Ces derniers jours, l’Ukraine a vécu entre désillusion et espoir. Désillusion à cause du refus du Congrès américain de valider le package d’aide militaire préparé par l’administration Biden. Espoir, avec l’accueil chaleureux à la Maison Blanche et l’accueil enthousiaste en Argentine. Mais si Javier Milei a pu offrir à Zelensky un beau chandelier de Hanukkah, il ne peut pas l’aider financièrement, car les caisses de l’État argentin sont désespérément vides. Paradoxalement, la situation n’est guère plus heureuse en Amérique du Nord. Joe Biden, le vieux de la vieille de la guerre froide, comprend parfaitement le danger que représenterait pour son pays et tout l’Occident la victoire russe en Ukraine. Mais il ne peut pas infuser son expérience et ses intuitions aux membres du Congrès qui ont leur propre agenda, surtout à ceux qui sont déjà contaminés par le virus de l’isolationnisme de Donald Trump (America first!). Et la deuxième inculpation du fils du président, Hunter Biden, pour fraude fiscale grave n’augmente sûrement ni la force de persuasion du président, ni ses chances d’être réélu.
Cette même oscillation entre désillusion et espoir attendait l’Ukraine dans les jours fatidiques du sommet européen du 14-15 décembre. Contrairement aux menaces de veto de la part de l’inénarrable et infâme Victor Orban, l’UE a statué de commencer les négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie, mais, de manière significative, a laissé la Géorgie sur le bord de la route. Orban a fait preuve d’une certaine prouesse : il s’est absenté pendant le vote, ce qui a permis aux chefs des pays européens de prendre la bonne décision. Espoir, certes, pour l’Ukraine qui a tant attendu ce jour. En revanche, malgré les 10 milliards d’euros de fonds européens débloqués pour la Hongrie, dans l’unique but d’obliger Orban à voter le package d’aide militaire à l’Ukraine, le premier ministre hongrois, considéré comme un client fidèle de Vladimir Poutine, a dit non. Désillusion de taille, car pour négocier l’adhésion à l’UE, l’Ukraine doit gagner la guerre, et cela, sans une aide militaire à court et à long terme, est difficilement concevable.
Entre-temps, malgré le froid hivernal et des bombardements incessants qui continuent à détruire les infrastructures et à tuer, l’Ukraine tient héroïquement, car c’est sa survie en tant que nation et État qui est en jeu. Nous voyons avec quelle vitesse les Russes instillent leur propagande dans les territoires occupés en l’accompagnant de terreur, d’assassinats, de déportations, d’installations de Russes dans ces régions, d’ « éducation » abjecte dans les écoles et les universités. Comme à l’époque soviétique, dans les pays de l’Est occupés par l’armée soviétique.
D’ailleurs, lors de sa conférence de presse annuelle combinée avec la « ligne directe » avec le peuple, qui n’est en réalité qu’une mise en scène pathétique, Poutine lui-même a répété quels étaient les objectifs de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine : la dénazification et la démilitarisation. En traduisant de la novlangue dans une langue normale, cela veut dire que la Russie espère toujours fomenter un coup d’État à Kyïv pour y instaurer un régime pro-russe qui ferait ce que fait actuellement l’administration militaro-civile des régions occupées ( « dénazification ») et broyer l’armée ukrainienne en détruisant le potentiel militaire de l’Ukraine et sa capacité de se défendre ( « démilitarisation »). Poutine a besoin d’une satrapie à l’instar de la Tchétchénie, république rebelle pacifiée au prix de deux guerres, avec près de 100 000 morts et la destruction quasi-totale du pays. Et d’un satrape semblable à la bête féroce qu’est Ramzan Kadyrov !
C’est pour cette raison que l’Europe et les États-Unis doivent surmonter les désaccords internes. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’a jamais été en danger comme elle l’est maintenant. Les appétits de Poutine vont loin, et il mijote déjà sa vengeance pour les sanctions, pour son ostracisation, pour la décision de la Cour pénale internationale de délivrer un mandat d’arrêt contre lui pour « crimes de guerre ». Aider l’Ukraine, c’est aussi nous aider nous-mêmes et sauver notre honneur.
Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.