Dernière mise à jour le 20 septembre 2023
L’Union européenne a décidé de durcir les sanctions contre le Bélarus à la lumière de la crise survenue à la frontière polono-bélarusse. Le 15 novembre, le haut représentant de l’UE Josep Borrell a déclaré, à l’issue d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des États membres, que le cinquième paquet de sanctions viserait les compagnies aériennes, les agences de voyages et les individus impliqués dans le transfert illégal de migrants vers le Bélarus. Peter Stano, porte-parole principal de la Commission européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, répond aux questions de Desk Russie.
Propos recueillis par Natalia Kanevsky
Moscou est-il impliqué dans cette crise à la frontière entre le Bélarus et la Pologne ?
L’Union européenne n’a pas le moindre doute que toute déstabilisation à nos frontières sera utilisée par la direction russe à ses propres fins, car la Russie s’est depuis longtemps détournée de l’UE et ne cesse de lui montrer de l’hostilité. De nombreuses attaques hybrides contre nous sont en effet initiées par la Russie, principalement des cyberattaques informatiques. Néanmoins, je ne parlerai pas d’un lien direct entre la Russie et ce qui se passe à la frontière bélarusso-polonaise. Le régime de Loukachenko en est pleinement responsable.
En revanche, l’UE est très inquiète à cause d’un renforcement de la présence militaire russe à la frontière avec l’Ukraine. Ce thème a été récemment abordé au cours de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE avec le secrétaire général de l’OTAN. Car l’Ukraine est un partenaire stratégique important de l’UE, et depuis le printemps de cette année, des travaux conjoints ont été menés pour empêcher une éventuelle invasion russe du territoire ukrainien.
De nombreux politiciens et observateurs politiques européens reprochent à l’UE de ne pas être suffisamment dure avec le régime de Loukachenko, jugeant les sanctions européennes insuffisantes et inefficaces.
Ce n’est pas vrai, car les sanctions ne sont pas le seul levier dont nous disposons. Il s’agit d’un outil supplémentaire de notre politique. Vous devez voir l’impact de notre action dans son ensemble. Le but des sanctions est, d’une part, d’arrêter les répressions du régime de Loukachenko contre sa propre population, et d’autre part, d’arrêter le transfert de ressortissants de pays tiers au Bélarus parrainé par ce régime et leur déplacement ultérieur vers la frontière bélarusso-européenne pour les forcer à franchir illégalement cette frontière. Et cette politique porte déjà ses fruits. Auparavant, il y avait déjà eu quatre séries de sanctions — pour violation des droits de l’homme et manipulation des élections. Ces sanctions sont douloureuses pour Loukachenko. Son instrumentalisation des migrants est essentiellement une tentative de riposte, de manière totalement irrationnelle. De notre côté, nous avons démontré que nous n’avons pas l’intention de mettre fin aux sanctions, au contraire, nous avons l’intention d’infliger un coup encore plus douloureux à ce régime.
Quelles sont les mesures prises par l’UE afin d’arrêter cette arrivée de migrants ?
Parallèlement à la politique de sanctions, l’Union européenne travaille avec des partenaires internationaux qui partagent sa vision du régime de Loukachenko, ainsi qu’avec des pays tiers, pour empêcher Minsk d’utiliser des citoyens étrangers comme armes contre Bruxelles sur les frontières orientales de l’Union européenne. Les 27 États membres de l’UE sont totalement unanimes sur cette question. Nous ne reculerons pas devant cette attaque hybride du régime de Loukachenko contre l’UE. Nous ne lui permettrons pas de faire pression sur l’UE en utilisant cyniquement des personnes vulnérables, en attirant ces personnes vers le Bélarus, en leur promettant un accès facile au territoire de l’UE. Nous formons un front uni contre cette attaque hybride de Loukachenko, et lui donnons une riposte adéquate.
En quoi cette nouvelle série de sanctions est-elle différente des précédentes ?
Nous avons pu nous mettre d’accord sur l’élargissement des critères de sanctions : nous avons ajouté à ceux-ci l’exploitation des migrants. Là encore, nous sommes totalement unanimes sur cette question. L’Union européenne ne permettra pas à ce régime de l’intimider en créant une crise humanitaire et migratoire artificielle. Pour Loukachenko, ce n’est qu’une couverture pour dissimuler la répression à l’encontre de son propre peuple.
De quels faits et preuves l’UE dispose-t-elle pour affirmer que Minsk a frauduleusement attiré ces personnes au Bélarus ?
C’est une évidence. En témoigne l’activité du réseau diplomatique bélarusse dans le monde. Des ambassades et des consulats bélarusses, des agences de voyages associées à l’État et un certain nombre d’autres intermédiaires coopérant avec le régime mènent une campagne publicitaire dans plusieurs pays cibles. Ils attirent les gens au Bélarus en leur faisant une fausse promesse : entrer facilement dans l’UE. Une fois les gens arrivés à Minsk, on les fait monter dans des bus et on les envoie vers la zone frontalière, dans des conditions très dures, dans la forêt, par mauvais temps. Dans le même temps, les forces armées bélarusses leur coupent les voies de retour pour les empêcher de retourner sur le territoire bélarusse s’ils ne franchissent pas la frontière de l’UE. Ce que fait Loukachenko est inhumain. C’est pourquoi Bruxelles essaie de faire passer aux migrants potentiels un message simple : le chemin vers l’Union européenne ne passe pas par le Bélarus.
Certains représentants de l’opposition bélarusse sont convaincus que les mesures prises par l’Union européenne ne suffisent pas, et que Bruxelles les trahit en s’inclinant devant Minsk.
Nous maintenons un contact permanent avec les représentants de l’opposition bélarusse, et ce sont nos vrais partenaires, ils représentent le peuple bélarusse. Nous les soutenons et dialoguons avec eux. Les sanctions de l’UE font toujours l’objet de critiques. Quelle que soit la décision que nous prenons, elle n’est pas assez dure, ou trop tardive, ou ne donne pas de résultats. Quoi que nous fassions dans le contexte des sanctions, il y aura toujours des voix qui nous critiqueront. Mais, je le répète, les sanctions ne sont pas une politique de l’UE, elles ne sont qu’un des instruments de cette politique. Nous utilisons les sanctions conjointement avec d’autres moyens à notre disposition. Et, dans le cas du Bélarus, nous parlons de sanctions progressives. Si nous constatons que le comportement du régime n’a pas changé, et ne change pas, nous introduirons des sanctions supplémentaires. Ainsi, nous allons donner un nouveau tour de vis au régime de Loukachenko afin de priver ses fonctionnaires d’une liberté de circulation dans l’UE et des opportunités de coopération économique avec les États membres de l’UE, avec les entreprises et les banques. Il s’agit d’une approche progressive, et si nécessaire, les États membres annonceront de nouvelles sanctions, en plus de toutes les autres mesures que nous prenons pour protéger le peuple bélarusse d’une nouvelle répression et empêcher le régime de Loukachenko d’utiliser les migrants comme une arme politique.
Des ONG de défense des droits de l’homme accusent les dirigeants de l’UE de faire tout leur possible pour renvoyer les migrants bloqués à la frontière bélarusso-polonaise vers leurs pays d’origine. D’après ces ONG, ces migrants sont en danger dans leurs pays et l’UE doit leur permettre de demander l’asile.
Le régime de Loukachenko essaie d’utiliser les migrants pour ouvrir les frontières de l’UE de manière incontrôlable. Or, quiconque souhaite venir dans l’UE peut le faire par les voies légales existantes. Si vous souhaitez visiter l’UE, vous pouvez demander un visa. Si vous souhaitez demander l’asile, vous devez remplir les critères établis pour obtenir le statut de réfugié. Il est impossible d’atteindre ces objectifs en franchissant illégalement les frontières de l’UE. Chaque État a le droit de défendre son territoire contre une invasion illégale, quel que soit le profil des personnes qui tentent de mener à bien cette invasion.
Le Bélarus est un pays sûr, au sens où il n’est pas en guerre, et si des personnes prétendent qu’elles fuient le danger et ont la possibilité de se rendre à Minsk par avion, les autorités bélarusses devraient leur donner la possibilité de demander l’asile au Bélarus. Nous exigeons que le régime bélarusse permette à ces personnes de quitter la zone frontalière. Ensuite il faut que ce régime examine leurs demandes, et, si elles ne répondent pas aux critères, qu’il les renvoie dans leurs pays d’origine.
Faites-vous allusion à l’Irak ?
L’Irak n’est pas en guerre, et les gens n’ont pas à fuir ce pays. Les autorités irakiennes ont déjà commencé à évacuer leurs citoyens du Bélarus, sur une base volontaire. Il s’agit d’une crise absolument artificielle, sous l’égide du régime de Loukachenko, qui utilise cyniquement les gens pour atteindre des objectifs politiques. L’ouverture de nos frontières sous pression signifierait que nous aurions cédé à ce régime. Cela ne s’est pas produit au printemps de l’année dernière, lorsqu’une situation similaire s’est développée avec la Turquie. Cela n’arrivera pas non plus maintenant.
Née à Sébastopol, elle a construit sa carrière en Israël et en France, en tant que journaliste et traductrice. Installée en France depuis 2013, elle était la correspondante de Radio Free Europe / Radio Liberty à Paris. Elle est à présent la correspondante en France de la radio publique d’Israël, ainsi que traductrice et interprète assermentée près la Cour d'Appel d'Amiens.