Le parti de Moscou ne désarme pas

L’auteur montre qu’avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, un certain nombre de ténors politiques et médiatiques, des extrêmes à la droite gaulliste ou ce qui s’en prévaut, connus pour leur position pro-russe, haussent le ton au nom du « réalisme politique ». Leur plus cher souhait, c’est de composer avec le régime de Poutine, au détriment de nos valeurs.

Valeurs actuelles, que l’on croyait débarrassé de la complaisance envers Poutine de son directeur précédent, reste fidèle à son tropisme pro-russe. Passons sur Lellouche, en mal d’inspiration, pour aboutir en son édition du 12 mars à l’inévitable Sapir, qui s’étend sur deux pages. Il estime que l’Europe s’est « ridiculisée » en soutenant l’Ukraine et que « vouloir remplacer l’OTAN par une structure émanant de l’Union européenne est futile et dérisoire ». On le retrouve dans le dernier numéro de la revue Omerta, plus soumise que jamais à Moscou, où il dénonce le gouvernement de Kyïv, « aux abois […] avec un Zelensky qui ne serait pas réélu ».

La même livraison de Valeurs actuelles accorde à Piotr Tolstoï, interviewé par le complaisant Mériadec Raffray, quatre pages plus une photo pleine page. Tolstoï nous annonce que « la Russie propose la paix » et que « la menace pour la paix, ce sont les subventions et les aides militaires à l’Ukraine » ! Rappelons qu’il a travaillé pour Le Monde et l’Agence France-Presse, dont il fut correspondant à Moscou de 1994 à 1996. L’Union européenne le dépeint comme une « figure centrale de la propagande du gouvernement russe ». Le 19 mars, la même revue consacre deux pages, pleines de compréhension, à Xenia Fedorova, l’ex-présidente de RT France… L’oracle Onfray a droit à sept pages, où il met en parallèle, comme il l’a toujours fait, Russie et Amérique : « La fin de la guerre en Ukraine aura lieu quand un empire l’aura emporté sur l’autre… »

Fillon, Villepin, Villiers, sophistes patentés

Dans son numéro du 5 mars, Valeurs actuelles offre au revenant Fillon de onze pages, où tout est de la faute de l’Oncle Sam, comme toujours : « Les États-Unis auront tour à tour jeté de l’huile sur le feu en manipulant le débat politique en Ukraine et en promettant une adhésion à l’OTAN irresponsable. » Pour l’ex-titulaire de Matignon, Zelensky « a sa part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre et il se refuse aujourd’hui d’arrêter une guerre qu’il ne peut pas gagner », pas moins. Il dénonce « l’accumulation jusqu’à l’absurde des sanctions, l’inutile inculpation de Poutine devant la Cour internationale de justice », condamnant « l’atlantisme béat » des Européens et l’Amérique, « vecteur de désordre plus que de paix » avec ses « innombrables ingérences dans le monde ». Pour le ci-devant député de la Sarthe, « la Russie […] est une menace infiniment moindre ». Incroyable !

Thomas Legrand a été bien inspiré en titrant son éditorial de Libération du 6 mars « Heureusement, la France a échappé à Fillon », au russophile Fillon, ex-salarié de Moscou, où il ne s’est pas appauvri. Rappelons qu’il était le candidat le plus cité sur Russia Today, si l’on se réfère au courageux et éloquent ouvrage de Maxime Audinet, qui porte le titre de ce média russe.

Dans Le Monde diplomatique de juin 2024, l’« islamo-gaulliste » Galouzeau de Villepin – intime d’Edwy Plenel ! – exprimait-il une position différente ? Parmi ceux qui l’encouragent à présenter sa candidature à la présidentielle de 2017, un certain Aurélien Pradié, député ex-LR, pour lequel « dans l’histoire politique de notre pays, il y a de grands personnages, je vais en prendre deux : Marchais et Séguin1 ». Qu’un élu de droite célèbre, glorifie le stalinien Marchais, n’est-ce pas stupéfiant ? Quand l’on sait que Villepin participa à la dernière fête de L’Humanité – où il fut fort applaudi voire acclamé – et qu’il est célébré par La France insoumise, non, rien de stupéfiant.

Dans le genre, l’ex sous-ministre Philippe de Villiers, citant au passage Hubert Védrine, n’est pas mal non plus, s’en prenant au président Macron, qui « déclare la guerre au moment où le monde entier veut faire la paix. Le discours sur la menace russe était surréaliste. […] C’est un fantasme. Le fantasme de quelqu’un qui n’a plus tout à fait sa raison. Non, la Russie, insiste-t-il, n’est pas une menace ». Et de s’aligner sur Moscou à propos de la menace que ferait peser l’élargissement de l’OTAN2. N’est-ce pas plutôt Villiers qui, une fois de plus, perd le sens des réalités ?

Pour poursuivre avec les extrêmes, Dupont-Aignan s’aligne sur Villiers : « On nage en pleine folie. Il n’y a pas de menace russe pour l’Union européenne, c’est un délire inventé par le président de la République pour faire peur aux Français3 ». Et quand l’on voit le beau-frère et conseiller de Marine Le Pen, Philippe Olivier, admirer Mariani, « remarquable, il a un très bon réseau à l’international, c’est une carte valorisante4 », il est à craindre que la formation d’extrême droite comporte toujours autant de poutinolâtres patentés. D’autant que ledit Olivier a condamné la position favorable à l’Ukraine de l’eurodéputé RN, Pierre-Romain Thionnet5.

À la prétendue absence de menace russe, l’inventeur du poutinisme Vladislav Sourkov répond : « Nous nous étendrons dans toutes les directions, aussi loin que Dieu le voudra6. » Pour le terroriste Nemmouche, récemment condamné à la perpétuité, « Poutine a dit que l’Occident était l’empire du mensonge. Il a raison7 ! »

La France insoumise, toujours et encore alignée sur Moscou

À l’extrême gauche, rappelons que les députés de La France insoumise et du parti communiste ont voté, le 12 mars à l’Assemblée nationale, contre l’aide à apporter à l’Ukraine, « mettant en garde contre les discours belliqueux contre la Russie8 », Mélenchon s’employant à minimiser sa responsabilité, s’en prenant à l’ancien président Hollande, qui avait favorisé l’installation du bouclier antimissile en Pologne, menace pour « les 75 % du territoire de la Russie9 ». Claude Malhuret a provoqué l’hilarité générale, à la tribune du Sénat, en qualifiant Mélenchon de « ministre des Affaires étrangères, de l’amitié avec la Russie, le Hezbollah et l’alliance bolivarienne », tandis que Marianne du 20 mars, où sévit toujours Natacha Polony, voit dans le sénateur de l’Allier un « fanatique de l’OTAN », ce qui est autrement plus grave pour le magazine — désormais aux mains du douteux Taddeï – que d’être un agent de Moscou.

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L’intervention de Jean-Luc Mélenchon lors du colloque intitulé « La guerre hors de contrôle » à l’Assemblée nationale, le 14 mars 2025 // Capture d’écran de sa chaîne YouTube

Le 16 mars sur France 3, Mélenchon s’acharne moins sur Poutine que sur Trump, « qui nous menace physiquement, […] qui asphyxie une partie de notre économie ». Il a aussi déploré que l’Europe « nargue et diabolise Poutine […] dans sa servilité atlantiste10 ». Il est rejoint par le député LFI Arnaud Le Gall, pour qui « le gouvernement court en avant dans une vision purement belliciste ». Ou par un autre élu LFI, Bastien Lachaud, qui déclare que « notre vision ne peut pas être européocentrée ». Ce dernier est l’auteur du livre intitulé Faut-il faire la guerre à la Russie ?, dans lequel il épouse les thèses moscovites du genre : « On voit bien que les jugements catégoriques qui condamnent l’action de la Russie en Ukraine sont, au mieux, caricaturaux, au pire tout à fait partisans. […] Entend-on pour autant s’indigner en continu du risque que les États-Unis font peser sur la paix mondiale ? », fustigeant « les années d’encerclement agressif par les États-Unis des abords du territoire russe. […] On voudrait que les Russes voient sans broncher l’avancée de leur vainqueur : c’est absurde et humiliant11 ». Cet ouvrage a fait l’objet d’un compte rendu élogieux dans le Monde diplomatique de mars 2020.

Ainsi que le souligne Le Point du 13 mars 2025, l’axe Trump-Poutine « les embarrasse mais ils trouvent quand même moyen de s’aligner sur Moscou » ; et de citer, outre ceux déjà mentionnés dans notre article, Manon Aubry, Mathilde Panot, Manuel Bompard pour finir, à l’autre bord, avec entre autres Henri Guaino ou Bardella.

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Les députés LFI à l’Assemblée nationale, capture d’écran

Rappelons aussi que le Rassemblement national s’abstint lors du vote du 12 mars précité, Marine Le Pen excluant toute forme d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN comme à l’Union européenne. Visant le chef de l’État, elle réprouvait ces « va-t-en guerre, exagérant la menace russe12 ». Le complaisant Renaud Girard l’a rejointe dans Le Figaro du 18 mars, où il développe toujours les mêmes litanies : parler à Poutine mais, toutefois, ne pas lui céder, le préposé Girard tentant de donner le change, comme il en est coutumier.

Ô Omerta 

Ne serait-il pas préférable de verser 15 € à une œuvre de bienfaisance plutôt que d’acquérir cette revue, dont le coûteux dernier hors-série s’intitule « Ukraine, la guerre sans fin » ?

« Omerta, la voix de Moscou », ainsi que nous intitulions notre article de Desk Russie du 17 novembre 2024. Ne l’est-elle pas plus que jamais ? On y retrouve toujours la même complaisance pour la Russie, avec des auteurs comme les nommés d’Anjou (pseudonyme ?), Le Sommier, Denécé, Tarnowski, Sapir, Michel Pinton…

Les deux premiers cités se sont rendus sur les lieux du combat, ce qui nous vaut d’interminables reportages illustrés, qui donnent l’impression que c’est Le Sommier qui lance les ordres tandis que ledit d’Anjou remarque que « sur le terrain, les Russes que nous rencontrons ont le calme des vieilles troupes », bref de braves types, bien inoffensifs.

Plus loin, une certaine Amélie Ismaïli consacre sept pages intulées « Ukraine : les petits télégraphistes de Kiev et Moscou ». L’autrice essaie de donner le change mais accorde seulement deux notices à des poutinophiles, comme Xavier Moreau et Adrien Bocquet, contre neuf à des auteurs pas vraiment agents, eux, du Kremlin, à savoir Alla Poedie, le général Yakovleff, Elsa Vidal, Julien Pain, Guillaume Ancel, Pierre Servent, Nathalie Loiseau, Raphaël Glucksmann et Nicolas Tenzer, présentés en « défenseurs zélés de la cause ukrainienne, adeptes de la surenchère belliqueuse ».

Mettre en parallèle des séides de Moscou et ses détracteurs est, là encore, stupéfiant. Il est reproché à l’intègre Elsa Vidal de dénoncer les compromissions de certains avec le Kremlin, ce qui lui vaut ce commentaire incroyable : « On serait tenté d’interroger sa propre compromission à l’égard de l’empire de l’Ouest… » Comme si défendre l’Occident, auquel on appartient, était aussi compromettant – voire plus – que d’être inféodé à la Russie ! Autre crime : Nathalie Loiseau est accusée d’être « radicalement alignée avec l’extrême-centre atlantiste ». Guillaume Ancel se voit reprocher, entre autres, ses révélations sur les compromissions de Védrine dans le génocide du Rwanda et, pour Raphaël Glucksmann, référence au Monde diplomatique à l’appui, son soutien au « dictateur géorgien Saakachvili », qui lutta courageusement contre l’agression russe. Le compétent Nicolas Tenzer est presque présenté comme un « agent de la CIA » ou à peu près.On ne reviendra pas sur Denécé et son Centre français de recherche sur le renseignement (Cf2R), dont on connaît la complaisance pour le sanguinaire Bachar el-Assad, et pour Thierry Meyssan and co, proche aussi de Dialogue franco-russe. Alain Soral le cite souvent de son côté. Denécé estime que « les décisions et l’attitude des États-Unis sont la principale raison du retour du risque d’un conflit nucléaire. […] Face à cette attitude et ces provocations américaines, depuis le début du conflit en Ukraine », les Russes ont osé réagir ! Même Politis, d’extrême gauche, l’a dépeint le 8 novembre 2023 comme « réputé pro-Poutine et proche de l’extrême droite ».

Cinq auteurs d’Omerta appartiennent à cette officine, le Cf2R. Ainsi Pierre-Emmanuel Thomann qui ose écrire que « si la France comme nation d’équilibre veut retrouver une marge de manœuvre, une victoire de Moscou est dans son intérêt ». Il enseigne à l’ISSEP, université privée  créée par Marion Maréchal, où sévissent notamment Bruno Gollnisch et Jean-Frédéric Poisson.

Michel Pinton, ancien collaborateur de Giscard d’Estaing – qui n’avait jamais rien compris à la défunte Union soviétique – est sur la même lancée : « Arrachons-nous aux facilités de la tutelle américaine dont l’OTAN est l’outil ». Il s’en prenant surtout au président Biden, « vieillard entêté » né en 1942, tandis que notre Pinton est un jeune homme né en 1937… Cet ex-UDF a rallié Chevènement. Qu’on en juge : « Si l’UE veut survivre en 2030, elle n’a qu’une issue possible : l’entente avec la Russie. […] En nous soumettant à ce tuteur égoïste [l’Amérique], l’Union est conduite à renier ses trois objectifs : elle est happée dans l’engrenage de la guerre, compromet le bien-être de ses peuples et contribue au discrédit de la démocratie ». La solution : rechercher une entente avec Moscou contre « l’illusion atlantiste ».

Une note de lucidité empruntée – eh oui ! – à Valeurs actuelles, ou plutôt à Louis Sarkozy qui, lui, voit clair dans son article du 19 mars, lequel devrait être lu et médité par son père, devenu si bienveillant avec le Kremlin : « L’immense Russie […] brise et persécute ses voisins. […] Aucune expansion de l’OTAN – volontaire, prévisible, légitime – ne justifie l’asservissement des Ukrainiens. Que personne n’ose dire que cette alliance défensive représente une quelconque menace pour Moscou ; ce sont les peuples voisins qui se sentent menacés, d’où leur adhésion ! » Voilà qui va à l’encontre des positions habituelles de l’hebdomadaire.

Concluons plus tristement avec Raphaël Enthoven : « Parce que, grâce à lui [Trump], les émissaires du Kremlin, de François Fillon à Thierry Mariani, de ses idiots utiles, de Manuel Bompard à Jean-Luc Mélenchon, passent pour ce qu’ils sont : des traîtres13. »

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Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

Notes

  1. Gérard Davet-Fabrice Lhomme, Le traître et le néant, Fayard, 2021, p. 377.
  2. Le JDnews, 12 mars 2025.
  3. Valeurs actuelles, 12 mars 2025.
  4. Le Parisien, 22 mars 2025.
  5. Le Point, 13 mars 2025.
  6. L’Express, 20 mars 2025.
  7. Le Monde, 23-24 mars 2025.
  8. Ibid., 14 mars 2025.
  9. Ibid., 13 mars 2025.
  10. Libération, 15-16 mars 2025.
  11. Éditions du Cerf, 2019, p. 73, 82-83, 115.
  12. Le Figaro, 13 mars 2025.
  13. Franc-tireur, 12 mars 2025.

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