Les publications récentes d’Alexeï Navalny témoignent une nouvelle fois de son impressionnante pugnacité autant qu’elles illustrent la répression féroce qui s’abat sur les opposants politiques en Russie. Depuis août, il raconte avoir été placé en cellule d’isolement à plusieurs reprises, sans aucune considération pour ses droits élémentaires. Malgré l’inquiétude croissante que sa chronique de prison suscite, il semble toujours prêt à poursuivre son combat et à réaffirmer ses engagements.
11 août
On pourrait facilement se faire tuer en prison pour ça.
Pour ça, ils vous enferment machinalement en cellule disciplinaire et vous battent à mort. Aux yeux de l’administration pénitentiaire, ça semble bien trop impertinent.
Mais pour l’instant j’en suis quitte pour l’avertissement que me donne chaque jour une commission spéciale. J’ai aussi été officiellement « mis en garde » contre le crime que je m’apprêtais à commettre.
Je viens simplement de créer un syndicat des prisonniers et des geôliers. C’est sérieux. Et nous avons déjà des victoires à notre actif.
Salut, c’est Navalny, le leader et le fondateur de Promzone [zone industrielle, NDT], le syndicat des citoyens employés dans le système carcéral.
Et pourquoi pas ? Je suis un employé de la colonie pénitentiaire. Une « couturière » [voir le journal de Navalny à l’entrée datée du 7 décembre 2021(https://desk-russie.eu/2022/01/14/navalny-journal-de-prison.html), NDT]. Et les autres zeks sont des employés, eux aussi. Et les gardiens de même. En matière de droit du travail, il n’y a pas de différence entre nous. Nous pouvons former un syndicat pour défendre nos droits.
Ceux qui ont suivi mes activités savent que je suis un grand partisan des syndicats. Il est très important d’obtenir des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail.
Nous avons beaucoup aidé les syndicats et je sais combien il est difficile et souvent dangereux de travailler dans un syndicat véritablement indépendant et combatif.
Eh bien, puisque j’ai encouragé d’autres à le faire, alors cela vaut la peine de m’y mettre aussi, même dans l’endroit le plus dangereux qui soit pour ça, un endroit où les grèves, l’insubordination et les réunions sont expressément interdites.
Si vous faites grève ici, selon le règlement en vigueur, vous serez enfermé dans le quartier disciplinaire. Et, très probablement, vous y serez torturé (ce qui, toutefois, n’est pas prévu par le règlement, mais suit une tradition bien établie).
Voilà. J’ai rédigé les statuts et envoyé un avis de constitution du syndicat au directeur du service fédéral d’application des peines et à celui de ma colonie.
Les yeux hagards du personnel administratif ont été ma première récompense. Ils pensaient que je plaisantais quand je parlais d’un syndicat. À présent, ils le qualifient exclusivement d’« illégal ».
Puis ils se sont mis à me convoquer tous les jours en commission de discipline et à me donner des avertissements pour toutes sortes de raisons formelles : infraction au port de l’uniforme, etc.
Ensuite, toute une délégation est venue dans mon baraquement et m’a solennellement remis une « mise en garde contre un crime imminent ». Il faut comprendre que c’est là ce que je trame en créant un syndicat.
Pour être honnête, les zeks ont encore plus peur du syndicat que de l’administration.
Chaque fois que j’en parle, mes tueurs disent tristement : « Alexeï, arrête, s’il te plaît. À cause de toi, on ne nous laissera jamais sortir, et tout ça finira mal. »
Soit. Un syndicat repose sur le volontariat. Je ne force personne. Mon syndicat protégera aussi les droits des travailleurs qui n’y auront pas adhéré 😉
Enfin, pour l’instant, chaque fois que je dis « syndicat », ceux qui se tiennent à côté de moi, détenus ou matons, s’empressent d’ajouter : « composé d’un seul individu ».
OK. Un syndicat unipersonnel. C’est pas mal non plus. Mieux que pas de syndicat du tout.
Il y a environ 600 000 détenus en Russie actuellement. Une écrasante majorité d’entre eux travaillent. Et c’est de l’esclavage total, presque gratuit, dans des conditions épouvantables.
Oui, la plupart des travailleurs sont des criminels (bien qu’il y ait beaucoup d’innocents), mais ils doivent expier leur crime conformément à la loi. Et travailler selon les règles.
Savez-vous quel est mon salaire mensuel ? 5 173 roubles et 4 kopecks [soit environ 85 euros, NDT].
Et c’est un salaire ÉNORME. Sans blague. Les autres prisonniers de ma brigade gagnent nettement moins.
Comment pouvons-nous nous passer d’un syndicat ? Nous en avons besoin.
Et son action est déjà très bénéfique. Promzone a obtenu une grande victoire. Sur les tabourets. Quand on est assis devant une machine à coudre de sept à huit heures par jour, croyez-moi, c’est important.
Les conditions de travail prévoient que le poste de travail d’un « couseur » soit équipé d’une chaise pivotante à dossier réglable. En réalité, tous les zeks-couseurs sont assis sur des tabourets. Le mien faisait 42 centimètres de haut. C’était insupportable, un vrai supplice, et au bout de quelques années, ça promet de sérieux problèmes de dos.
Sans scandale ni chahut, notre glorieux syndicat a engagé un dialogue constructif avec son employeur, le système pénitentiaire. J’ai prouvé du point de vue du droit (avec l’aide des juristes de la FBK [Fondation de lutte contre la corruption, NDT], bien sûr) que nous devions avoir des chaises à dossier.
Au début, cela a suscité la perplexité. Un condamné doit souffrir, après tout. Ensuite, ils sont allés jusqu’à mentir en prétendant que nous n’étions pas assis sur des tabourets, mais sur des chaises à dossier (c’est bien trouvé, n’est-ce pas ?), et puis — ta-da ! — on a apporté des chaises à dossier dans l’atelier et on a enlevé ces maudits tabourets.
Un travail constructif ! Tout le monde est content (enfin, presque).
À présent, l’une des tâches de Promzone, c’est d’obtenir, toujours dans le calme et de manière constructive, le remplacement des tabourets par des chaises à dossier dans toute la zone pénitentiaire, puis dans la région, puis pour tous les couseurs des prisons de Russie.
Bref, si la vie m’a tendu un citron sous la forme d’une peine de prison, je dois en faire une limonade par une activité tant soit peu utile pour la société [par allusion à la phrase de Dale Carnegie : « Quand le destin vous tend un citron, faites-en de la limonade », NDT].
J’écrirai les aventures de notre syndicat de zeks (et vous pouvez écrire en commentaire si vous trouvez ça intéressant).
Comme tout vrai syndicat, Promzone a son propre média. Il s’agit d’une [chaîne Telegram] (https://t.me/industrial_zone) du même nom. Il y a aussi un système de messagerie ; si vous êtes un détenu nanti d’une connexion, vous pouvez donc nous écrire sur Telegram : @industrialzone_bot.
Jusqu’à présent, nous y avons publié les statuts, la fameuse mise en garde et un manuel d’information pour les détenus qui travaillent eux aussi dans un atelier de couture et qui souhaitent remplacer leur tabouret par une chaise à dossier réglable.
Voilà les nouvelles. Je salue tous les syndicats, les ouvriers et les cols bleus. Vive la solidarité des travailleurs ! 😉
15 août
Je suis une icône de la consommation responsable.
Dans ma cellule je n’ai qu’une tasse et un livre. On me donne une cuillère et une assiette au moment des repas. On m’a même repris ma tenue de prison pour me donner des vêtements temporaires. Maintenant, j’ai d’énormes lettres blanches sur le dos : QUARTIER DISCIPLINAIRE.
Bonjour à tous de ma cellule d’isolement.
Une vraie lutte syndicale n’est jamais facile, et que dire quand le syndicat est en prison. La route entre les statuts du syndicat et le quartier disciplinaire s’est révélée encore plus courte que je ne le supposais 😉
Le Kremlin veut que son Goulag soit composé d’esclaves silencieux. Et voilà qu’au lieu d’implorer son pardon j’en rassemble quelques-uns pour exiger le respect des lois.
C’est pourquoi j’ai été convoqué du baraquement en commission, où l’on m’a annoncé que l’enregistrement vidéo me montrait régulièrement en train de déboutonner le bouton du haut de ma combinaison (tout simplement trop petite pour moi de plusieurs tailles).
Cela fait de moi un incorrigible malfaiteur, c’est sûr. Alors il a été décidé de me placer dans une cellule disciplinaire.
Je dois admettre que c’est pas mal, comme ironie. Ah, tu as obtenu qu’on remplace les tabourets en bois des ouvriers de la zone par des chaises à dossier ? Eh bien, tu vas toi-même te retrouver sur un banc en fer, ha ha.
Pour l’instant, j’ai pris trois jours, mais, a ajouté gaiement le directeur par intérim, à la mi-septembre, je dois recevoir la visite de mes proches, à laquelle j’ai droit une fois tous les quatre mois. Les visites aux détenus en cellule d’isolement sont interdites, donc à moins que je « reconsidère mon attitude », le quartier disciplinaire deviendra ma résidence permanente.
J’ignore quelle attitude je dois reconsidérer. Envers le travail d’esclave ? Envers Poutine ?
La cellule disciplinaire est la punition la plus dure dans la hiérarchie légale des prisons. Mais aussi dans la hiérarchie illégale — c’est là que l’on torture et que l’on tue le plus souvent.
On estime que l’on ne peut pas passer plus de quinze jours dans une cellule disciplinaire, mais cette règle est facile à contourner. On y est placé pour quinze jours, puis relâché, puis remis pour une nouvelle quinzaine.
C’est agencé ainsi. Une boîte en béton de 2,5 mètres sur 3. La plupart du temps, c’est insupportable à cause du froid et de l’humidité. Le sol est mouillé. Moi, j’ai une version de plage : il fait très chaud et il n’y a presque pas d’air.
La fenêtre est minuscule, et les murs sont si épais que l’air ne rentre pas, même les toiles d’araignée ne bougent pas. Aucune ventilation. La nuit, allongé, on se sent comme un poisson sur la berge. La couchette en fer est fixée au mur, comme dans un train. Seulement le levier qui l’abaisse se trouve à l’extérieur.
À 5 heures du matin, on te retire ton matelas et ton oreiller (c’est ce qu’on appelle l’« équipement souple ») et on relève la couchette. À 21 heures, la couchette est de nouveau abaissée et le matelas t’est rendu. Une table en fer, un banc en fer, un évier, un trou dans le sol. Deux caméras sous le plafond. Pas de visites, pas de lettres, pas de colis. C’est le seul endroit de la prison où même fumer est interdit. On te laisse du papier et un stylo pour une heure et quart par jour.
La promenade, c’est une heure dans une cellule identique, mais avec un morceau de ciel. Des fouilles tout le temps. Les mains dans le dos. Dans l’ensemble, c’est marrant et c’est comme au cinéma. Ce n’est pas grave, ça pourrait être pire.
Je suis justement assis sur un banc en fer derrière une table en fer. Je vais finir ce post et écrire le manuel consacré aux droits des détenus sur leur lieu de travail, jusqu’à ce qu’on m’enlève le papier. La commission a raison : j’ai l’air incorrigible 😉
Le livre que je suis en train de lire : 21 leçons pour le XXIe siècle, de Yuval Harari. Son contenu et mon environnement sont en parfaite adéquation.
17 août
Je suis sorti du quartier disciplinaire (ou, comme on dit, « du mitard »), et j’ai reçu une notification : l’oligarque Deripaska [Oleg Deripaska, à la tête de Rusal, géant de l’aluminium, NDT] m’a intenté un procès.
En effet, cet escroc poutinien nous poursuit, moi, Maria Pevtchikh, Gueorgui Albourov, ainsi que The Insider et d’autres médias, en exigeant que la photo qui le montre avec Lavrov au Japon soit retirée.
Deripaska exige aussi que notre enquête sur le fait qu’il verse des pots-de-vin au ministre des Affaires étrangères Lavrov et qu’il entretienne la seconde famille de celui-ci soit supprimée et démentie. Et que soit détruite toute mention de ses liens avec Paul Manafort [avocat, consultant politique et lobbyiste américain, NDT].
Nous serons jugés au tribunal de Zelenograd. Je ne doute pas de la capacité de l’oligarque de Poutine à convaincre les juges de Poutine.
Une fois de plus, j’appelle les États-Unis, l’Union européenne et la Grande-Bretagne à imposer à l’encontre de ces voleurs et fauteurs de guerre des sanctions réellement efficaces, qui ne pourront pas être contournées par des subterfuges élémentaires. Et aussi à surveiller de près les tentatives de cette cohorte pour mener des campagnes de relations publiques et des campagnes juridiques en Occident, visant à blanchir leur image et à acheter politiciens et journalistes.
20 août
Je fête mon second anniversaire pour la deuxième fois. Le jour où l’on a voulu me tuer, et où, pour une raison ou pour une autre, je ne suis pas mort. Juste pour mémoire, quelques constatations. Deux ans après :
1. Il n’y a pas eu de poursuites pénales, quoi que Poutine ait pu prétendre. Il n’y a pas eu d’enquête officielle.
2. Je n’ai toujours pas compris en quoi consiste la position des autorités russes :
Navalny n’a pas été empoisonné au Novitchok, il est tombé dans le coma de lui-même,
ou :
Navalny a été empoisonné au Novitchok, mais pas par nous ; ce sont les services secrets occidentaux, par provocation.
Les fonctionnaires, à commencer par le plus haut niveau, Poutine, s’en tiennent strictement à ces deux versions en même temps.
3. Presque tous les membres du groupe de tueurs exécutants ont été trouvés et identifiés. Ce sont tous des agents du FSB. Il a été démontré qu’ils ont à leur actif plusieurs tentatives d’empoisonnement infructueuses (Dmitri Bykov, Vladimir Kara-Mourza) et plusieurs meurtres réussis (Nikita Issaïev, Timour Kouachev, Rouslan Magomedraguimov). Il s’agit probablement de la partie émergée de l’iceberg.
4. Aucun membre du groupe du FSB n’a été traduit en justice. Sauf, bien sûr, Konstantin Koudriavtsev — le chimiste infortuné qui m’a raconté les détails de l’agression par téléphone. Il a disparu, il semble qu’il ait été lui-même assassiné.
5. Ma survie a tellement contrarié le Kremlin qu’il m’a emprisonné d’abord pour trois ans et demi, puis pour neuf ans.
6. Cette situation a beaucoup exposé Poutine et son régime, elle a mis en évidence non seulement la criminalité mais aussi le dysfonctionnement et l’échec de ce régime, à tel point qu’elle a bien sûr eu un impact majeur sur l’ensemble du système politique russe. Ce système s’est dépouillé de tout déguisement et, fin janvier 2021, il est devenu répressif et autoritaire sans plus la moindre retenue.
Voilà ce que ça signifie, d’échouer à enduire un slip de Novitchok.
24 août
Je suis de retour au quartier disciplinaire. En programmation informatique, c’est ce qu’on appelle une « boucle sans fin ».
– Ils me placent en cellule d’isolement pendant trois jours pour un bouton défait.
– Alors qu’ils m’escortent dans le couloir du quartier disciplinaire : « Les mains dans le dos ! » « Oui, oui. » Je mets les mains dans le dos. Mais l’espace de trois secondes, j’ai marché normalement. Sans mains dans le dos. C’est un crime !
– On me convoque en commission : « Condamné Navalny, vous avez enfreint le règlement de l’escorte vers la cellule d’isolement. Sur l’enregistrement vidéo, cela dure trois secondes, mais compte tenu de votre profil négatif et puisque vous avez déjà été placé en cellule disciplinaire, nous avons décidé que vous deviez y être renvoyé. »
Cinq jours.
C’est drôle. Donc je vais rester à demeure ici, je suppose.
Cet ordre vient assurément de Moscou. Même selon les normes d’une prison russe, la cellule disciplinaire pour trois secondes sans mains derrière le dos, c’est trop.
Me revoilà assis dans mon trou à rat avec une tasse et un livre. On s’ennuie un peu, bien sûr. Je pourrais apprendre à méditer, après tout.
Jusqu’à présent, ça n’a pas marché : ne pas penser à quoi que ce soit s’avère terriblement difficile. Au lieu de simplement me concentrer sur ma respiration, je pense au fait que ma cellule est fondamentalement vipassana. C’est une pratique spirituelle pour les riches qui souffrent de la crise de la quarantaine. Ils paient pour être enfermés dans une pièce où ils resteront silencieux pendant quinze jours, en se contentant d’une pitance frugale, sans contact avec le monde. Pour méditer et réfléchir, c’est tout. Et moi, j’ai ça gratuitement.
Vous m’enviez ? 😉
30 août
Salut, vous allez rire, mais je suis de nouveau dans le quartier disciplinaire. Ils m’ont laissé sortir dimanche soir, et lundi après-midi ils m’y ont remis — en gros, ils ne cachent pas que je ne ressortirai pas de ce trou. Cela dit, je sais enfin pourquoi on m’y envoie ! Et donc, je fais une petite déclaration.
J’ai été enfermé trois jours, puis cinq et maintenant sept pour « présentation incorrecte ». Et cette « échelle » montera jusqu’au dernier palier possible, soit quinze jours. Après on m’enfermera par périodes de quinze jours, « tant que je ne me serai pas calmé ».
Le fait est que je suis « trop actif politiquement pour un détenu ». Le syndicat des prisonniers que j’ai créé est une source de grande contrariété : je n’ai « pas été mis en prison pour faire du syndicalisme ».
Et le Kremlin est vraiment furieux de notre travail de promotion de la « liste des 6 000 », cette liste des oligarques, des personnes corrompues et des fauteurs de guerre qui doivent être sanctionnés.
Ceux qui figurent sur la liste sont très inquiets et demandent que des mesures soient prises pour que la FBK (moi en particulier) « s’assagisse ».
Le message est : tu crois que ça nous gêne de te garder au quartier disciplinaire pour des motifs ridicules ? Comme il te plaira. Tu veux qu’on nous interdise d’aller à Nice et à Londres ? Dans ce cas, tu ne te retrouveras pas seulement en prison, mais sur un tabouret en fer dans une cellule de 2 mètres sur 3 avec un pauvre brouet pour toute nourriture.
Bien. Je réponds aussitôt à tous publiquement : soit, je tiendrai. Je ne suis pas le premier, et je ne serai pas le dernier. Il faut payer le prix de la vérité et de l’indépendance, et je paie le mien. Je ne suis pas plus mal loti que beaucoup d’autres, les bombes ne tombent pas ici.
Je déteste cette guerre. Mes collègues de la FBK et moi-même essayons de faire quelque chose pour accélérer sa fin. Ce qu’il faut maintenant, c’est faire pression sur l’élite corrompue de Poutine au point de la diviser.
À l’heure actuelle, seuls 46 des 200 oligarques de Poutine figurant sur la liste Forbes font l’objet de sanctions. Les propagandistes qui appellent au meurtre partent à Berlin le week-end.
Cette situation est parfaitement confortable pour l’élite poutinienne — ces quelques milliers de familles pour la prospérité desquelles ce régime existe, et au nom de qui Poutine livre cette guerre.
Pourquoi devraient-ils changer quoi que ce soit ? Pourquoi renoncer à leur loyauté envers Poutine, alors que, même lorsque ses mains baignent dans le sang jusqu’aux coudes, ses valets continuent de bénéficier de tous les avantages et privilèges de l’Europe, des États-Unis et de la Grande-Bretagne ?
L’adoption de la « liste des 6 000 » briserait enfin ce statu quo, mettrait l’élite de Poutine (un large éventail, pas seulement quelques éléments) devant un choix et finirait par la diviser.
Je vous suis reconnaissant à tous de votre soutien et de votre solidarité, mais le meilleur geste de solidarité pour moi, c’est votre aide pour que soit adoptée la « liste des 6 000 ». Que vous soyez citoyen, journaliste, ministre ou président, contribuez à faire punir ceux qui méritent d’être punis.
Enfin, pour être parfaitement clair. Le quartier disciplinaire — je ne vais pas mentir — est un cagibi infernal, un endroit déplaisant à tous points de vue. Mais il y a des choses plus importantes dans la vie que le confort. Peu importe le temps que je devrai passer ici, je ne renoncerai en aucune façon à ce en quoi je crois, ni à ce que je fais avec mes compagnons de lutte.
31 août
La radio de la prison a annoncé la mort de Mikhaïl Gorbatchev. C’est sous Gorbatchev que les derniers prisonniers politiques de l’URSS ont été libérés. Le fait qu’aujourd’hui des personnes comme moi apprennent sa mort par le biais de « postes de radio de cellule » illustre parfaitement le saut périlleux que cet homme éminent a commencé et que mon pays a exécuté.
Mon sentiment à l’égard de Gorbatchev est passé d’une irritation féroce — il barrait la route aux « démocrates radicaux », que j’adorais — à un respect attristé. Lorsqu’il s’est avéré que les « démocrates radicaux » étaient en majeure partie un ramassis de voleurs et d’hypocrites, Gorbatchev est resté l’un des rares à ne pas utiliser le pouvoir, et les occasions qu’il offrait, à des fins d’enrichissement personnel. Il a quitté le pouvoir pacifiquement, de plein gré, en respectant la volonté des électeurs. Ce seul fait constitue un grand exploit au regard de la norme en ex-URSS.
Je suis sûr que sa vie et son histoire, qui ont déterminé le cours des événements à la fin du XXe siècle, seront évaluées avec plus de bienveillance par la postérité que par ses contemporains.
Mes plus sincères condoléances à la famille et aux amis de Mikhaïl Sergueïevitch.
Traduit du russe par Ève Sorin
© Desk Russie
Homme politique russe, prisonnier politique, fondateur de la Fondation de lutte contre la corruption (FBK), considéré comme le principal opposant à Vladimir Poutine.