Dans ma jeunesse, un certain nombre d’intellectuels et d’artistes français étaient très engagés dans le combat contre les méfaits du communisme. On organisait de grandes manifestations en soutien aux dissidents soviétiques et aux refuzniks (Juifs soviétiques souhaitant émigrer en Israël), aux boat-people vietnamiens et laotiens, aux moudjahidine afghans, aux peuples de l’Europe de l’Est, Hongrois, Tchèques, Polonais, et j’en passe.
Tout cela a eu lieu pendant la guerre froide qui servait de cadre aux grandes passions pro- et anti-communistes. Après l’effondrement de l’URSS et de son régime communiste, ces passions ont cessé d’être de mise. Certes, mon ami André Glucksmann s’est battu, jusqu’à sa mort en 2015, pour le sort des Tchétchènes, mais en règle générale, la passion des meetings a cédé la place à la parole d’experts à la télévision, posée et calme. Ce que beaucoup d’intellectuels n’ont pas compris, c’est que le système communiste, basé bien moins sur l’idéologie que sur un nombre de principes, comme la non-alternance du pouvoir, le culte du chef, l’idée messianique (peu importe laquelle), la répression, la corruption et le conformisme, est vite revenu, comme le montre le cas de la Russie poutinienne. Au fond, Poutine incarne l’intelligence collective et maligne du KGB, son expertise de près d’un siècle de combat contre l’Occident et ses valeurs, son impérialisme rapace.
Le moment est donc venu de changer la perception de ce régime, du mal absolu qu’il inflige au peuple ukrainien, de la menace qu’il représente pour le monde. Il est temps de travailler vraiment au sein de la société pour la réveiller et la mobiliser, ce que les médias ne sont plus capables de faire. Fin septembre 2023, Ariane Mnouchkine, célèbre metteuse en scène, a initié une tribune dans Le Monde cosignée par une dizaine de personnalités, afin de secouer l’opinion publique. Ce fut un appel à l’action : « Sommes-nous voués à suivre, les bras ballants, à la télévision ou sur les réseaux sociaux, les bombardements, les massacres, les horreurs de Marioupol, de Boutcha, les combats, les sacrifices inimaginables […] ? Non ! Nous pouvons agir, nous devons agir, renforcer le courage des opinions publiques et, par nos manifestations, stimuler celui de notre gouvernement et des gouvernements alliés, dont la pusillanimité a coûté, et coûte encore, chaque semaine, des milliers de vies civiles et militaires à l’Ukraine »
C’est également dans cet esprit que Desk Russie a été créé, en mai 2021. Il est donc tout à fait naturel que notre équipe se soit associée au Théâtre du Soleil afin de mettre en œuvre cette mobilisation citoyenne pour l’Ukraine. Ensemble, nous avons conçu une série de quatre soirées où la parole d’experts de haut niveau, français et ukrainiens, va alterner avec la lecture de textes ukrainiens — prose, poésie, témoignages, réflexions — afin de produire une synergie alliant l’expertise et la passion. En petit groupe, nous avons créé un corpus de textes ukrainiens traduits en français, pour alimenter ces lectures qui vont ouvrir au public de nouveaux horizons. Nous sommes fiers qu’une partie des textes de ce corpus proviennent des publications de Desk Russie.
Cette initiative a immédiatement trouvé un écho dans d’autres théâtres de France : après le Théâtre du Soleil, les rencontres auront lieu à l’Aquarium et au MC93 Bobigny, mais d’autres théâtres parisiens et provinciaux frappent déjà à la porte pour se joindre au mouvement. Le théâtre politique de Brecht et de Vilar, qui instaure un lien entre le théâtre et la société, est de retour, et cela fait rêver. Peut-être allons-nous réveiller des consciences ? Après le théâtre, pourquoi d’autres corps de métier et groupes ne se mobiliseraient-ils pas davantage, comme ce fut le cas pour les cinéastes qui ont milité, en masse, pour la libération du réalisateur ukrainien Oleg Sentsov, en 2017-2018 ? On rêve de plus de mobilisation de notre société en faveur de l’Ukraine, victime de la barbarie russe. Pas seulement pour accueillir ici les Ukrainiens mais pour inciter nos gouvernants à soutenir, militairement, économiquement, humainement, l’Ukraine en sang, en proie aux appétits poutiniens. La société française doit faire entendre sa voix !
Notre démarche est également pratique. Nos rencontres théâtrales serviront à collecter de l’argent pour l’armée ukrainienne. En premier lieu, pour acheter des drones démineurs, car l’Ukraine est actuellement le pays le plus miné au monde, un pays où des enfants sont mutilés par des explosions dans les champs. Soyons solidaires avec le peuple ukrainien en armes ! Face à la lassitude de nos gouvernants, restons infatigables. Ne lâchons pas l’Ukraine!
L’honneur de l’Europe et sa sécurité sont en jeu ! Mais aussi notre honneur !
Premier rendez-vous : le 21 janvier 2024, à 17 heures, au Théâtre du Soleil.
Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.