son effort industriel de défense sur les armes du futur, qui assurent sa supériorité sur l’Occident. […] C’est le moment de quitter l’OTAN une bonne fois pour toutes, parce que l’Amérique attisera toujours les braises. »

S’agissant de Taïwan, notre subtil chroniqueur défend le 11 avril 2023 la position de Pékin, bien entendu, approuvant les propos du président français qui considère que la question n’est pas du ressort des Occidentaux : « Taïwan a vocation à retourner dans le giron de Pékin. Sans les Américains, éternels va-t-en-guerre, ce retour pourrait se faire pacifiquement. Taïwan est un problème chinois. » Le 6 juin suivant, il titre « Taïwan : Washington veut entraîner l’Europe dans sa croisade contre Pékin », estimant que « nous sommes en réalité les supplétifs de Washington et nous avons torpillé la belle amitié franco-russe pour servir les seuls intérêts d’une Amérique arrogante, qui n’a jamais eu d’amis à part le Royaume-Uni ».

Méconnaissant l’histoire, le Guillemain ne cesse de rendre hommage à la Russie qui, selon lui, a joué le rôle central pour remporter la victoire dans les deux guerres mondiales ; comme il se doit, il passe sous silence le pacte germano-soviétique de 1939-1941 (éditorial du 29 juin 2023). Dans le conflit actuel, il célèbre Poutine, « très économe du sang de ses soldats, ce qui est tout à son honneur » (4 août 2023), se félicitant de la « faculté de résistance et d’adaptation face à l’ennemi [ukrainien] qui force l’admiration » (21 août 2023), « l’armée russe, désormais un modèle du genre » (24 août 2023), dont Guillemain souligne « l’intelligence, le bon sens, la ténacité et le courage qui font les meilleurs chefs de guerre ». Alors que « le sang d’un soldat ukrainien n’a pas grande valeur pour le Pentagone » (1er septembre 2023), « les Otaniens s’étant comportés comme des salauds sans le moindre respect pour la vie des soldats ukrainiens ».

Le 19 août 2023, il rend compte d’une interview du sinistre et cynique Lavrov : « Ou bien l’Occident finit par capituler et accepte de négocier aux conditions du vainqueur, ou bien ce sera l’holocauste nucléaire sans vainqueur. […] Après tant de mensonges et de trahisons de la part du camp occidental depuis 1991 », cela ne serait-il pas justifié, semble espérer notre subtil commentateur ?

Il dénonce Lionel Jospin qui déplorait les positions de Sarkozy sur l’Ukraine, reprenant ses obsessionnelles litanies, à savoir qu’il « n’y a jamais eu de menace russe. […] Ce n’est pas Poutine qui a voulu cette guerre », qui ne vise, selon Guillemain, que des objectifs militaires (les victimes civiles en nombre apprécieront !). « Que Jospin ne se fasse aucune illusion. La paix sera russe et certainement pas américaine », car l’agresseur, c’est l’Occident, l’agresseur, c’est Kyïv, l’agresseur, c’est Biden (26 août 2023). Kyïv est constamment qualifié de « régime néo-nazi, qui pille les aides occidentales » (1er septembre 2023).

Alors que chacun sait que la Russie a non seulement reçu des dirigeants du mouvement terroriste Hamas, dont elle n’a pas condamné les atrocités du 7 octobre, Guillemain soutient que c’est dépourvu de fondement (11 octobre 2023). Les braves soldats russes n’ont répandu en Ukraine que le bien, ils n’ont jamais violé, et, si l’on en croit Guillemain, « ils n’ont pas massacré des femmes et des enfants », tout comme le Hamas. Poutine, selon lui, « est le seul chef d’État qui ait fait reculer l’islamisme », ignorant les abominations de Kadyrov en Tchétchénie, invoquant enfin Philippe de Villiers pour qui Poutine est bien le plus grand chef d’État actuel (20 octobre 2023), ce qui fait toute la différence entre « un grand homme d’État patriote et un petit politicien [Macron] ivre de multiculturalisme et haïssant les nations » (15 novembre 2023).

Cette soumission à Moscou avait suscité, en 2022, la réaction indignée d’un lecteur de Guillemain, qui, le 23 août, s’indigne à son tour que l’on puisse défendre Kyïv, « qui agresse le Donbass depuis huit ans et non l’inverse. […] Poutine n’a aucune intention de détruire l’Ukraine, de massacrer son peuple et de s’approprier ses ressources. […] Les crimes de guerre des Russes sont des scènes entièrement montées par les services secrets ukrainiens. […] Poutine est loin d’être le boucher et le dictateur que l’on nous vend à longueur de temps, en encensant Zelensky ». Et Guillemain d’oser prétendre être en priorité à la recherche de la vérité, alors qu’il se fait le porte-parole systématique de la propagande de Moscou !

Il ne cesse d’incriminer l’OTAN, véritable menace, selon lui, pour la Russie ; si l’Ukraine finissait par y adhérer, ce serait un casus belli pour Moscou, alors que l’alliance n’a jamais été qu’une organisation défensive et non offensive. Guillemain, dont l’ignorance est riche de lacunes, occulte la position officielle du Kremlin en mai 2002 : « Au sujet de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, le président russe a déclaré qu’elle avait le droit de prendre cette décision de manière indépendante. Il ne la considère pas comme quelque chose qui pourrait assombrir les relations entre la Russie et l’Ukraine »3.

laloy1
ripostelaique.com, capture d’écran

Posokhow et les autres

Il n’y pas qu’un Guillemain à prendre fait et cause pour la Russie. D’autres plumitifs du site s’y emploient avec allégresse.

Sous la plume d’un Lucien Samir Oulahbib, Riposte laïque du 4 novembre 2022 dénonce évidemment le Livre noir de Vladimir Poutine, mettant en cause Françoise Thom et Stéphane Courtois, de telle façon que l’on se demande si le Samir a seulement lu l’ouvrage qu’il attaque, s’en prenant à « l’aveuglement » des auteurs, qu’il ne démontre en rien.

L’ex-stalinien Cassen célèbre Montebourg et Fillon pour leur hostilité à Washington (4 mai 2023), à l’instar de Valérie Béranger, laquelle n’hésite pas à intituler « L’OTAN, un organisme de recyclage du nazisme » (2 mai 2023), se fondant sur de prétendues révélations de l’agence Tass, indiscutables à n’en pas douter dès lors que c’est Moscou qui les avance : « L’OTAN n’est pas une force de paix mais une horde guerrière, agressive, dangereuse, prête à tout pour servir son véritable maître, à savoir les USA. […] Gageons que la Russie et Vladimir Poutine, en gagnant leur guerre, sauront couper et pétrifier une fois pour toutes les multiples têtes du monstre, et nous débarrasser à jamais de ses suppôts. »

Un général Martinez dénonce un article de Challenges confirmant combien l’armée est pénétrée par la doxa moscovite (9 août 2023). Un certain Pontoizeau espère que l’Ukraine sera un nouveau Vietnam pour l’Amérique (10 août 2023), ignorant que pas un soldat occidental n’est engagé dans la guerre déclenchée par Poutine.

Le site ouvre grand ses colonnes à Boris Karpov, un conspirationniste dont le blog est hébergé en Russie, qui, le 20 octobre 2023, estime que le Kremlin prend Macron « pour un salaud et un pauvre type », à la tête d’un pays ennemi, prônant la « fin de la domination américaine mondiale », car « nous avons la chance d’avoir un homme exceptionnel au Kremlin ».

Y instrumente aussi un autre inconditionnel du Kremlin : André Posokhow, qui intervient sur le site Polémia, création de Jean-Yves Le Gallou, dont on connaît l’intimité avec l’extrême droite. Son papier du 15 février 2023 ne cache rien de son inféodation à la Russie, avec pour titre : « Nos ennemis sont Washington et l’atlantisme », « pays guerrier et agressif d’une manière constante », à l’inverse de la Russie et de la Chine, éprises, elles, de paix et de démocratie… « Washington est l’ennemi mortel du véritable Occident, […] l’ennemi de l’humanité tout entière ». Pas moins.

Le 25 février 2023, il s’acharne contre l’Amérique et ses petits coursiers tandis que Poutine « est un véritable homme d’État », qui ne menace pas ses voisins, au contraire des Anglo-Saxons. Ceux-ci relèvent, préconise Posokhow, d’un tribunal de type Nuremberg, la France, en aidant l’Ukraine, devant être qualifiée de « criminelle de guerre » (mais surtout pas la pacifique et bienfaisante Russie !). Ce n’est pas la Russie mais l’Amérique qui menace la paix du monde, « c’est Washington qui désigne les pantins qui dirigent les pays d’Europe occidentale grâce à des élections manipulées. Ce n’est pas Poutine. […] L’indispensable défaite de Washington représenterait un retour de nos nations occidentales, de nos familles et de nos personnes à la souveraineté, à la liberté et en fait à la simple dignité humaine. »

Le Posokhow s’en prend, avec une grande virulence, le 8 août 2023, au « Terrible désastre de la politique étrangère française de Macron », dénonçant la « guerre menée par l’OTAN à la Russie, […] les États-Unis ayant mené une politique de colonisation de la France, […] pays vaincu, soumis, occupé, pillé », célébrant, au passage, les positions du petit-fils de De Gaulle, complètement assujetti à Moscou, lui aussi.

Les ouvrages de Jean-François Revel et de Pierre Rigoulot portant sur l’anti-américanisme — que les gaullo-communistes puis les extrêmes ont érigé en un dogme que l’on ne retrouve pas dans les autres pays européens —, ceux de Cécile Vaissié et de Nicolas Hénin relatifs aux affidés de Poutine pourraient être mis à jour, mais c’est de plusieurs tomes qu’ils seraient composés tant notre pays comporte de collaborateurs notoires et pas seulement aux extrêmes de l’échiquier politique. Quand donc Riposte laïque accueillera la prose d’un Thierry Meyssan, exilé auprès du sanguinaire dirigeant syrien qui ne tient que grâce aux Russes ? Au fait, qui donc est derrière le financement de Riposte laïque, comparable, à bien des égards, à Russia Today, interdit de diffusion ?

Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

Notes

  1. Marianne, 10 juin 2010.
  2. Site de Riposte laïque ainsi que pour les dates qui suivent.
  3. Mykola Riabtchouk et Iryna Dmytrychyn, « Poutine et l’obsession ukrainienne » in Galia Ackerman et Stéphane Courtois, Le livre noir de Vladimir Poutine, Perrin, 2022, p. 215.

Abonnez-vous pour recevoir notre prochaine édition

Toutes les deux semaines

Voir également

La tactique de la « chair à canon » dans la guerre de l’information russe

À bien des égards, la guerre de l'information menée par la Russie contre les sociétés occidentales a malheureusement été un succès.

Effacer, rembobiner, répéter : la Russie a l’habitude de fabriquer de faux souvenirs

L’invasion de la Géorgie démocratique par l’Armée rouge, en 1921, a permis le contrôle des bolcheviks sur la mémoire nationale. Les mensonges et les falsifications de l’époque ont toujours cours aujourd’hui.

Les plus lus

Le deuxième front : comment la Russie veut saper le soutien occidental à l’Ukraine

La Russie mène un travail de sape auprès des Ukrainiens eux-mêmes, mais aussi en infiltrant les cercles de décision occidentaux, à Washington et dans les capitales européennes. Empêcher le soutien occidental à une victoire finale de l’Ukraine et décourager les Ukrainiens de se battre jusqu’à la victoire, tels sont les objectifs russes qu’analyse et dénonce notre autrice.

Réflexions sur l’attentat de Krasnogorsk

L’ampleur et l’atrocité de l’attentat de Krasnogorsk ont secoué le monde, en faisant ressurgir des images sanglantes d’autres...