Face à la guerre désormais massive lancée par Poutine contre l’Ukraine, il serait désastreux de donner aujourd’hui au chef du Kremlin le spectacle de notre irrésolution et de notre faiblesse. La crise où nous sommes maintenant s’est construite sur nos démissions successives. Aujourd’hui les Occidentaux doivent retrouver deux vertus perdues depuis longtemps : le courage et la lucidité.
Méditant sur les causes de la Première Guerre mondiale, Paul Valéry écrivait: « L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré. Ses propriétés sont bien connues. Il fait rêver, il enivre les peuples, leur engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient leurs vieilles plaies, les tourmente dans leur repos, les conduit au délire des grandeurs ou à celui de la persécution, et rend les nations amères, superbes, insupportables et vaines. »
Ces réflexions reviennent à l’esprit lorsque l’on se souvient du discours du président Poutine diffusé deux jours avant de lancer, dans la nuit du 23 au 24 février, ses forces armées à l’assaut de l’Ukraine. Ceux qui avaient pu se laisser gagner par un lâche soulagement en s’imaginant que la crise orchestrée par le chef du Kremlin pouvait se résoudre une fois que l’ours russe aurait arraché un morceau supplémentaire au corps de l’Ukraine auront été brutalement ramenés à la réalité. La guerre en cours a comme victime un pays tout entier, et non une partie délimitée de son territoire. Car la teneur du discours de Poutine ne faisait aucun doute : c’est à l’État ukrainien qu’il en veut, il se veut maître à Kyïv et libre d’assouvir ses vengeances sur les « fascistes » ukrainiens fantasmés honnis depuis tant d’années.
Pour justifier cette agression inouïe, il a recours à une histoire reconstruite à travers le prisme de ses visées impériales et de ses complexes personnels, à laquelle il croit dur comme fer. Explicite dans ses propos, il a toutefois un temps avancé masqué, laissant croire aux Occidentaux que toute sa rhétorique belliqueuse ne faisait que préparer le terrain à une annexion camouflée de territoires ukrainiens. Aujourd’hui il jette le masque. Sa déclaration de guerre ne laisse aucun doute : il entend installer son satrape à Kyïv et organiser une gigantesque purge en Ukraine, afin de décapiter définitivement le pays en éliminant ses élites nationales, comme Staline l’avait fait avant lui.
Mais les propos de Poutine vont plus loin. Il laisse clairement entendre qu’à travers l’Ukraine ce sont les pays occidentaux qu’il vise. Pour ceux que le sort de l’Ukraine laisse indifférents, rappelons que le catalogue des ambitions de Poutine ne s’arrête pas à la conquête de Kyïv. Les États baltes, l’Europe centrale et orientale sont aussi au menu. Quant au Bélarus, il est de fait déjà occupé et la poigne sanglante de Moscou pèse sur Minsk. C’est tout l’ordre de sécurité européen que Poutine veut bouleverser afin d’assurer une place prépondérante à la Russie sur le continent et d’éradiquer la liberté des peuples européens, appliquant les méthodes qui lui ont réussi en Russie : l’intimidation, la démoralisation et la terreur.
Il serait désastreux de donner aujourd’hui à Poutine le spectacle de notre irrésolution et de notre faiblesse. La crise où nous sommes maintenant s’est construite sur nos démissions successives. Aujourd’hui les Occidentaux doivent retrouver une vertu perdue depuis longtemps, le courage. Mais il n’y a pas de courage sans lucidité. Nous devons mesurer ce qui est en jeu aujourd’hui. La lâcheté est contagieuse. L’Ukraine a besoin de voir un Occident courageux pour garder le moral et résister. Nous avons assisté à l’hallucinante séance du Conseil de sécurité russe, où les hauts dignitaires du régime poutinien devaient humblement exprimer leur allégeance à leur chef ivre de puissance. En Russie plus encore qu’ailleurs, le courage sera nécessaire pour que ceux qui s’opposent à la guerre se fassent entendre et s’organisent. Qui sait, quelques patriotes s’enhardiront et mettront à l’écart un tyran en train de mener leur pays à l’abîme. Mais comment se résoudraient-ils à agir si les Occidentaux, qui, eux, risquent beaucoup moins, continuent d’atermoyer et d’adopter des mesures qui viennent trop tard ?
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