En Russie, des criminels graciés par Poutine en échange de leur participation à la guerre contre l’Ukraine récidivent à leur retour du front.
Au cours des deux dernières années, des militaires russes rentrés du front ont commis au moins 107 assassinats et mutilé plus d’une centaine de personnes en Russie, selon le média Verstka. Selon l’enquête, ces crimes ont été commis par 175 militaires russes, dont 91 anciens prisonniers graciés par Vladimir Poutine, ainsi que 84 volontaires ou soldats de l’armée russe.
Dans la ville de Nikolskoïe, district de Tosno, région de Leningrad, un mercenaire de la société militaire privée Wagner, qui revenait de la guerre, a tué et démembré la sœur de sa concubine.
Selon Fontanka, Alexeï Serov, 42 ans, est venu dans la région de Leningrad pour gagner de l’argent après être rentré d’Ukraine l’été dernier. Il a rejoint la guerre depuis une colonie pénitentiaire en Oudmourtie, où il purgeait une peine de 12 ans pour meurtre (article 111, partie 4, du Code pénal de la Fédération de Russie, atteinte grave à l’intégrité physique entraînant la mort), après avoir signé un contrat avec la CMP (Compagnie militaire privée) Wagner.
Dans la nuit du 21 avril, Alexeï Serov est arrêté dans l’appartement de Nadejda Konioukova, une habitante de Saint-Pétersbourg âgée de 47 ans dont il avait tué la sœur. La police s’est rendue au domicile de Svetlana Konioukova (elle et Nadejda étaient sœurs jumelles) après le signalement de sa disparition par sa fille de 20 ans. Une valise contenant des restes humains a été trouvée avec le détenu. Le mercenaire a avoué avoir tué et démembré la victime à la suite d’une querelle de ménage.
« Tout Nikolskoïe est en état de choc après la nouvelle du meurtre ! Nous ne savions pas qu’il avait été gracié et libéré prématurément de sa peine pour un meurtre antérieur. Ce n’est pas un habitant de la région et on ne sait pas très bien comment il est arrivé ici. S’il était au chômage, a-t-il été embauché pour de petits boulots ? Mais en le regardant, on voyait bien que quelque chose allait se passer. Ils buvaient beaucoup, a déclaré Svetlana (le nom a été modifié), une habitante de Nikolskoïe. Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’ai tout de suite pensé qu’ils étaient ivres. »
La police s’est rendue à Nikolskoïe quelques jours après que Ioulia Moukhtorova, une habitante de Saint-Pétersbourg âgée de 20 ans, a signalé la disparition de sa mère Svetlana Konioukova.
Ioulia elle-même a refusé de parler du meurtre de sa mère à un correspondant de la rédaction. Toutefois, les voisins de la sœur de la victime ont déclaré que leur fille avait « perdu sa mère » le 10 avril.
« Après la déclaration de la fille, la police s’est rendue à l’adresse de la sœur. Il s’est avéré que toutes deux sont enregistrées dans un appartement de la rue Komsomolskaïa. J’ai cru comprendre qu’elles avaient récemment hérité de cet appartement, leur mère étant décédée. La police a frappé et sonné pendant un long moment, puis finalement Serov, ivre, a ouvert l’appartement et n’a même pas pu dire un mot, a déclaré une autre résidente de Nikolskoïe, Irina. Il n’a pas pu expliquer d’où venait la valise dans laquelle les restes de Nadejda ont été retrouvés. Pendant qu’ils [les policiers] frappaient, une deuxième valise a volé par la fenêtre, dans laquelle il y avait l’autre moitié de son cadavre. »
Selon ces habitantes, ainsi qu’elle l’ont appris plus tard, le conflit avait commencé par une querelle entre les deux sœurs, puis Serov était intervenu et avait étranglé Svetlana.
« Lorsqu’elle a cessé de respirer, il s’est rendu dans un magasin d’articles industriels voisin, y a acheté une scie et une valise à roulettes. Il buvait de la vodka et sciait le cadavre par intermittence. C’est pourquoi ils l’ont trouvé dans un tel état d’ébriété », explique Irina.
Le 2 avril, on a appris qu’une enquête était menée dans la région de Samara sur une affaire criminelle : Alexeï G., qui était revenu de la guerre, avait attiré chez lui la fillette de 9 ans d’un voisin sous prétexte de lui offrir une glace. Il a fermé la porte d’entrée à clé, l’a bâillonnée avec un chiffon et a commencé à la battre. Selon la chaîne Telegram Baza, il l’a tenue par les cheveux et lui a frappé la tête contre le sol, puis l’a traînée jusqu’à la baignoire, l’a aspergée d’eau et a continué à la battre. La jeune fille a été diagnostiquée avec de multiples écorchures, contusions, hémorragies et hématomes. Alexei G. est arrivé au front en provenance d’une colonie pénitentiaire, où il avait été emprisonné pour atteinte grave à la santé ayant entraîné la mort. Six mois plus tard, il a été gracié par décret de Vladimir Poutine. Ce nouveau crime sera bientôt examiné par le tribunal.
À Sourgout, le 4 avril, l’homme d’affaires Arsen Daoudov a été tué dans la cour de sa maison devant ses proches. La police a découvert qu’il avait été abattu par un résident local, Abdoul Zakavov, spécialisé en tir de combat, qui a été condamné à 9 ans et demi de prison pour vol en 2019.
On ne sait pas quand exactement il a été libéré. Selon les médias locaux, s’étant enrôlé depuis la colonie dans la CMP Wagner, il a reçu la grâce de Poutine après la capture de Bakhmout, et il est retourné à Sourgout. Le 10 avril, il s’apprêtait à repartir en guerre, mais fut arrêté après avoir commis un meurtre, apparemment sous contrat.
Le 5 avril, on apprend qu’un combattant de la CMP Wagner, qui avait violemment attaqué quatre femmes et avait dévalisé trois d’entre elles en 2020, près de Volgograd, est revenu de la guerre et a été à nouveau condamné pour tentative de meurtre sur une jeune femme. Samedov avait également été jugé en 2013 pour viol et actes de violences aggravées. Le 21 février 2023, Samedov, qui avait été gracié à la suite de sa participation à la guerre, a décidé de faire la connaissance d’une jeune fille de 18 ans alors qu’il était ivre. Suite à son refus, Samedov l’a attrapée et l’a poignardée au moins cinq fois dans le corps, le cou et le visage, avant de s’enfuir. Il a été appréhendé quelques jours plus tard. Il a expliqué au tribunal son acte par les « conséquences de la guerre » et son état d’ébriété. Comme circonstances atténuantes, le tribunal a pris en compte sa participation à la guerre, la présence de récompenses d’État et de récompenses de la CMP Wagner, ainsi qu’une note positive de la part de la Ligue pour la protection des intérêts des anciens combattants. Il a été condamné à six ans de prison.
Des rapports faisant état de récidives commises après une grâce pour avoir participé à la guerre contre l’Ukraine sont régulièrement établis depuis le second semestre 2022, lorsque la CMP Wagner a commencé à recruter des prisonniers. Il s’agit notamment de meurtres et de viols répétés.
Ainsi, il y a un mois, un ancien mercenaire de la CMP Wagner, Andreï Frolov, a été arrêté à Kourgan. Une affaire criminelle a été ouverte contre Frolov, 34 ans, pour le viol d’une fillette de neuf ans.
Selon le comité d’enquête, Andreï Frolov avait été condamné à plusieurs reprises pour viol, meurtre, détournement d’avion, insulte à des officiers de police et conduite en état d’ivresse. En novembre 2022, alors qu’il purge une nouvelle peine, il signe un contrat avec la CMP Wagner et part en guerre en Ukraine. Six mois plus tard, en mai 2023, il revient, ayant bénéficié d’une grâce présidentielle. Le 22 mars 2024, il est arrêté parce qu’il est soupçonné d’avoir violé une fillette de 9 ans.
« Il s’agit d’une affaire très médiatisée à Kourgan. Je connais ce personnage par l’intermédiaire de mon fils, qui a toujours dit du mal de lui. Il a été incarcéré pour deux meurtres, de 2013 à 2018. Puis il est revenu en prison, dit-on, pour viol. Par conséquent, au moment du recrutement en 2022, il était de nouveau dans la colonie pénitentiaire, déclare une résidente de Kourgan. En d’autres termes, on n’attendait rien de bon depuis son élargissement l’année dernière, mais on ne s’attendait pas à cela, même de sa part ! D’autre part, qui est à blâmer [pour le nouveau délit de Frolov] ? À mon avis, c’est ceux qui l’ont libéré : il a été condamné pour deux meurtres et un viol — comment ont-ils pu le gracier ? »
Selon une autre personne interrogée par Sibir.Realii, Andreï Frolov a menacé ses voisins après sa libération, déclarant qu’en cas de conflit, il « pourrait aller jusqu’à les tuer ». « Il n’aura même pas eu à rester en prison : l’armée recrute désormais dans les colonies, il combattra pendant six mois, reviendra et il ne lui arrivera rien. Ils l’ont évité et ne s’en sont pas plaints, bien qu’il ait organisé des beuveries et leur ait gâché la vie de toutes les manières possibles », raconte une connaissance. Or, dès que l’on commence à écrire sur le net, des personnes bizarres viennent immédiatement prétendre que ce “héros de la SVO” a été piégé. C’est révoltant ! »
En réalité, le seul « défenseur » du suspect de viol d’enfant de Kourgan s’est avéré être son ancien compagnon de cellule.
« Oui, nous avons purgé nos peines ensemble de 2023 à 2018. Je suis sûr qu’il n’aurait pas pu faire une telle chose, le gars était humble, travailleur, le meilleur « couturier » de la zone. Était-il impliqué dans un meurtre ? Je ne sais pas, on ne pose pas de questions sur ce genre de choses entre les détenus. Il y a différentes sortes de meurtres, la légitime défense par exemple. Le viol ? Je n’en sais rien. Mais le type avait l’air normal, je ne crois pas qu’il en était capable », déclare Roman.
Après la grâce et le retour de Frolov de la guerre, ils ne se sont plus jamais revus.
« Je sais que la guerre change beaucoup les gens. Mais je n’ai fait que partager le souvenir que j’avais de lui, à savoir qu’il était normal à l’époque », répète le compagnon de cellule de Frolov, qui purge une peine pour meurtre.
D’autres habitants de Kourgan ne partagent pas son avis.
« Je l’ai connu enfant, je ne connais pas ses « exploits » chez Wagner, mais je sais qu’il y a de nombreuses années, il a violé et tué une fille qu’il connaissait — son corps a été retrouvé à l’entrée du village. Je ne veux pas me souvenir de tout cela, je ne me souviens pas de l’âge qu’il avait à l’époque, mais il a aujourd’hui environ 36 ans. Il était en prison, nous n’avons pas cherché à savoir ce qu’il avait fait par la suite. Mais une chose est claire : de telles bêtes ne devraient pas être relâchées », déclare une connaissance de Frolov, originaire de Kourgan.
En mars, Sibir.Realii écrivait qu’un meurtrier et pédophile de Novossibirsk était en liberté parce qu’il avait « tué plusieurs autres innocents en Ukraine ». Polina Semianova, l’ex-femme de Nikita Semianov, qui a participé à l’invasion russe de l’Ukraine, a écrit sur le réseau social VKontakte qu’il avait abusé d’elle lorsqu’elle avait 13 ans. Elle a décidé de le faire dès qu’elle a appris que son ex-mari était libre, qu’il se rendait régulièrement dans les écoles et qu’il communiquait librement avec les enfants. Plusieurs autres victimes et témoins oculaires ont confirmé à Sibir.Realii que Semianov « avait des relations sexuelles avec des filles âgées de 13 à 15 ans » et qu’il battait également la fille qu’il avait eue lors de son premier mariage.
Le 21 mars, on a appris qu’au Kamtchatka, un ancien détenu de retour de la guerre (selon Baza, Nikita C., 32 ans) avait pris une femme en otage dans son appartement. Selon Baza, « il a fait le tour des pièces avec un couteau sous la gorge et a refusé de laisser sortir sa victime ». Il avait déjà été condamné pour atteinte grave à la santé. Il a été appréhendé par la suite.
Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Russie a commencé à recruter massivement des prisonniers et à les envoyer à la guerre. Jusqu’au printemps 2023, ils ont été engagés par la CMP Wagner d’Evgueni Prigojine. Par la suite, ils ont commencé à passer des contrats avec l’unité Storm Z, qui dépend directement du ministère de la Défense. En outre, la Rosgvardia (Garde nationale) a commencé à recruter d’anciens prisonniers ayant participé à la guerre en Ukraine.
Depuis 2022, les mercenaires de la CMP Wagner ont été graciés et libérés en échange de leur participation à des opérations de combat en Ukraine pendant six mois. Les décrets de grâce ont été signés par Vladimir Poutine. En janvier, le service russe de la BBC a rapporté que les prisonniers russes qui étaient allés se battre contre l’Ukraine recevaient désormais une libération conditionnelle au lieu d’une grâce du président Vladimir Poutine, et qu’ils devraient servir sous contrat jusqu’à la fin de la guerre.
Une étude des documents judiciaires russes réalisée par Verstka a révélé qu’au moins 190 affaires pénales avaient été déposées contre les mercenaires Wagner graciés en 2023. Il s’agit notamment de 20 cas de meurtre ou de tentative de meurtre, ainsi que de viol, de vol, de délits liés à la drogue et autres.
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Traduit du russe par Desk Russie.
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