Pourquoi la diplomatie ne peut pas mettre fin à la guerre russo-ukrainienne

Les observateurs de la guerre russo-ukrainienne s’accordent à dire qu’elle devrait prendre fin dès que possible. La plupart des Ukrainiens sont tout à fait d’accord. Aujourd’hui, de nombreux Russes, on s’en doute, ne verraient pas d’inconvénient à ce que le carnage cesse. Pourquoi alors n’y a-t-il toujours pas — et n’y aura-t-il probablement pas de sitôt — de fin négociée de la guerre ? Cet article résume les résultats d’un projet mis en œuvre tout au long de l’année 2023.

Il existe plusieurs raisons empêchant un compromis entre Kyïv et Moscou. Notamment : les Constitutions ukrainienne et russe actuelles, les paysages politiques nationaux, les besoins particuliers de la Crimée et son rôle pour la Russie, ainsi que la mémoire historique de l’Europe centrale et orientale. Chacun de ces obstacles à une trêve rapide a son importance. Leur impact combiné sur les décideurs à Moscou et à Kyïv est crucial.

Il est donc vain d’insister, à l’heure actuelle, pour obtenir un cessez-le-feu négocié d’une certaine durabilité — sans parler d’une paix durable — entre l’Ukraine et la Russie. Cette stratégie serait non seulement peu concluante. Elle risquerait également d’absorber l’énergie nécessaire à la poursuite de voies plus prometteuses vers une solution du conflit.

Constitutions de l’Ukraine et de la Russie

Les fondements du droit international, à savoir l’inviolabilité des frontières et l’intégrité territoriale des États, sont des obstacles au compromis entre Kyïv et Moscou qui sont souvent évoqués. Cependant, les normes mondiales fondamentales ne sont pas le principal obstacle juridique à la réussite des négociations et du compromis russo-ukrainien. Dans le passé, la Russie post-soviétique a déjà créé ou soutenu des mouvements séparatistes, déclenché ou attisé des guerres civiles et établi de prétendues « républiques » ou « républiques populaires » dans les régions qu’elle revendique. Mais il y a dix ans, Moscou est allée au-delà de cette stratégie officieuse de destruction des États indépendants issus de son ancien empire.

En mars 2014, la Russie a officiellement annexé la Crimée et l’a intégrée à sa pseudo-fédération. En septembre 2022, Moscou a réitéré ce geste hors du commun et déclaré que quatre régions continentales du sud-est de l’Ukraine faisaient également partie de la Fédération de Russie. La législation interne de la Russie a été modifiée pour les intégrer pleinement. En conséquence, il existe désormais cinq unités administratives de l’Ukraine revendiquées par la Constitution russe et des dizaines d’actes juridiques russes, y compris des lois, des décrets, des résolutions, etc.

Il est évident que la revendication de Moscou est nulle et non avenue, selon le droit ukrainien et international. Contrairement à la croyance populaire en Russie et chez certains observateurs extérieurs mal informés, le droit que la Russie s’attribue sur les cinq régions ukrainiennes occupées est également douteux d’un point de vue historique. Ces territoires ont été colonisés par les empires tsariste et soviétique modernes et ne sont pas la propriété d’un État moscovite primordial. Néanmoins, la prétention illégale et anhistorique de Moscou sur les cinq régions ukrainiennes est désormais pleinement inscrite dans la loi fondamentale russe, la législation fédérale et la structure de l’État. En Crimée notamment, cette situation a déjà eu de profondes répercussions matérielles et psychologiques sur la vie économique, sociale, culturelle et privée de la population locale. 

Ni la Constitution de l’Ukraine ni celle de la Russie ne peuvent être aisément modifiées. En théorie, la Constitution ukrainienne peut être rapidement modifiée par une majorité des deux tiers du Parlement monocaméral ukrainien, la Verkhovna Rada (le Conseil suprême). Dans la pratique, c’est improbable. Ainsi, sous la pression de Berlin et de Paris, l’ancien président Petro Porochenko avait tenté, en août 2015, de modifier la Constitution ukrainienne de manière marginale et temporaire, afin de respecter les tristement célèbres accords de Minsk. Mais la programmation d’un vote parlementaire sur cette réforme constitutionnelle mineure et sans conséquence avait conduit à un affrontement violent devant la Rada. Plusieurs personnes sont mortes et des dizaines ont été blessées dans le centre-ville de Kyïv. La proposition de statut spécial temporaire pour les parties du Donbass occupées par la Russie n’a pas été adoptée par le Parlement. Dans ce contexte et compte tenu d’autres facteurs, l’Ukraine ne renoncera jamais à son territoire légitime.

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Affrontement devant la Verkhovna Rada le 31 août 2015 // Wikimedia Commons

En revanche, la perspective d’un retour de la Russie sur les réformes constitutionnelles de 2014 et 2022 mettant en œuvre les annexions est politiquement moins fantasque qu’une cession par l’Ukraine de ses territoires temporairement occupés. Cependant, le respect par la Russie de ses obligations en vertu du droit international — si et quand une telle intention émergera — ne sera pas facile à mettre en œuvre. Non seulement il est politiquement plus facile d’annexer des territoires que de les céder, mais la procédure russe de révision constitutionnelle est également plus compliquée que celle de l’Ukraine.

Un hypothétique vote de désannexion par le Parlement russe ne serait que la première de plusieurs étapes dans la mise en œuvre d’une nouvelle réforme constitutionnelle. Pour qu’une telle révision devienne réalité, il faudrait que le régime au pouvoir à Moscou et la situation sur le terrain en Ukraine changent fondamentalement. En d’autres termes, le renoncement formel de la Russie à l’aventure expansionniste de Poutine n’interviendra qu’après et non avant sa fin matérielle. L’espoir que l’Ukraine et/ou la Russie puissent, à la suite d’un processus diplomatique, promulguer une abrogation, même temporaire, de leurs constitutions actuellement en vigueur est irréaliste.

Contraintes de la politique intérieure 

L’Ukraine et la Russie comptent toutes deux des groupes sociaux et politiques importants qui s’opposent catégoriquement à tout compromis territorial et politique avec l’ennemi. En raison du lourd bilan de la guerre pour les deux pays, même des concessions symboliques à l’autre partie entraîneraient des problèmes de politique intérieure pour les gouvernements ukrainien et russe. Des mesures de conciliation mineures en direction de l’autre partie, résultant de négociations hypothétiques, seront considérées comme des actes de trahison nationale. Un nombre plus ou moins important de citoyens et de partis entiers s’y opposeront. Ils feront entendre leur voix et deviendront politiquement et peut-être même physiquement actifs.

Certes, de tels groupes sont fondamentalement différents à bien des égards en Ukraine et en Russie — moralement, historiquement, culturellement, etc. D’un côté, la majorité des citoyens ukrainiens exige simplement le rétablissement de la loi, de l’ordre et de la justice dans tous les territoires occupés, même si le pourcentage d’Ukrainiens partisans de cette position a quelque peu diminué au cours de l’année 2023.

De l’autre côté, on trouve beaucoup de personnalités russes qui insistent pour que certains gains territoriaux et politiques résultant de l’intervention militaire de Moscou en Ukraine depuis 2014 restent permanents. L’aile radicale de ce camp, y compris Vladimir Poutine lui-même, pense que l’expansion territoriale réalisée jusqu’à présent est en fait insuffisante. Pour eux, certaines régions qui n’ont pas encore été illégalement annexées par la Russie, comme Odessa et Mykolaïv, sont également russes et devraient revenir à la Russie. En outre, la non-appartenance actuelle de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN devrait, selon ce point de vue, devenir permanente. La souveraineté de l’Ukraine devrait également être limitée dans plusieurs autres domaines, de la langue aux politiques de défense.

Cependant, une future acceptation populaire russe de la perte de la plupart des gains relatifs de la Russie en cas de défaite est plus probable et peut devenir plus répandue qu’une acceptation populaire ukrainienne d’une reconnaissance écrite des pertes de territoire et/ou de souveraineté. 

Même après un hypothétique changement de la Constitution russe ou ukrainienne, ou des deux, il subsisterait un double défi politique interne pour la réussite des négociations. Si les gouvernements russe et/ou ukrainien devenaient enclins à mettre fin à la guerre par la négociation, on ne sait pas quel compromis ils seraient en mesure de vendre aux parties les plus intransigeantes de leur public national. Moscou et Kyïv risqueraient toutes deux une guerre civile à l’intérieur de leurs frontières.

En fait, depuis 2014, Moscou tente délibérément de transformer la guerre interétatique initialement déléguée, puis ouverte, de la Russie contre l’Ukraine en une guerre civile au sein de la nation politique ukrainienne. Pendant huit ans, l’Occident a curieusement soutenu cette stratégie du Kremlin en faisant pression sur Kyïv pour qu’il mette en œuvre les accords de Minsk. Cette politique honteuse de Berlin et de Paris n’a pris fin qu’en février 2022.

Comme l’a montré la mutinerie de Prigojine à l’été 2023, la perspective de troubles civils intérieurs est désormais devenue un problème pour les dirigeants russes. Le soulèvement armé de Prigojine était motivé, il convient de le rappeler, par le bellicisme insuffisant à ses yeux de Moscou et non par son pacifisme. Il est donc peu probable que Kyïv ou Moscou soient en mesure de faire des concessions suffisantes pour obtenir un cessez-le-feu durable, sans parler d’un accord de paix.

Le casse-tête de la Crimée

Un autre obstacle de taille à une fin négociée de la guerre est le rôle particulier de la Crimée dans l’esprit national russe et l’expansion militaire depuis 2014. La Crimée est la conquête territoriale la plus populaire que Poutine ait présentée à la nation russe. C’est une acquisition bien plus appréciée que Donetsk, Louhansk, Zaporijjia ou Kherson. Et ce malgré le fait que l’annexion de 2014 était basée sur un récit historique profondément erroné concernant une Crimée prétendument russe.

Pendant 32 ans seulement, de 1922 à 1954, la Crimée a été administrativement liée au territoire de l’actuelle Fédération de Russie. Auparavant, elle était reliée au territoire de l’actuelle Ukraine continentale méridionale par l’intermédiaire du khanat de Crimée (jusqu’en 1783) et du gouvernement taurin de l’empire Romanov (1802-1917). Après une brève période au sein de la soi-disant République socialiste fédérative soviétique de Russie, elle a été reliée à la République soviétique d’Ukraine (1954-1991), puis à l’Ukraine indépendante (depuis 1991).

Le caractère russe de la Crimée est en partie une fiction historique et en partie le résultat d’une ingénierie démographique impitoyable menée par les gouvernements moscovites pré-soviétiques et post-soviétiques. Au cours des 240 dernières années, Saint-Pétersbourg/Moscou a réduit la part des Tatars de Crimée dans la population de la Crimée de plus de 84 % en 1785 à 12 % aujourd’hui, selon les statistiques officielles russes. Les tsars, les bolcheviks et Poutine se sont livrés à une répression violente, à des déportations et à des expulsions afin de chasser définitivement des centaines de milliers de Tatars de Crimée de leurs terres natales. 

Les politiques coloniales de Saint-Pétersbourg/Moscou sur la péninsule de la mer Noire ont également entraîné le remplacement des populations indigènes par des Slaves orientaux. Jusqu’en 1991, cela concernait également les Ukrainiens, qui représentaient alors environ un quart de la population de la Crimée. Depuis les années 1940, la majorité de la population de Crimée est d’origine russe. La proportion de Russes n’a dépassé les 50 % qu’après la violente déportation massive par Staline de la quasi-totalité des autochtones de Crimée vers la partie asiatique de l’Union soviétique en 1944. Nombre d’entre eux sont morts sur le chemin de leur exil forcé. La domination démographique de l’ethnie russe en Crimée — obtenue grâce à un terrible crime de masse — date de moins de 80 ans.

Néanmoins, aujourd’hui, la plupart des Russes et certains observateurs extérieurs pensent que la Crimée appartient à la Russie. Chez les Russes, cette mythologie est davantage motivée par la beauté de la péninsule, ses longues plages sur la mer Noire et son climat méditerranéen que par l’histoire de la Crimée, qui n’est en grande partie pas russe. Lorsque Poutine a annexé la Crimée en 2014, de nombreux Russes se sont tellement réjouis que l’indice de perception de la corruption de la Russie, tel que mesuré par Transparency International, a temporairement baissé. En 2014, année de l’annexion, le ciel était plus bleu et l’herbe plus verte pour la plupart des Russes. Cela ne rend pas seulement improbable une restitution de la Crimée à l’Ukraine par la Russie à la suite de négociations, mais crée également un dilemme stratégique particulier pour le Kremlin. Moscou pourrait à un moment donné être intéressée par la fin de la guerre. Les nouveaux dirigeants russes pourraient même être prêts à « sacrifier » certains des territoires de la Russie continentale annexés en 2022. Pourtant, la Crimée a toujours eu besoin de ces mêmes territoires ukrainiens au nord pour son propre développement.

Le lien géographique et historique étroit entre la Crimée et la partie continentale de l’Ukraine a été la principale raison pour laquelle, en 1954, le gouvernement soviétique a décidé collectivement (et non Nikita Khrouchtchev personnellement) de transférer la Crimée de la république soviétique russe à la république soviétique ukrainienne. En 2022, c’est une considération quelque peu similaire qui a poussé Poutine à attaquer l’Ukraine de plein fouet. Après s’être emparé de la péninsule en 2014, il s’est rendu compte que la Russie devait également occuper les territoires ukrainiens au nord de la Crimée pour assurer le développement économique durable de la perle de la mer Noire. Entre 2014 et 2021, la Crimée annexée a été non seulement la région la plus illégale de la Fédération de Russie, mais aussi la plus subventionnée.

La Crimée fait donc partie intégrante d’une zone géo-économique plus vaste, qui englobe également de grandes parties de l’Ukraine continentale. Dans une hypothétique négociation russo-ukrainienne sur l’avenir des territoires actuellement occupés, ce sera tout ou rien, non seulement pour Kyïv, mais aussi pour Moscou. Ce sera d’autant plus vrai lorsque le pont de Kertch (2019) sera détruit par les forces armées ukrainiennes, ce qui se produira probablement tôt ou tard. Une acceptation partielle par la Russie de la reconquête par l’Ukraine de ses territoires continentaux tout en laissant la Crimée comme lot de consolation à Moscou ne serait pas seulement inacceptable pour Kyïv. Ce serait également une solution insoutenable pour le Kremlin. Garder la Crimée comme une enclave isolée, loin des autres territoires contrôlés par la Russie, n’aurait pas beaucoup de sens, ni sur le plan économique, ni sur le plan stratégique, pour Moscou.

Néanmoins, de nombreux observateurs non ukrainiens considèrent la Crimée comme un objet de négociation et un instrument de compromis. En réalité, la péninsule n’est ni l’un ni l’autre. Un simple coup d’œil sur la carte et la consultation de l’histoire de la Crimée sur Wikipédia devraient montrer clairement qu’en cas de négociations, la péninsule serait un élément du problème plutôt qu’un moyen de le résoudre. La nécessité pour la Crimée d’être étroitement reliée à la partie continentale de l’Ukraine au nord, c’est-à-dire aux régions de Zaporijjia, de Kherson et du Donbass, diminue la probabilité d’un compromis entre Kyïv et Moscou.

Le scepticisme des pays d’Europe centrale et orientale à l’égard de Moscou

Le facteur le plus important qui retient Kyïv de négocier prématurément avec Moscou est sans doute son expérience historique avec la Russie, ainsi que l’interprétation comparative de son dilemme actuel. L’histoire nationale de l’Ukraine et le passé d’autres pays d’Europe centrale et orientale laissent supposer que la Russie ne respectera pas un accord conclu par un compromis diplomatique plutôt que par une victoire militaire. Au cours des 30 dernières années, l’Ukraine indépendante a signé des centaines d’accords avec la Russie, dont la plupart sont aujourd’hui caducs.

Il s’agit de mémorandums ou d’accords politiques tels que le mémorandum de Budapest de 1994 ou les accords de Minsk de 2014-2015, ainsi que d’accords pleinement ratifiés tels que le pacte trilatéral de Belovej de 1991 signé par Boris Eltsine ou du traité frontalier bilatéral russo-ukrainien de 2003 signé par Vladimir Poutine. Plusieurs de ces documents reconnaissent explicitement les frontières, l’intégrité et la souveraineté de l’Ukraine. Pourtant, même ceux qui ont été signés par le président russe et ratifiés par le Parlement russe ont été violés en 2014 et 2022.

L’un des premiers exemples post-soviétiques les plus instructifs du comportement de Moscou vis-à-vis de ses anciennes colonies est son intervention et ses négociations avec la Moldavie au début des années 1990, alors que Poutine n’était encore qu’un bureaucrate secondaire à Saint-Pétersbourg. En 1992, le commandant de la 14e armée russe, feu Alexandre Lebed, a justifié l’intervention de ses troupes dans un conflit interne à la Moldavie en invoquant que le nouveau gouvernement moldave se comportait plus mal que les SS 50 ans plus tôt. Lebed a ainsi fourni l’explication que Poutine a ensuite utilisée pour ses invasions en Ukraine en 2014 et 2022. Le soutien militaire russe aux séparatistes pro-russes en Moldavie a conduit à la consolidation d’un pseudo-État séparatiste, la République de Transnistrie-Moldavie. Cette entité à la forme étrange s’étend sur des centaines de kilomètres entre la rive orientale de la rivière Dniestr et la frontière de la Moldavie avec l’Ukraine.

Pour résoudre le problème, la Moldavie et l’Occident ont fait dans les années 1990 ce que de nombreux observateurs non ukrainiens conseillent aujourd’hui à Kyïv, Washington et Bruxelles de faire. Chisinau a entamé des négociations avec Moscou et a impliqué des organisations internationales telles que l’OSCE dans la résolution du conflit. L’Occident n’a pas sanctionné économiquement la Russie ni soutenu la Moldavie par des armes. En 1994, Chisinau a signé un traité avec Moscou sur le retrait des troupes russes de Moldavie. En outre, dans sa nouvelle Constitution adoptée en 1994, la Moldavie s’est définie comme un pays en dehors des blocs. Elle exclut ainsi une future adhésion à l’OTAN. Au cours des années suivantes, de multiples négociations ont eu lieu entre Chisinau et Tiraspol, avec et sans la participation de l’Occident. Des échanges économiques, des contacts interpersonnels et d’autres mesures de confiance ont été mis en œuvre, avec la participation d’organisations internationales et d’autres instruments de médiation et de résolution des conflits.

Pourtant, les restes de la 14e armée de Lebed, aujourd’hui appelée Groupe opérationnel de la Fédération de Russie, sont toujours en Transnistrie. Ils continuent de maintenir le quasi-régime séparatiste. Après plus de trois décennies, le pseudo-État soutenu par Moscou sur le territoire internationalement reconnu de la Moldavie est bien vivant. La « république » de Transnistrie remplit, pour le Kremlin, depuis 2014, la fonction supplémentaire de créer une menace pour la sécurité de l’Ukraine depuis l’ouest.

Depuis trente ans, la Moldavie est l’un des pays les plus pauvres d’Europe et un État en faillite permanente. Le sort de la Moldavie, le succès de l’expérience transnistrienne de Moscou et le comportement de l’Occident sont devenus des expériences instructives pour le Kremlin. Ils ont influencé le comportement et les stratégies de la Russie en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2014. La fonction de modèle de la Transnistrie est allée si loin que certains fonctionnaires du quasi-gouvernement du pseudo-État installés par Moscou à Tiraspol ont été transférés dans le Donbass au printemps 2014. Ils y ont contribué à la création des soi-disant « républiques populaires » de Donetsk et de Louhansk, annexées par la Russie en septembre 2022.

Cette situation et d’autres aventures similaires de Moscou dans l’espace post-soviétique n’augurent rien de bon, du point de vue ukrainien, pour les négociations avec le Kremlin. Les Ukrainiens, ainsi que plusieurs autres nations et ethnies des anciens empires tsariste et soviétique, ont, au fil des siècles, accumulé de nombreuses expériences amères avec l’impérialisme russe, qui est aujourd’hui encore l’idéologie à peine déguisée de Moscou. Ces leçons historiques conduisent à penser, non seulement à Kyïv, mais aussi à Helsinki, Tallinn, Riga, Vilnius, Varsovie, Prague ou Bucarest, que l’Ukraine doit remporter une victoire — au moins partielle — avant d’entamer des négociations sérieuses avec la Russie. Ce n’est que face à un désastre militaire que Moscou s’engagera dans une véritable recherche d’un compromis susceptible d’être acceptable pour Kyïv et de tenir la route.

Conclusions

Les négociations commenceront à jouer un rôle, à un moment donné. Cependant, elles devront attendre que la situation sur le terrain et à Moscou évolue à un point tel qu’elles aient un sens pour Kyïv. Un accord signé avant que l’Ukraine n’ait obtenu, au moins, un avantage militaire important et une position de négociation plus forte sera probablement une mascarade. Au mieux, il permettra de reporter le conflit armé plutôt que d’y mettre fin.
Un accord de cessez-le-feu rapide aujourd’hui pourrait en fait contribuer à prolonger la durée globale de la guerre de haute intensité. Il irait à l’encontre des préoccupations sécuritaires qui ont conduit à l’ouverture des négociations. À titre de comparaison, les accords de Minsk ont effectivement apaisé en 2014 et 2015 la confrontation armée en cours à l’époque. Cependant, ils n’ont pas empêché l’escalade massive de 2022, et l’ont sans doute préparée.

Une fois qu’un accord significatif aura été signé entre Kyïv et Moscou, il faudra veiller à ce qu’il fonctionne. Compte tenu du comportement de la Russie dans l’espace post-soviétique au cours des 30 dernières années, il ne sera possible de garantir une paix future qu’avec une dissuasion militaire plausible contre une nouvelle escalade. La fourniture d’un soutien militaire substantiel à Kyïv est donc la bonne stratégie à trois égards. Premièrement, elle contribuera à préparer des négociations significatives dès maintenant, deuxièmement, elle garantira — contrairement aux accords de Minsk — un accord durable entre Kyïv et Moscou au moment opportun à l’avenir et, troisièmement, elle maintiendra la paix intacte par la suite. Au printemps 2014, en Crimée, l’approche pacifiste choisie par Kyïv a été approuvée, voire encouragée par l’Occident. Il en est résulté la plus grande guerre européenne depuis la Seconde Guerre mondiale. Une conclusion triviale de ce désastre stratégique est que le comportement de Kyïv et de l’Occident devrait être guidé par une analyse empirique des défis actuels plutôt que par des intentions bien bienveillantes mais irréfléchies et des références historiques non pertinentes.

Traduit de l’anglais par Desk Russie.

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Andreas Umland est analyste au Centre de Stockholm pour les études sur l'Europe de l'Est, qui fait partie de l'Institut suédois des affaires internationales (UI), professeur associé de sciences politiques à l'Académie de Kyiv-Mohyla, et directeur de la collection « Soviet and Post-Soviet Politics and Society » publiée par Ibidem Press à Stuttgart. Son livre le plus connu est Russia’s Spreading Nationalist Infection (2012).

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