Dernière mise à jour le 12 janvier 2025
La Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran ont des objectifs similaires en ce qui concerne l’affaiblissement et la subversion du monde occidental. La coopération entre ces quatre partenaires est déjà plus étroite que celle que l’Allemagne nazie avait pu établir avec l’Italie et le Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. L’entrée en guerre contre l’Ukraine d’un deuxième État doté d’armes nucléaires représente une situation lourde de dangers potentiels pour toutes les démocraties.
Plus on regarde longtemps et attentivement une histoire drôle, notait Nikolaï Gogol, plus elle devient triste. En observant les événements qui se déroulent en Corée du Nord, on se souvient de cette boutade du célèbre écrivain à propos de la condition humaine. Malgré toutes les défaillances économiques et les particularités de son système politique, la décision de Pyongyang d’entrer dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine nous rappelle brutalement que l’Occident n’a guère de raisons de se montrer suffisant ou complaisant.
La Corée du Nord a soutenu la campagne militaire russe de manière disproportionnée par rapport à sa capacité économique relative. Puisant dans ses stocks, le pays a fourni à la Russie d’importantes quantités d’artillerie, obus, roquettes, de missiles balistiques à courte portée. Ces livraisons ont été cruciales, car elles ont freiné l’offensive de l’Ukraine et préparé le terrain pour les avancées progressives de la Russie. En outre, à partir d’octobre 2024, la Corée du Nord a envoyé près de 12 000 de ses soldats, apparemment pour aider les forces armées russes dans leur combat autour de Koursk. En retour, la Russie a fourni à la Corée du Nord des denrées alimentaires, de l’argent et des technologies de défense.
La valeur militaire du déploiement de troupes nord-coréennes peut être contestée. Elles ne peuvent pas être utilisées comme des unités complètes, car elles ont été déployées sans équipement lourd tel que des chars ou d’autres véhicules blindés et, de surcroît, manquent d’interprètes. Utilisées avec parcimonie, elles peuvent néanmoins contribuer à libérer des troupes russes pour les lignes de front. Pour l’Ukraine, comme l’a souligné le président Volodymyr Zelensky, l’entrée en guerre d’un deuxième État doté d’armes nucléaires représente une situation lourde de dangers potentiels.
Les implications plus larges devraient en effet être un sujet de préoccupation. La question de savoir si l’on assiste ou non à l’émergence d’un nouvel « axe », constitué non seulement de la Russie et de la Corée du Nord, mais aussi de la Chine et de l’Iran, ou s’il s’agit simplement d’un « mariage de convenance » entre deux parias du système international, n’a pas lieu d’être. La guerre de la Russie contre l’Ukraine a des dimensions de sécurité mondiale, et les dirigeants politiques de Moscou, Pékin, Pyongyang et Téhéran partagent des objectifs similaires, mais pas identiques.
Le dirigeant chinois Xi Jinping, qui a proclamé son « amitié sans limites » avec Vladimir Poutine quelques semaines avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, s’est contenté d’aider l’économie de guerre russe en lui fournissant des intrants et des technologies à double usage. Il est difficile de trouver des preuves tangibles de l’affirmation selon laquelle Pékin s’inquiète sérieusement de cette fraternité entre la Corée du Nord et la Russie. L’Iran a envoyé ses drones dans le cadre de l’effort de guerre russe et la Russie, en retour, a fourni aux Houthis, un substitut iranien, des données satellitaires sur les navires en mer Rouge. La Russie et la Chine, en leur qualité de membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont à leur tour offert une couverture diplomatique à tout pays désireux de défier l’ordre « occidental », quelles que soient les implications pour les droits de l’Homme, la paix ou la Charte des Nations Unies, déjà bien mal en point.
Les vues et les intérêts de la Russie, de la Chine, de la Corée du Nord et de l’Iran sont largement alignés en termes de politique étrangère. Ces quatre pays partagent la volonté de construire une nouvelle architecture de sécurité internationale, qualifiée de « multipolaire ». Poutine a décrit la Russie comme étant engagée dans une lutte « anticoloniale » avec « l’Occident collectif », qualifiant les États-Unis de « dictature néocoloniale mondiale ». Auparavant, il avait insisté sur le fait que la Russie — avec son invasion de l’Ukraine — défendait ses « valeurs traditionnelles » dans une lutte contre des menaces aussi diverses que le « libéralisme occidental », « Satan » et le « nazisme ». La ministre des Affaires étrangères de la Corée du Nord, Choe Son-hui, a récemment fait remarquer que son pays soutenait la Russie dans sa « guerre sainte ».
Le président russe Vladimir Poutine ne semble pas découragé par l’apparente contradiction dans ses déclarations : selon lui, la Russie est, d’une part, une « puissance souveraine et autosuffisante » capable d’influencer de manière indépendante les événements dans les affaires mondiales et, d’autre part, une victime de la domination de l’Occident. Autrement dit,la Russie est à la fois un empire et un parangon de l’anti-impérialisme. Jouer le rôle de la victime a toujours été politiquement commode, et ses griefs à l’égard d’une menace occidentale peuvent également trouver un écho auprès de publics étrangers.
En se demandant si le monde a affaire à un nouvel « axe » ou non, il convient de rappeler que la coopération entre la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord dépasse déjà, à certains égards, la coopération que l’Allemagne nazie avait pu établir avec l’Italie et le Japon au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les troupes italiennes ont combattu en Afrique du Nord et sur le front de l’Est. Mais Hitler méprisait Mussolini. Et il n’a jamais coordonné ses décisions avec Hirohito. Il n’y avait rien de comparable aux échanges actifs entre les alliés de guerre de Roosevelt, Churchill et Staline, et il n’y avait pas d’équivalent des prêts-bails américains massifs destinés au Royaume-Uni et à l’Union soviétique pour cet axe.
Pour des raisons évidentes, les analogies historiques ont une valeur explicative limitée. Cela dit, l’approfondissement des liens entre la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord constitue une grave menace pour tous les pays qui se trouvent dans leur ligne de mire, de l’Ukraine à Taïwan. Indépendamment de la nature formelle de leurs liens, ils remettent en cause la stabilité et l’ordre en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Ce faisant, ils coordonnent leurs actions. En outre, ils partagent et expriment une vision commune du monde, même si elle n’est pas nécessairement cohérente d’un point de vue idéologique, qui sert à son tour de ciment politique. Découpler cette relation, comme l’ont suggéré certains analystes, est une idée séduisante, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.
L’hypothèse la plus sûre est que les défis actuels sont des défis à long terme et mondiaux, enracinés dans des visions opposées de l’ordre international — ce qui n’est pas tout à fait différent de la situation qui prévalait pendant la Seconde Guerre mondiale. Les gouvernements des États-Unis, d’Europe et d’Asie sont confrontés à des choix de plus en plus difficiles. Les menaces qui pèsent sur l’Ukraine ne disparaîtront pas, et l’incapacité des partisans occidentaux du pays à lui permettre de se défendre conformément au droit international l’a rendu moins bien placé pour un règlement négocié — un scénario désormais privilégié par le futur président américain Donald Trump, et peut-être par plusieurs gouvernements européens. La situation en matière de sécurité dans le monde évolue, et pas nécessairement dans un sens favorable au maintien de la paix et de la stabilité.
Traduit de l’anglais par Desk Russie
Martin Kragh est directeur adjoint du Centre de Stockholm pour les études sur l'Europe de l'Est (SCEEUS) et chercheur principal à l'Institut suédois des affaires internationales. Ses recherches portent sur l'économie et l'histoire de la Russie, mais aussi sur l'évolution politique de la Russie et de l'ex-URSS. Kragh est professeur associé à l'Institut d'études russes et eurasiennes de l'université d'Uppsala.
Il écrit régulièrement sur la politique et l'histoire de l'Europe de l'Est pour Svenska Dagbladet.