L’Ukraine : un récit d’occupation

Un an et demi après la destruction du barrage de Kakhovka, la région de Kherson, toujours occupée par la Russie, vit encore dans l’horreur. Selon la cheffe de l’administration militaire de la ville d’Olechki, Tetyana Hassanenko, interviewée par radio Liberty, « ce qui n’est pas détruit est miné, les gens sont enlevés et ne reviennent pas ».

La moitié de la région de Kherson est occupée depuis le début de l’invasion massive de l’Ukraine par l’armée russe. La libération de l’autre moitié de la région a fait de la ville d’Olechki une ligne de démarcation autour de laquelle les hostilités se poursuivent activement.

Le 6 juin 2023, le barrage de la centrale hydroélectrique de Kakhovka a été détruit. L’Ukraine, sur la base de ses informations, affirme que les militaires russes ont piégé et fait exploser le barrage de l’intérieur. Les autorités russes d’occupation affirment que le barrage s’est effondré à la suite des tirs d’obus de l’Ukraine. La Conflict Intelligence Team a désigné la négligence criminelle comme cause de la catastrophe de la centrale hydroélectrique de Kakhovka : depuis novembre 2022, les forces russes avaient cessé de réguler le débit de la centrale.

Suite à l’inondation, des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur maison et leur ferme. Le nombre exact de victimes est toujours inconnu. Les médecins locaux estiment que 200 à 300 personnes pourraient s’être noyées dans la seule collectivité locale d’Olechki. Les autorités d’occupation russes n’ont fait état que de 59 victimes.

Comment les Ukrainiens d’Olechki continuent-ils à vivre dans ces conditions de guerre, d’occupation et de crise humanitaire ? Dans une interview accordée au projet « Nouvelles de la région d’Azov » de Radio Liberty, la cheffe de l’administration militaire de la ville d’Olechki, Tetyana Hassanenko, a déclaré : « Chaque militaire russe essaie à son arrivée de voler les biens des Ukrainiens et de les détruire. »

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Olechki avant l’occupation russe // nokakhovka.city

« Ils abusent, emportent, tuent »

Selon la responsable, certaines localités de la région d’Olechkivka ont littéralement disparu de la carte de l’Ukraine. Les villages de Podstepnoye, Pechtchanovka, Zaplava, ainsi que la ville d’Olechki elle-même ont subi les plus grandes destructions. La situation était particulièrement critique dans Kazatchi Lagueria, Podlesnoye et Solontsy. Krynki, où vivaient un millier de personnes avant la guerre, est aujourd’hui complètement détruit, il n’y a plus un seul bâtiment qui subsiste. La situation dans les villages de Kostogryzovo, Radinskoye et Tchelbourda, qui sont les plus éloignés de la ligne de front, est plus ou moins stable.

La cheffe de la l’administration militaire indique qu’il est de plus en plus difficile de recevoir des informations en provenance du territoire occupé : les gens ont peur de communiquer pour des raisons de sécurité, et les problèmes de communication et d’alimentation électrique ne font qu’aggraver la situation. « Il est difficile de recharger un téléphone portable et de communiquer même avec des proches, sans parler des autorités. C’est pourquoi les informations sont de plus en plus limitées », explique Tetyana Hassanenko.

Selon elle, la période la plus difficile de l’occupation est celle des rotations des forces militaires russes. « Chaque nouvelle personne qui arrive sur le territoire de la collectivité locale essaie de voler quelque chose pour elle-même, de détruire, de s’installer dans des appartements ou des maisons qui n’ont pas encore été habités. Ils abusent, emportent, tuent. Pour eux, aucune vie n’a de valeur, qu’elle soit humaine ou animale », explique-t-elle. Selon les habitants eux-mêmes, la situation est particulièrement difficile lorsqu’il n’y a pas de bombardements. Car tous ces bombardements donnent l’espoir que le territoire sera libéré.

L’aide humanitaire est pratiquement inaccessible pour les habitants d’Olechki. Parfois, des provocations mortelles ont lieu à cause de cela. « Il a été annoncé que des représentants des autorités d’occupation russes distribueraient de l’aide humanitaire dans la ville d’Olechki. La nuit et le matin du 6 décembre, les gens se sont rassemblés sur le territoire de la colonie pour recevoir cette aide humanitaire. Mais en fait, il y a eu une attaque de drone, avec des morts et des blessés », explique Tetyana Hassanenko.

Selon elle, l’aide humanitaire ou certaines aides financières sont apportées au village de Radensk. Mais cela ne se produit que très rarement, en fonction de la situation. « Les habitants doivent se rendre soit dans la ville de Skadovsk, soit dans les villages des environs de Skadovsk pour recevoir des paiements. Et cela ne signifie pas que, si quelqu’un a réussi à voyager le long de la terrible route, sous les drones, pour arriver à destination, il recevra une aide, un paiement social ou une pension ce jour-là. Les autorités d’occupation peuvent simplement déclarer qu’il y a une menace de missile, fermer les bureaux et ne s’occuper de personne pendant toute la journée », dit-elle.

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Opération de sauvetage des habitants de la région de Kherson après la destruction du barrage de Kakhovka par la Russie, juin 2023. Photo : Serhiy Krouk 

« Les infrastructures sont presque toutes détruites ou minées »

Depuis plus d’un an, de nombreuses localités de la région sont privées d’électricité et de gaz et, depuis la destruction de la centrale hydroélectrique de Kakhovka, il n’y a plus d’approvisionnement en eau.

« Avant l’invasion à grande échelle, Olechki, Kazatchi Lagueria et Krynki disposaient d’un système centralisé d’approvisionnement en eau. Aujourd’hui, il est complètement détruit. Dans d’autres localités, les gens utilisaient des puits privés, certains le font encore. Mais il est très difficile de parler de la qualité de cette eau, car personne ne contrôle son état sanitaire », raconte la fonctionnaire.

Selon Mme Hassanenko, l’électricité n’est présente que dans deux localités de la région : Radensk et Kostogryzovo. Ce sont les villages les plus éloignés des lignes de combat.

« Les gens essaient d’installer des générateurs pour recharger les téléphones portables, pour communiquer, pour partager avec les voisins qui n’en ont pas, pour se soutenir les uns les autres dans ces terribles conditions d’occupation. Nous sommes conscients du fait que les infrastructures sont presque toutes détruites. Celles qui ne sont pas détruites sont déjà minées ou le seront si les occupants quittent ce territoire. Ils ne manqueront pas de le faire, car c’est leur mission : tout détruire », a déclaré Hassanenko.

Seuls quelques magasins fonctionnent dans la région. Le marché tel qu’il était avant l’invasion n’existe plus, il a été complètement détruit. Il y a également quelques pharmacies, mais la qualité des médicaments laisse à désirer.

Le niveau d’approvisionnement [en médicaments et en nourriture] influe sur le niveau des prix, déclare la fonctionnaire. Tout est vendu à Olechki à un prix exorbitant, même par rapport à Kalantchak, Skadovsk et d’autres collectivités territoriales temporairement occupées.

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Tetyana Hassanenko // khoda.gov.ua

« Il est dangereux de s’y déplacer, c’est pourquoi l’ambulance ne répond pas aux appels »

Avant l’invasion totale, environ 40 000 personnes vivaient dans la collectivité locale d’Olechkivka. Après la première année d’occupation, il n’en restait plus que 16 000, selon la responsable. Depuis l’explosion de la centrale hydroélectrique de Kakhovka en juin 2023, il ne reste pas plus de 7 000 personnes dans la collectivité. Il s’agit principalement de personnes âgées et handicapées, et de ceux qui s’en occupent.

Il n’y a plus aucune activité économique sur le territoire de la collectivité locale, car toutes les entreprises ont été détruites ou pillées, rapporte Hassanenko.

« Seules quelques entreprises communales enregistrées par les occupants fonctionnent. Tout dans la ville est envahi par l’herbe, tout est détruit, c’est un tas d’ordures après l’inondation », dit-elle.

Un hôpital fonctionne dans la région, mais les services ne peuvent être obtenus qu’avec un passeport russe, et les ambulances, ainsi que les sauveteurs, ne se déplacent pas pour répondre aux appels d’urgence. Pour une intervention chirurgicale, il faut se rendre à Kalantchak, à Skadovsk ou même à Simferopol. Et il est obligatoire d’avoir une police d’assurance de la Fédération de Russie.

« Et ne parlons pas des soins médicaux d’urgence – il est dangereux de se déplacer dans cette région, alors, bien sûr, personne ne se déplace pour répondre aux appels. Si une personne a besoin d’une assistance médicale, elle doit se rendre directement à l’hôpital [par ses propres moyens]. Il y a très peu de médecins, beaucoup d’entre eux sont partis pour le territoire contrôlé par l’Ukraine », poursuit Hassanenko.

Pendant la période d’occupation, les autorités russes n’ont jamais réussi à ouvrir un seul établissement d’enseignement dans la région. Selon Mme Hassanenko, les autorités nommées par les Russes ont tenté de « lancer » quelques écoles, mais sans succès.

« Il y a des faits d’enlèvement de résidents. Il est très difficile de retrouver les personnes disparues »

On connaît des cas où des habitants de la collectivité locale d’Olechkivka, qui vivent sur le territoire contrôlé par l’Ukraine depuis un certain temps, retournent dans les territoires occupés pour une raison ou une autre.

« Certains partent pour une courte période : quelqu’un a besoin d’aide pour évacuer des parents handicapés, quelqu’un a besoin de régler des problèmes immobiliers, car les autorités d’occupation annoncent périodiquement qu’elles saisissent des appartements et des maisons. Si les propriétaires ne se manifestent pas, ils en font une propriété communale afin de les vendre plus tard », explique Mme Hassanenko.

Selon elle, les autorités d’occupation ne soutiennent pas les tentatives de retour dans les territoires occupés des personnes qui se trouvent depuis longtemps dans le territoire contrôlé par l’Ukraine ou qui vivent à l’étranger. 

« Un point de filtrage a été créé à Cheremetevo (Moscou), où ces personnes doivent passer par ce que l’on appelle un filtrage. Ce filtrage dure parfois des heures, 24 heures par exemple ; ces personnes sont longuement interrogées et peuvent se voir refuser l’entrée sur le territoire », a déclaré la fonctionnaire.

Mme Hassanenko affirme que les autorités d’occupation ne cessent de harceler la population locale : filtrage, fouilles, contrôles des téléphones portables.

« Il y a des faits d’enlèvement de résidents. Et je pense que nous ne sommes même pas au courant de tous les faits, dit-elle. Nous les enregistrons, nous les transmettons aux autorités compétentes. Il est très difficile de retrouver les personnes disparues, bien que des organisations internationales et bénévoles soient impliquées dans ce processus. »

Malgré cela, selon Mme Hassanenko, chaque collectivité locale de la rive gauche, aujourd’hui contrôlée par la Fédération de Russie, y compris Olechkiska, dispose d’un plan d’action détaillé qui entrera en vigueur au premier jour de la libération des territoires : de la mise en place de défenses à la distribution de l’aide humanitaire.

Traduit de l’ukrainien par Desk Russie

Version originale

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« Novyny Priazovia » est un projet de RFE/RL qui couvre l’actualité du sud de l’Ukraine, en particulier la vie à Marioupol, Kherson, Berdiansk et Henitchesk. L’émission est diffusée en semaine à 15 heures sur les ondes de Radio Krym.Realii (105.9 FM et 648 AM), ainsi que sur la chaîne Radio Svoboda Ukraine sur YouTube. Les contenus du projet sont également publiés sur le site du service ukrainien de Radio Liberty.

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