Dominique de Villepin jouit d’une certaine aura après avoir fustigé, de la tribune de l’ONU, l’invasion américaine de l’Irak, soutenue par une coalition internationale. Cependant, à y regarder de plus près, sa rhétorique flamboyante a surtout été inspirée par une haine profonde des États-Unis. C’est cette haine, ainsi que sa sympathie pour des figures pour le moins répréhensibles, comme Hugo Chavez, et son soutien au discours victimaire de Vladimir Poutine, que démontre l’auteur dans ce portrait teinté d’ironie.
Dominique Galouzeau de Villepin paraît être un adepte inconditionnel de cette mouvance qui ne change jamais : il déteste tant l’Amérique qu’il en adule la Russie.
Il n’a pas été le moins du monde gêné de participer à la dernière fête de L’Humanité, où ses prises de position ont suscité de vifs applaudissements comme l’approbation de la France insoumise à travers Aymeric Caron, qui lui porte « respect et admiration1 ». Une idéologie qui a produit dans les cent millions de morts ne gêne aucunement l’ex-diplomate. Il a poursuivi avec le quotidien communiste, qui lui accorde deux pleines pages, sans parler de la une, le 16 septembre 2024, et une autre le lendemain.
Et qu’a-t-il donc déclaré, ce Villepin, à ladite fête ? Qu’il déplorait que ne fût pas nommée à Matignon Lucie Castets, la candidate de Mélenchon. Comment s’en étonner de la part de celui qui glorifiait l’époque où « les gaullistes ont su travailler avec les communistes2 » ?
L’ennemie, c’est l’OTAN
Lors du projet de réintégration de la France au sein du commandement militaire de l’OTAN, décidée en 2009, Villepin en dénonce le principe car cela « ne correspond pas aux intérêts de notre pays, mais je crois aussi que c’est dangereux car l’OTAN est une organisation sous domination américaine3 ». Et de poursuivre en intimant Washington « qui doit cesser de rudoyer les dirigeants sud-américains qui lui déplaisent4 », à savoir Chavez, le grand démocrate que l’on sait.
Et de persister dans l’interview qu’il accorde à Valeurs actuelles du 21 octobre 2010 où, estime-t-il, le retour dans l’OTAN « sacrifie notre indépendance militaire, bien sûr, mais beaucoup plus largement notre indépendance d’esprit ». Cela constitue même « une faute », assène-t-il l’année suivante5, se posant déjà en candidat – qu’il ne fut pas – à la succession du président Sarkozy, le programme de son éphémère mouvement, République solitaire, prévoyant carrément de sortir de l’OTAN6, s’alignant sur les Le Pen-Mélenchon.
La pacifique Russie…
Lors de la première intervention de la Russie contre l’Ukraine, en 2014, Villepin s’en prend, fidèle à lui-même, aux États-Unis, appelant à « un dialogue approfondi et ouvert avec la Russie. Faisons les choses seules, tout d’abord. Les Américains n’ont rien à faire dans ce dialogue de bon voisinage. […] La grande Europe passera forcément par un lien fort avec la Russie », insistant au point de lancer que « le monde a besoin de la Russie et la Russie a besoin du monde7 ».
En cette même année 2014, il s’étale, sur deux pages et demie, dans Le Monde diplomatique de juin, dénonçant « l’alignement atlantiste » de la France, allant jusqu’à déplorer « l’humiliation » infligée à la Russie, car les « intérêts des États-Unis divergent de plus en plus des nôtres. […] Nous ferons davantage pour la démocratie à l’est de l’Europe par une Ostpolitik fondée sur le dialogue […] que par une logique de guerre froide qui ne sert que les intérêts américains. »
Bref, toujours et encore la détestable Amérique qui cherche querelle à la pacifique et démocratique Russie, envers laquelle on tente en vain de déceler la moindre réserve de Villepin – ne parlons pas de condamnation. Au point de ne pas hésiter à s’afficher avec un ex-ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Ivanov, en co-signant une tribune dans Le Monde du 26 avril 2015, qui réprouve les sanctions adoptées contre Moscou, « ébranlant la confiance mutuelle8 ».
Dans Le Figaro du 19 octobre 2015, Villepin commence par se féliciter que la Russie soit de retour : « C’est une bonne nouvelle pour le monde, […] la Russie est bienvenue » pour donner des garanties à la protection des Alaouites de Syrie, que Moscou s’est empressé de bombarder. Jamais, il n’a seulement évoqué les innombrables victimes civiles du conflit, largement dues aux frappes russes. « Agissons enfin, conclut-il, en faveur de l’équilibre en allant à la rencontre de la Russie, de la Chine et du reste du monde. »
Car, d’après lui, la situation est le fait « que les États-Unis et l’Europe se sont enfermés dans des politiques de sanctions, d’ostracisme, de conflits gelés et dans des interventions militaires […]. On ne prend pas en compte l’humiliation de la Russie. » N’est-ce pas le constant discours victimaire entretenu par Poutine et ses séides français, les Le Pen-Mélenchon, si bien décrit dans l’ouvrage d’Elena Volochine9 ?
Et Villepin d’insister dans une interview accordée au Figaro du 14 novembre 2016 : « Vis-à-vis de la Russie, le jugement moral conduit à marginaliser ce grand pays. On oublie le lien très fort qui unit le président russe à son peuple. » Et de continuer à dénoncer l’Europe, coupable envers ce vertueux Poutine.
L’Humanité des 9 et 11 décembre 2016 lui ouvre deux pleines pages, où Villepin reprend son catéchisme obsessionnel, à savoir que « la France a commis une faute en réintégrant le commandement militaire de l’OTAN, portant atteinte à son indépendance » ; les sanctions, c’est l’escalade contre la Russie, dont « nous avons insuffisamment pris en compte le sentiment d’humiliation ». Et de renchérir dans Le Progrès du 19 décembre suivant : « La relation avec la Russie est incontournable, essentielle et même centrale. »
On le retrouve en débat avec deux autres inconditionnels de Moscou, Renaud Girard10 et Hubert Védrine11, de quoi ne pas provoquer le moindre désaccord entre eux. Pour le premier, el-Assad n’est pas notre ennemi. Villepin bénéficie de trois pages entières, cette fois dans L’Humanité-dimanche du 21 septembre 2021, où il répète ses sempiternelles et obsessionnelles litanies. Comment s’étonner du « coup de foudre amical » que, tel Aymeric Caron, lui décerne Edwy Plenel12 ?
Invité du grand jury RTL-LCI-Le Figaro, Villepin condamne le boycott du pavillon russe par le président Macron au salon du livre car, selon lui, « notre destin se joue avec la Russie et certainement pas contre13 ».
Peu avant la guerre à grande échelle déclenchée contre l’Ukraine, à la matinale de France inter, le 9 février 2022, notre oracle, toujours inspiré, voit un « Poutine très prévisible. Je ne crois pas en une Russie impérialiste, incontrôlable, expansionniste […]. La Russie n’a pas forcément intérêt aujourd’hui à la guerre14. »
Bienveillance avec l’axe du mal
Ne se contentant pas de trouver toujours et partout des circonstances atténuantes à la sainte Russie, l’ex-chef de gouvernement se fait le défenseur, avec Mélenchon, le PC et Le Monde diplomatique, du Venezuela : Villepin « a creusé, selon Libération du 15 décembre 2023, ses réseaux dans l’entourage de Chavez et de Maduro ». Dans son ouvrage Ces Français au service de l’étranger, Clément Fayol a révélé ses liens, que l’on pourrait qualifier d’intimes, avec la Chine communiste15. Ajoutons-y l’Iran, si l’on se réfère au Point du 30 novembre 2023. Et ne parlons pas de ses ressources alimentaires auprès des monarchies du Golfe…
Ce gaullo-communiste16 (de grande obédience) – pour reprendre l’expression de Raymond Aron, développée par Henri-Christian Giraud, Nicolas Tenzer, Eric Brunet – persiste et signe dans un interminable papier de près de trois pages, que publie Le Monde diplomatique de juin 2024, où, s’agissant de l’Ukraine, il continue à dénoncer le comportement de Washington, qui « laisse le monde en grand désordre », la part de responsabilité du brave Poutine – agressé, lui – étant vaguement esquissée.
Sa dénonciation d’une seule partie du conflit israélo-palestinien lui vaut d’être accusé d’antisémitisme. Qui vient à son secours ? Natacha Polony, qui dans un éditorial dithyrambique, lui rend un hommage appuyé ainsi qu’aux maîtres à penser de la journaliste, les Chevènement-Védrine17 – elle les idolâtre –, s’en prenant avec véhémence à « l’atlantisme béat et moutonnier qui domine le champ politique et médiatique français ». Peu après, Marianne du 7 décembre 2023 hisse Villepin au niveau d’un Talleyrand et de Roland Dumas, sans aucun doute le plus corrompu titulaire du Quai d’Orsay…
Lors du débat sur France 2 l’opposant, le 23 novembre 2024, à Elisabeth Borne, Villepin appelle à « faire barrage à la diplomatie américaine, qui prétend vouloir régler vite et tout seul (sic) » la guerre lancée par Poutine. Le même jour, il va jusqu’à penser que « la guerre contre le terrorisme ne règle pas les problèmes d’insécurité et ne conduit pas à la paix ». Seul l’hebdomadaire Franc-tireur du 27 novembre s’est fait l’écho de cette singulière bienveillance pour le terrorisme, qu’il avait déjà manifestée, ès qualités, quand il s’inquiétait en septembre 2003, alors ministre des Affaires étrangères, de savoir combien de temps le Hamas figurerait sur la liste des organisations terroristes, formant le vœu qu’il en soit radié à terme18. Après le massacre du 7 octobre 2023, l’inspirateur de la désastreuse dissolution de 1997 aurait-il changé d’avis ?
Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.
Notes
- Le Point, 3 octobre 2024.
- Le Monde, 6 novembre 2013.
- Le Figaro, 7 avril 2008.
- Le Journal du dimanche, 2 novembre 2008.
- Le Monde, 9 avril 2011.
- Bulletin quotidien, 6 décembre 2010.
- Le Figaro, 25 octobre 2014.
- Maurice Gourdault-Montagne confirme que « son amitié pour Igor Ivanov qui fut le ministre des Affaires étrangères russe pendant la guerre en Irak s’est poursuivie au-delà de leurs fonctions respectives » (in Les autres ne pensent pas comme nous, Bouquins, 2022, p. 349).
- Propagande. L’arme de guerre de Vladimir Poutine, Autrement, 2024.
- Le Figaro magazine, 23 décembre 2016.
- Challenges, 5 janvier 2017.
- L’Obs, 25 janvier 2018.
- Le Figaro, 19 mars 2018.
- Le Canard enchaîné, 16 mars 2022.
- Plon, 2020, p. 39-45.
- L’expression est reprise par Thomas Legrand dans Libération du 17 septembre 2024, « Dominique de Villepin, à la fête de l’Huma, écho de l’alliance gaullo-communiste ».
- Marianne, 30 novembre 2023.
- Pierre-André Taguieff, Prêcheurs de haine, Mille et une nuits, 2004, p. 94.