Cet article analyse les discours haineux voire génocidaires de la propagande russe sur l’Ukraine et les Ukrainiens. Selon les auteurs, ce sont ces discours qui ont probablement conduit à la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Dans le cas d’un génocide, le droit international considère l’incitation comme un comportement criminel. Il s’agit du sixième volet du projet du Centre pour l’intégrité démocratique (Vienne), « Russia’s Project “Anti-Ukraine” », dont Desk Russie est le partenaire francophone.
Introduction
Entre février et mai 2023, le Réseau international d’action stratégique pour la sécurité (iSANS)1 a mené une étude visant à identifier et à analyser les déclarations de la propagande russe et biélorusse qui contiennent une incitation directe et publique au génocide des Ukrainiens. Nous avons sélectionné et analysé plus de 150 messages pertinents dans les médias contrôlés par l’État russe, ainsi que des exemples de déclarations de « narrateurs » non issus de l’appareil de l’État sur la guerre, celles des « blogueurs militaires » et autres activistes russes favorables à la guerre sur Telegram et d’autres réseaux sociaux, ainsi que sur des sites d’hébergement de vidéos tournées entre 2021 et mai 2023. En outre, nous avons étudié les concepts idéologiques qui sont devenus la base des politiques d’État anti-ukrainiennes de la Russie et, pour ce faire, nous nous sommes intéressés aux déclarations antérieures. Cet article résume les résultats de notre recherche sur la propagande russe.
Les rapports faisant état de crimes de masse commis par l’armée russe contre la population civile en Ukraine dès le début de l’invasion de 20222 ont suscité une demande d’analyse du rôle joué par la propagande dans la perpétration de crimes en Ukraine et, plus particulièrement, de documentation des cas d’incitation au génocide. La raison pour laquelle l’accent est mis sur l’incitation au génocide est que, à la différence d’autres discours haineux et discriminatoires, une telle incitation est définie comme un crime international dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après « la Convention »), article III, paragraphe C.
Notre expérience en matière d’analyse de la propagande3 nous conduit à penser qu’une campagne de haine à long terme dans les médias d’État russes a joué un rôle important en rendant les atrocités russes en Ukraine possibles et acceptables pour de larges segments de la société russe. Pour ces raisons, nous estimons que les principaux propagandistes qui incitent à commettre des crimes contre les Ukrainiens devraient être traduits en justice au même titre que ceux qui commettent ces crimes.
Les propagandistes ne sont pas seulement ceux qui mènent directement des campagnes de haine — directeurs de médias, « journalistes », « experts », animateurs de talk-shows — mais aussi ceux qui fixent le cap idéologique, notamment les personnalités politiques et publiques, les théoriciens, les idéologues et, surtout, le président russe Vladimir Poutine.
Dans chaque cas, il doit être établi qu’une personne particulière a influencé, créé ou distribué de manière significative des messages de propagande pertinents et qu’elle avait l’intention d’inciter au génocide. Bien que les déclarations idéologiques ne soient pas pénalement punissables, elles doivent être évaluées pour leur rôle dans l’élaboration des politiques publiques et leur contribution à la création d’une base pour l’émergence de messages plus radicaux incitant directement à commettre un génocide.
Le rôle de la propagande et de l’incitation au génocide dans sa mise en œuvre
La Convention définit le génocide comme suit:
Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
(a) Meurtre de membres du groupe ;
(b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
(c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
(d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
(e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Par conséquent, l’incitation à commettre l’un de ces actes criminels est une incitation au génocide.
Le génocide est un crime de masse qui nécessite l’acceptation par un grand nombre d’exécutants de la tâche de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux entier, ou une partie de ce groupe. Tous les cas reconnus de génocide ont été accompagnés d’une propagande de masse agressive4. L’analyse des récits de propagande est donc d’une importance capitale pour la qualification juridique des crimes, en particulier pour établir l’intention génocidaire, déterminer les causes des crimes commis et prévenir de nouveaux crimes.
La pratique des tribunaux internationaux découle du poids exceptionnel de la propagande dans la perpétration des génocides et d’autres crimes internationaux tels que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, par exemple lors de la persécution et de l’extermination massive des Juifs par le régime nazi en Allemagne et dans les territoires occupés par le Troisième Reich ; lors du massacre de Serbes, de Croates et de Musulmans bosniaques dans les conflits en ex-Yougoslavie ; lors du génocide des Tutsis au Rwanda.
La Convention définit « l’incitation directe et publique à commettre un génocide » comme un acte punissable distinct, au même titre que le génocide proprement dit, l’entente en vue de commettre le génocide, la tentative de génocide et la complicité dans le génocide (article III), ce qui constitue un concept juridique fondamental. Cette forme de crime se distingue par le fait que ces incitations sont punissables, qu’elles aient été suivies ou non d’actes de génocide.
Selon l’article IV de la Convention, les personnes qui commettent un génocide ou tout autre acte énuméré à l’article III, y compris l’incitation directe et publique à commettre un génocide, sont passibles de sanctions, qu’il s’agisse de gouvernants, de fonctionnaires ou de particuliers.
La justice internationale agit lentement, mais elle est persévérante, puisqu’il s’agit d’un crime imprescriptible. L’année 2022 a vu le début du procès à La Haye de Félicien Kabuga, 89 ans, fondateur et parrain de la Radio Télévision Libre des Mille Collines au Rwanda, qui était en fuite depuis plus de 25 ans.
Difficultés liées à la définition d’un « groupe protégé »
En préparant cette étude, nous avons été confrontés à la question de savoir qui peut être identifié comme une cible de génocide, au sens de groupe protégé par la Convention : « le peuple ukrainien », « le peuple d’Ukraine » ou « les Ukrainiens » ?
À notre avis, le terme correct pour le groupe protégé est « Ukrainiens », en tant que groupe national avant tout. L’Ukraine présente une grande variété de différences linguistiques, ethniques, religieuses, culturelles et autres, qui se reflètent dans les caractéristiques régionales. Il est donc difficile de décrire simplement l’ensemble du groupe protégé comme « ethnique ». Nous considérons que l’auto-identification des personnes en tant qu’« Ukrainiens » est un facteur fondamental. La grande majorité des personnes vivant en Ukraine se considèrent comme appartenant à la « nation ukrainienne », indépendamment des différences susmentionnées. Il ne s’agit pas seulement d’avoir la citoyenneté ukrainienne, mais aussi d’appartenir à une « nation civique », qui a émergé activement, en particulier pendant les épreuves des dix dernières années.
L’identification subjective du groupe cible aux yeux des acteurs, qui sont porteurs d’une intention génocidaire, est encore plus importante aux fins de l’identification de l’incitation au génocide. Pour les idéologues impérialistes, les habitants « nazifiés » de l’Ukraine sont précisément ceux qui se considèrent comme des Ukrainiens.
Il découle logiquement de cette idée que si ces Ukrainiens « faux » et/ou « nazifiés » persistent, la Russie n’a d’autre choix que de les éliminer. L’incitation à la « dénazification » des Ukrainiens se transforme facilement en incitation directe à l’élimination de personnes sur la base de leur auto-identification en tant que membres d’un groupe national indépendant et de leur refus de fusionner avec un autre groupe national.
Combien d’« Ukrainiens faux » y a-t-il (qui doivent donc être détruits) selon les propagandistes russes ? Ils ont commencé par qualifier de « nazis » les membres des unités militaires Azov et Aïdar, puis ils ont inclus les dirigeants politiques ukrainiens et, plus tard, ont commencé à parler de millions d’Ukrainiens « incurables ».
Fondement idéologique : rejet du concept d’Ukraine en tant qu’État souverain
L’incitation à l’éradication de l’Ukraine en tant qu’État, du point de vue de la Convention, n’est pas qualifiée d’incitation au génocide, puisqu’elle ne se réfère pas à un groupe de personnes protégé. Toutefois, les appels à la destruction de l’État ukrainien jouent un rôle important dans la justification des violences et des meurtres commis à l’encontre de membres d’un groupe protégé.
Premièrement, les propagandistes ont souvent fait des déclarations sur la destruction de l’Ukraine et de sa population sans définir concrètement ce qui doit être détruit ou qui doit l’être, comme « éliminez-la et c’est tout », « arrêtez le projet ukrainien », etc.
Deuxièmement, les allégations selon lesquelles l’Ukraine est un « non-État » ou un État « nazi » ou « satanique » qui représente une menace pour la Russie ne sont pas seulement un concept idéologique et un élément central de la politique de l’État russe — elles ont également des implications pratiques. Elles sont utilisées pour permettre à la population russe d’accepter plus facilement la nécessité d’une guerre agressive, d’un bombardement massif de cibles civiles et d’une destruction de villes pacifiques, et aux militaires russes d’entreprendre la tâche de surmonter les barrières morales à la violence et à l’assassinat de civils. En substance, un tel endoctrinement idéologique, surtout lorsqu’il est répété à haut niveau et pendant des années, prépare un terrain fertile pour l’acceptation par le public de déclarations faites à un stade ultérieur de l’évolution de la propagande, y compris le discours de haine et, à l’extrême, l’incitation à des crimes, y compris le génocide.
Dès 2008, lors de sa conversation avec le président américain George W. Bush, Poutine a exprimé sa politique anti-ukrainienne : « L’Ukraine n’est même pas un État. Qu’est-ce que l’Ukraine ? Une partie de ses territoires se trouve en Europe de l’Est, mais la plus grande partie est un cadeau de notre part. »
Toutefois, des publications remettant en cause la souveraineté et l’identité ukrainiennes sont apparues bien avant le fameux argument de Poutine sur l’Ukraine. Par exemple, en 1997, Alexandre Douguine, l’un des principaux idéologues du néo-impérialisme, a écrit : « L’Ukraine en tant qu’État n’a pas de sens géopolitique. Elle ne possède pas de message culturel particulier d’importance universelle, ni de spécificité géographique, ni d’exceptionnalisme ethnique. »5
Dans le même temps, la machine de propagande russe a popularisé le mythe des « terres russes historiques » qui auraient été enlevées à la Russie par les anciennes républiques soviétiques. Après de nombreuses années de matraquage du public russe, le régime de Poutine n’a plus eu besoin de faire beaucoup d’efforts pour le préparer à la guerre, car les graines de la discorde et de la haine sont tombées sur un sol fertile.
Une fois la Crimée annexée et une partie du Donbass annexée en 2014, la propagande pro-Kremlin n’a plus caché que l’objectif de la Russie était de contrôler complètement l’Ukraine. Par exemple, un éminent activiste russe pro-guerre, l’écrivain Zakhar Prilepine, a déclaré : « Kiev est le but ultime. […] Kiev est une ville russe. Une ville russo-ukrainienne. […] L’objectif est l’Ukraine tout entière. Il ne peut y avoir d’autre objectif. »6 Cependant, à part les menaces, rien de concret n’a été exprimé par les autorités pendant huit ans.
Le signal à partir duquel il est devenu clair que Poutine préparait une grande offensive a été son long article « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », publié en juillet 2021. Un ton d’apparence conciliant à l’égard des Ukrainiens y alternait avec le rejet de l’histoire et de l’identité ukrainiennes. L’article contenait également de vagues menaces à l’encontre de certaines forces qui tentaient de transformer l’Ukraine en une « anti-Russie ».
Quelques semaines après le début de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, la principale agence de presse de l’État russe, RIA Novosti, a publié un article du consultant politique Timofeï Sergueïtsev intitulé « Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine » , qui pourrait bien être qualifié de « manifeste du génocide ». Pour la première fois, le terme « désukrainisation » a été utilisé pour caractériser la politique de l’État russe. Sergueïtsev écrit : « La dénazification inclut inévitablement la désukrainisation — le rejet de l’inflation artificielle à grande échelle de la composante ethnique dans l’auto-identification de la population des territoires historiques de Malorossia et de Novorossia, qui avait été lancée par les autorités soviétiques. »
Autre « innovation » de l’article, la notion de culpabilité collective des Ukrainiens, formulée par Sergueïtsev :
« La dénazification est nécessaire lorsqu’un nombre considérable de personnes (très probablement la majorité) a été soumis au régime nazi et s’est engagé dans son programme. C’est-à-dire lorsque l’hypothèse “bon peuple – mauvais gouvernement” ne s’applique pas. […]
La dénazification est un ensemble d’actions visant la majeure partie de la population nazie, qui techniquement ne peut pas être directement punie en tant que criminels de guerre. […]
La dénazification de cette partie de la population prendra la forme d’une rééducation par le biais de répressions idéologiques (suppression) des paradigmes nazis et d’une censure sévère non seulement dans la sphère politique, mais aussi dans les sphères de la culture et de l’éducation. »
Après février 2022, les responsables et les propagandistes russes ont tenté de justifier l’invasion à grande échelle en avançant l’idée qu’il n’y avait pas d’État à conquérir, car l’Ukraine n’était même pas un véritable État.
Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe :
« Pourquoi l’Ukraine va-t-elle disparaître ? Parce que personne n’en a besoin. […] Un ersatz d’Ukraine n’est pas du tout un pays […]. Les morceaux de Russie, appelés Ukraine à l’intérieur des frontières de 1991, ne sont qu’une confusion résultant de l’effondrement de l’URSS. Nous n’avons donc pas besoin de cet ersatz d’Ukraine. […] Personne sur la planète n’a besoin de cette Ukraine. C’est pourquoi elle cessera d’exister. »
Konstantin Malofeev, propriétaire et président de Tsargrad TV :
« L’objectif [de l’opération militaire spéciale] devrait être la destruction complète de cette pseudo-entité étatique néo-nazie et anti-chrétienne […]. La véritable Ukraine fait partie intégrante de la Russie. »
Alexandre Douguine, idéologue impérialiste :
« L’Ukraine fera partie du grand empire eurasien ou n’existera pas du tout. »
Piotr Tolstoï, député russe :
« Nous devons poursuivre jusqu’à ce que nous ayons totalement détruit la peste nazie et que l’organisation terroriste internationale appelée “Ukraine” cesse d’exister. »
Discours de haine : Les cinq D +
Notre étude s’appuie notamment sur le concept de langage incitatif développé par les chercheurs du Centre de Jérusalem pour la prévention du génocide7. Du point de vue juridique, les expressions génocidaires, tout en étant des éléments essentiels du discours de haine et du langage d’incitation, ne constituent un crime que si elles comprennent également l’incitation directe et publique à détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, tel que défini dans la Convention, ou qu’un lien direct à cette incitation est établi. Les citations provenant d’un large éventail de sources de propagande russe fournies dans cette section comprennent des exemples où de telles expressions sont combinées à une incitation directe à l’éradication des Ukrainiens.
La définition de l’incitation au génocide comprend ce que l’on appelle les « cinq D + ». Nous utilisons la classification proposée par le Centre de Jérusalem, complétée par des modifications mineures et commentaires de notre part :
(1) Déshumanisation : attribuer à un autre groupe humain des qualités « inhumaines », par exemple en le comparant à des animaux (en particulier des insectes), à des zombies, à des vampires ou à des maladies pour susciter un sentiment de dégoût, de répulsion et de mépris. Cette méthode a été largement utilisée pendant le génocide des Tutsis au Rwanda par les propagandistes de la Radio-Télévision Libre des Mille Collines, qui incitaient au meurtre des Tutsis et les qualifiaient de « cafards » qu’il fallait « exterminer ».
(2) Diabolisation : (a) rejeter la responsabilité des malheurs et des échecs de son groupe sur un autre groupe ; (b) provoquer un sentiment de peur à l’égard de ce groupe, par exemple en lui attribuant des propriétés monstrueuses et mystiques.
(3) Délégitimation : nier l’existence d’un autre groupe, son droit à la mémoire et à l’histoire, rejeter son identité nationale et l’accuser de crimes.
(4) Désinformation : présenter des informations fausses ou incomplètes pour dénigrer un autre groupe.
(5) Déni : nier les faits historiques, les atrocités passées et le droit de se souvenir des victimes passées.
(6) Menaces : déclarations d’intention d’infliger des douleurs, des blessures, des dommages ou d’autres actions hostiles à un autre groupe.
(7) Glorification de la terreur : ériger les auteurs de violences génocidaires en héros et en modèles (comme la commémoration de « martyrs » ou l’octroi de compensations financières aux familles de « martyrs » ou de terroristes).
À un degré ou à un autre, les sept éléments des « Cinq D + » se retrouvent dans le langage anti-ukrainien de la propagande russe. Toutefois, les exemples cités dans cette section se limitent aux déclarations les plus notoires qui ne comprennent que quatre des sept points de ce schéma : les trois premiers « D » ainsi que le point 7 (glorification de la terreur). Les déclarations qui contiennent les trois autres éléments — désinformation, négation des faits historiques et du droit à la mémoire des victimes du passé, et menaces — sont citées dans d’autres sections.
Déshumanisation
Vladimir Soloviov, un important présentateur de la télévision russe :
[À propos de l’opération militaire spéciale :] « Lorsqu’un médecin donne un vermifuge à un chat, il s’agit pour lui d’une opération spéciale ; pour les vers, c’est une guerre ; et pour le chat, c’est un nettoyage. »
Choukhrat Adilov, un mercenaire russe :
« Je peux dire une chose avec certitude : nous combattons des non-humains. Si on ne les arrête pas, ils viendront chez nous et tueront nos enfants, et ceux qui survivront seront transformés en drogués et en pervers. »
Andreï Moukovoztchik, propagandiste biélorusse :
« Les Ukro-nazis doivent être éliminés comme des cafards : une bonne fois pour toutes. »8
La diabolisation
Sergueï Axionov, le « chef » de la Crimée annexée :
« Nous comprenons qu’en traitant avec ce régime [ukrainien], nous avons affaire non seulement à des forces anti-russes, mais aussi à des forces anti-chrétiennes. En d’autres termes, à des satanistes. »
Ramzan Kadyrov, chef de la République tchétchène :
« En quelques mois d’opération militaire spéciale en Ukraine, nous avons vu […] les pires manifestations du satanisme remonter à la surface : fascisme flagrant, impiété absolue, cynisme noir et propagande LGBT agressive. »
Délégitimation
Vladimir Jirinovski, député russe (aujourd’hui décédé) :
« Personne n’a besoin de vous [les Ukrainiens] ; vous êtes tous des déchets européens, on n’a pas besoin de vous, et vous êtes en train d’être nettoyés ! […] Vous êtes du fumier européen ! Vous devez disparaître, mais pas tout de suite, des dizaines d’années vont encore s’écouler. Vous serez encore 30 millions, puis 20, puis 10. »
Andreï Medvedev, employé des médias publics et membre de la Douma de la ville de Moscou :
« Dans l’ensemble, la nation ukrainienne n’existe pas : il s’agit d’une orientation politique. […] Les Ukrainiens sont des Russes qui ont été convaincus qu’ils sont spéciaux, plus européens, plus purs sur le plan racial et meilleurs que les Russes. »
Sergueï Mikheev, collaborateur des médias d’État et homme politique :
« Un khokhol politique9 est une personne totalement dénuée de principes, peu éduquée, terriblement méchante, incroyablement avide et vile. »
La glorification de la terreur
L’une des formes de glorification de la terreur est l’encouragement démonstratif par les autorités de ceux qui la commettent. Le 18 avril 2022, deux semaines après la révélation du massacre par les Russes de civils ukrainiens dans la ville de Boutcha près de Kyïv, Vladimir Poutine a conféré le titre honorifique de « Garde » à la 64e brigade de fusiliers motorisés des forces terrestres russes. Le commandant de la brigade, le colonel Azatbek Omourbekov, sanctionné par la majorité des pays occidentaux pour son implication dans le massacre de Boutcha, s’est vu décerné, sur ordre secret de Poutine, le titre de « Héros de la Fédération de Russie » « pour le courage et l’héroïsme dont il a fait preuve dans l’accomplissement de son devoir militaire ». Il a été également convié à participer au défilé militaire du « Jour de la Victoire » à Khabarovsk, le 9 mai 2023.
Incitation à l’éradication des Ukrainiens
Les trois sections suivantes se concentrent sur les cas d’incitation directe et publique au génocide, y compris le meurtre d’Ukrainiens, l’imposition délibérée aux Ukrainiens de conditions de vie visant à entraîner leur destruction physique totale ou partielle en tant que groupe, et le transfert forcé et l’assimilation d’enfants ukrainiens. Comme indiqué ci-dessus, l’incitation à ces actes de génocide est un crime international.
Comme dans le cas d’autres génocides, les exemples « purs » d’incitation publique directe à l’élimination des Ukrainiens sont rares dans la propagande russe. Néanmoins, les cas d’incitation à la destruction de l’ensemble du peuple ukrainien ou d’une partie de celui-ci se détachent assez nettement du flux général de haine.
Alexeï Jouravlev, député russe :
« Deux millions [d’Ukrainiens “incurables”] doivent être dénazifiés, c’est-à-dire éliminés. »
Anton Krassovski, présentateur de la chaîne de télévision RT :
« Vous auriez dû noyer ces enfants [qui prétendent que l’Ukraine est occupée par la Russie]. Noyez ces enfants, noyez-les ! […] Dès que vous les entendez dire “occupée par les moskali” 10, jetez-les immédiatement dans les rapides d’une rivière. […] Ou bien vous les enfermez dans des huttes et vous les brûlez. »
Ilia Yansen, propagandiste et mercenaire :
« Nous avons besoin de terreur, comme le monde n’en a jamais vu. […] L’Ukraine devrait être en feu en ce moment, et des centaines et des milliers de veuves derrière les lignes ennemies devraient pleurer amèrement. »
Igor Mangouchev, personnalité publique russe (aujourd’hui décédée) et mercenaire de la soi-disant « République populaire de Lougansk » (RPL) :
« Notre guerre est une guerre contre une idée. Contre l’idée que l’Ukraine est un État (anti-russe). […] L’Ukraine doit être désukrainisée. Tous ceux qui se considèrent comme des Ukrainiens seront détruits. »
Pavel Goubarev, personnalité publique russe née en Ukraine :
« Les Ukrainiens sont des Russes possédés par un démon. Nous n’allons pas vous tuer, nous voulons vous convaincre. Mais si vous ne voulez pas que nous vous convainquions, nous vous tuerons. Autant qu’il le faudra : nous tuerons un million, cinq millions, nous pouvons tous vous éliminer, à moins que vous ne compreniez que vous êtes possédés par un démon et que vous avez besoin d’être guéris. »
Incitation à imposer des conditions de vie insupportables
Comme indiqué ci-dessus, selon la Convention, le fait d’infliger délibérément au groupe des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle est l’un des actes constitutifs du crime de génocide. Dès le début de l’invasion, la Russie a impitoyablement tiré des missiles, des bombes et des pièces d’artillerie sur des bâtiments résidentiels et des infrastructures civiles dans les villes et les villages ukrainiens. Dans le même temps, la machine de propagande pro-Kremlin a jubilé, hué et célébré la souffrance et la mort des Ukrainiens, et a exigé encore plus de frappes contre la population et les infrastructures civiles.
Andreï Gourouliov, député russe :
« L’absence d’électricité signifie l’absence d’eau, l’absence de réfrigérateurs, l’absence d’égouts. Une semaine après la coupure de l’électricité, la ville de Kiev nagera dans la merde, passez-moi l’expression. Il y aura une menace évidente d’épidémie. […] Nous pousserons le flot de réfugiés vers les frontières occidentales. […] Tout cela est assez efficace, c’est pourquoi je suppose qu’il faut continuer [les bombardements russes sur les infrastructures civiles ukrainiennes], ce qui aura l’effet escompté. »
Boris Tchernychov, député russe, vice-président de la Douma d’État :
« Ils [les habitants de l’Ukraine] resteront sans gaz, sans lumière et sans rien, car si le régime de Kiev a choisi la voie des criminels de guerre, ils devraient tous geler et pourrir sur place. »
Sergueï Mardane, chroniqueur pour le média pro-régime Komsomolskaïa Pravda :
« En éteignant les lumières en Ukraine [par des bombardements], la Russie crée un réflexe conditionné chez les khokhols : “Les lumières sont éteintes, cela signifie que j’ai fait quelque chose de mal. Que dois-je faire pour rallumer la lumière ?” L’essentiel est de comprendre que les lumières s’éteignent non pas à cause des missiles Kalibr [russes], mais à cause du désordre dans leur tête et leurs propres actions. »
Vladlen Tatarski, blogueur pro-guerre et « correspondant militaire » (aujourd’hui décédé) :
« Même dans le domaine de la défense, les infrastructures doivent être détruites. Les hôpitaux ne fonctionneront pas et davantage de khokhols mourront sur les tables d’opération. »
Incitation au transfert forcé et à l’assimilation des enfants ukrainiens
Selon la Convention, le transfert forcé d’enfants du groupe cible à un autre groupe constitue un crime de génocide. L’incitation au transfert forcé d’enfants ukrainiens des territoires occupés vers la Russie, à leur adoption dans des familles russes et à leur russification est donc également un crime punissable.
Aujourd’hui, ces actions russes sont considérées par la Cour pénale internationale (CPI) comme un crime de guerre. Le 17 mars 2023, la CPI a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de Poutine et de la commissaire présidentielle russe aux droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, pour déportation illégale d’enfants ukrainiens des territoires occupés vers la Russie. En avril 2023, une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a reconnu ces actions comme un génocide. Il n’est pas exclu que les déclarations justifiant la déportation illégale d’enfants ukrainiens vers la Russie soient également considérées comme une incitation à commettre un génocide.
Maria Lvova-Belova, commissaire présidentielle russe aux droits de l’enfant :
« Nous avons également discuté des conditions de vie des enfants évacués des républiques de Donetsk et de Lougansk et de l’Ukraine. J’ai appelé mes collègues à faire preuve d’audace et de persévérance lorsqu’il s’agit de protéger les droits de nos petits citoyens. »
Anna Dolgareva, poète pro-guerre :
« La dénazification n’est possible que de manière purement physique. Il suffit de détruire ceux qui sont en guerre contre nous et d’élever leurs enfants dans l’esprit russe. »
« Ces enfants, qui ont subi un lavage de cerveau dès leur naissance et sont devenus des “Ukrainiens”, doivent être habilement et systématiquement recyclés. Les enfants doivent être élevés comme des Russes normaux et des citoyens russes, et ne pas être nourris de la nostalgie du “paradis ukrainien perdu” aux frais de l’État. Toute famille qui exigera à partir de maintenant des cours d’ukrainien pour ses enfants est une cellule du Daesh ukrainien. »
Conclusion
En préparant l’invasion massive de l’Ukraine, la machine de propagande russe n’a cessé d’affirmer que l’Ukraine n’existait pas, qu’elle était apparue artificiellement à cause d’une politique erronée des autorités soviétiques, et que les Ukrainiens étaient des Russes convaincus de ne pas l’être.
De plus, la propagande russe utilise une déclaration très répandue de Vladimir Poutine selon laquelle l’Ukraine est un projet que l’on peut qualifier d’« anti-russe ».
Sur la base de ces idées, l’existence même des Ukrainiens et l’indépendance de leurs actions sont niées, tout comme l’identité nationale des Ukrainiens et leur droit à l’autodétermination et à la création d’un État. Toute tentative des Ukrainiens de se défendre est décrite comme une menace pour la Russie. Ces idées sont devenues la justification idéologique de l’agression à grande échelle de la Russie contre l’Ukraine et de la poursuite de l’occupation des territoires ukrainiens.
Les dirigeants russes ont donné le ton de la campagne de propagande anti-ukrainienne. Les articles et les discours politiques diffusés à la télévision et promus sur Internet par les dirigeants de l’État russe, en particulier Vladimir Poutine mais aussi Dmitri Medvedev, n’ont cessé d’affirmer et de promouvoir les idées décrites ci-dessus, endoctrinant ainsi le public russe. Cela prouve l’existence d’une politique d’État clairement définie, dirigée contre l’existence de l’Ukraine en tant qu’État indépendant et niant l’existence des Ukrainiens en tant que groupe ethnique indépendant.
L’évolution de la propagande donne lieu à une nouvelle escalade de la rhétorique, alors qu’il est déjà difficile de distinguer les discours de haine des cas d’incitation au génocide. Parmi l’ensemble des déclarations de la propagande anti-ukrainienne, nous voyons clairement des cas d’incitation à l’élimination des Ukrainiens ou de ceux d’entre eux qui sont qualifiés d’ « irrécupérables » — les Ukrainiens qui, selon la propagande russe, ne veulent pas renoncer à leur identité ukrainienne.
Les cas d’incitation à l’extermination de tous les Ukrainiens ou d’une partie d’entre eux — en les tuant, en leur infligeant des conditions de vie insupportables ou en transférant de force leurs enfants — constituent une violation manifeste de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Afin de garantir l’exactitude des preuves juridiques et de ne pas s’engager dans une interprétation large de la norme juridique, il convient de discuter de l’incitation à la destruction partielle des Ukrainiens en tant que groupe national. Les cas documentés d’incitation de ce type peuvent être utilisés comme preuve d’un crime devant les tribunaux internationaux, y compris la CPI.
Compte tenu du rôle clé de la propagande dans le fonctionnement du régime russe et de l’ampleur considérable de la machine de propagande, il semble évident que nombre de ces cas d’incitation au génocide ont pu avoir une influence directe sur le terrain et conduire à la perpétration de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, éventuellement, de génocide.
Nous espérons que les preuves documentées et présentées dans ce chapitre et dans d’autres recherches seront considérées comme des éléments de preuve par les tribunaux internationaux et qu’elles permettront de traduire les propagandistes russes en justice pour leurs crimes d’incitation au génocide, dans le cadre d’un processus plus large visant à garantir la responsabilité des crimes internationaux commis par le régime de Poutine au cours de son agression contre l’Ukraine.
Traduit de l’anglais par Desk Russie. Lire la version originale.
À lire également: Les idéologues russes visent à liquider la nation ukrainienne
Notes
- L’iSANS est une initiative d’experts internationaux visant à identifier, analyser et contrer les menaces hybrides qui pèsent sur la démocratie, l’État de droit et la souveraineté des pays d’Europe et d’Eurasie.
- Voir, par exemple, « Rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur l’Ukraine », Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 19 octobre (2023).
- Rapports d’analyse ; rapports de suivi
- Voir, par exemple, « Interview: How Hate Speech Triggered Genocide against the Tutsi in Rwanda » ou « La lutte contre “l’ère sombre de l’intolérance” commence par l’éradication des discours de haine ».
- Aleksandr Dougine, Osnovy geopolitiki (Moscow: Arktogeia, 1997), p. 377.
- Dans les citations des parties prenantes russes pro-régime, nous utilisons ci-après les transcriptions russes, plutôt qu’ukrainiennes, des noms des villes et des régions d’Ukraine.
- Elihu D. Richter, Dror Kris Markus, Casey Tait, « Incitement, Genocide, Genocidal Terror, and the Upstream Role of Indoctrination: Can Epidemiologic Models Predict and Prevent? », Public Health Review, Vol. 39, No. 30 (2018).
- Bien que la citation provienne d’un propagandiste biélorusse, nous avons choisi de la présenter en raison de sa nature frappante et illustrative, en particulier dans sa comparaison d’un groupe cible à des cafards : une analogie qui fait écho à la rhétorique utilisée dans le génocide rwandais. Depuis septembre 2020, la propagande biélorusse reflète étroitement celle de la Russie, notamment en adoptant un ton hostile et un langage génocidaire à l’égard des Ukrainiens.
- Khokhol est un surnom péjoratif donné par les Russes aux Ukrainiens.
- Moskali est un surnom péjoratif donné par les Ukrainiens aux Russes.